U d'/of OTTAWA 39003003481 M "tad Digitized by the Internet Archive in 2011 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/silvesetrimeOObarb SILVES ET r y RIMES LEGERES SILVES E T RIMES LÉGÈRES PAS AUGUSTE BARBIER Auteur des ïambes NOUVELLE ÉDITION, KEVUE ET AUGMENTÉE PARIS E. DENTU, ÉDITEUR LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DES GENS DE LETTRES PALAIS-ROYAL, 17 ET 19, GALERIE D'ORLEANS . 6d3 s: AVERTISSEMENT. Sous le titre de Silves et Rimes légères nous avons réuni en un seul volume deux ouvrages déjà connus du public ; nous y avons joint un certain nombre de vers d'un sentiment analogue, qui ont paru avec la dénomination de Rimes de voyage. Nous avons conservé les préfaces des premières éditions;, elles donnent la date et le sens de chaque recueil. Sauf quelques légers changements, l'ordon- nance des volumes a été respectée. Ils se sont aug- mentés seulement de plusieurs pièces nouvelles. A. B. Janvier 1870. r ^ RIMES LEGERES ODELETTES ET CHANSONS XapiEvxa fjisv yàp àôco. ANACRÉ on. 1851 La première édition de ce recueil d'odelettes et de chan- sons, bouquet de petites fleurs cueillies çà et là dans des moments de loisir et d'heureux oubli , a paru sans nom d'auteur au commencement de l'année 1851. Le voile de l'anonyme ayant été soulevé par plusieurs critiques, je n'ai pas cru devoir le laisser retomber. Je craignais que le public n'acceptât pas avec faveur cet essai de poésie très-différent de forme et de fond de mes premiers vers. Heureusement trompé dans mes appréhensions, je lui offre une seconde fois ces rimes, avec des corrections et quelques pièces de plus. Préface de 1860. A. B. PROLOGUE. J'ai dit à ma plume, un jour : Écris un hymne à la gloire; Mais ma plume toute noire N'a tracé qu'un mot : amour. Une autre plume résonne, Et toujours même refrain ; Avec une autre j'entonne Le nom de Kléber, soudain C'est amour qu'elle griffonne. Héros! je vous abandonne, Puisque ma plume toujours Ne va que pour les amours. L'AMOUR DES CHANSONS. J'aime les chansons Quand le printemps sur terre, D'une main légère Peint en vert les buissons : Des bois et des monts S'élève une voix fraîche et pure, Toute la nature Chante aux amours mille chansons. J'aime les chansons, L'été, quand sous les treilles, Aux filles vermeilles S'unissent les garçons : Alors aux doux sons Du tambourin, de la musette, On danse et répète Vieux refrains et folles chansons. 10 RIMES LEGERES. J'aime les chansons Surtout lorsque la bise Rend la terre grise Et blanchit les gazons : Auprès des tisons Chantent les jeunes ouvrières, Et les tendres mères Bercent gaiement leurs nourrissons. Vive la chanson, La douce chansonnette ! C'est la violette, Le parfum du flacon : Pour une chanson Pleine de finesse et de grâce, Pour trois vers d'Horace On donnerait tout Cicéron. LES ATTRAITS. Où va l'aimant, mystérieux fluide? Au nord. Où va la vague ondoyante et limpide? Au bord. Où va l'abeille, odorante ouvrière? Au miel. Où va des prés la senteur printanière? Au ciel. Où va la nuit l'aile de la phalène? Au feu. Où va l'étoile en sa course lointaine? A Dieu. Où vont la pourpre et les rubis en flammes? Au roi ; Et tôt ou tard, amour, les tendres âmes, A toi. L'ENFANT DANGEREUX. Une chanson de Provence Dit qu'Amour, à sa naissance, Est comme un petit enfant Qui tette et va bégayant. On lui rit, on le caresse, On le porte au bras sans cesse, Tant le mignon est léger, Tant il paraît sans danger. Mais quelques jours d'existence Suffisent à sa croissance, Et le petit enfant nu Bien vite homme est devenu. Alors à son tour le traître Vous prend et vous parle en maître, L'ENFANT DANGEREUX. 13 Et souvent dans les tourments Fait expirer deux amants. Ah! vraiment, lorsque l'on pense A quoi tient son existence, Que d'un coup d'œil émouvant Elle dépend bien souvent, Qu'un mot d'une tendre bouche, Un bout de pied qui vous touche Et l'étreinte d'une main Engendrent cet inhumain, On frémit de tout son être A voir le printemps renaître ; Car Dieu sait à quels malheurs Vont s'exposer tant de cœurs! LA VIOLETTE. 0 toi qui la première Apparais à nos yeux; Humble fleur qui sur terre Nous reflètes les cieux, Premier soupir que jette Le printemps de retour, O brune violette, Salut! ô mon amour! Tu nais, et, douce cbose, Aussitôt les frimas Avec l'hiver morose S'éloignent à grands pas : Bonhomme au front qui penche, Adieu, plus ne verrons Flotter ta barbe blanche Sur l'émail des trazons! LA VIOLETTE. 15 Adieu, libre est le monde : Tout a repris l'essor, L'oiseau, la fleur et l'onde, Et l'âme plus encor : Jeunes gars, jeunes filles, Sentant battre leurs cœurs, Ne rêvent que charmilles Bosqu;ts et prés en fleurs. Violette, ton baume Est plein d'enivrements : Dans ce divin arôme Sont les feux du printemps. Ah! que ta fleur est belle! Mais au printemps, toujours, Que ne voit-on comme elle Refleurir les amours! TOAST AU PRINTEMPS. G H A Z E L. Voici venir le temps des roses, Pour célébrer ces douces choses, Allons! qu'on m'apporte du vin! Peut-on voir, quand naissent les roses, Un verre droit sans qu'il soit plein ! Je hais par-dessus toutes choses Les faux airs de rigidité, L'hypocrisie aux lèvres closes Affectant la sobriété ; Mais j'aime que l'humanité Suive le mouvement des choses, Qu'un cœur épanche sa gaieté Quand nature est en liberté : Buvons! voici le temps des roses! Inspiré d'Hafiz. CONTEMPLATION, Voyez, ami, combien le ciel est grand! Mon œil est las d'en parcourir les cimes : Car il contient plus d'étoiles sublimes Que de cailloux les bords de l'Océan. Oui, je le vois, c'est l'immensité même ; Eh bien, ce ciel si vaste, dans mon sein En son entier tiendra le jour divin Où votre cœur m'aura dit : Je vous aime. Pensée de Bettine. LE PETIT DORMEUR. Dans le bois sombre en arrivant Nous vîmes sur l'herbe un enfant Qui reposait à l'aise : Il était nud, il était beau, Ailé comme un petit oiseau, Rose comme une fraise. Nous fîmes cercle autour de lui Et nous l'admirâmes sans bruit Pour respecter son somme ; Mais Thisbé, cœur malicieux, Sur le sein de l'enfant heureux Fit rouler une pomme. Soudain le dormeur frémissant S'éveille et, sur pied se dressant, Nous regarde en colère; LE PETIT DORMEUR. 19 Puis, avisant dans le troupeau Celle qui ricanait tout haut De sa douleur amère : u Méchante, pourquoi m'éveiller Et surtout ton cœur égayer De ma peine profonde? Sache-le bien, jj suis l'Amour : Quiconque m'éveille, à son tour, Ne dort plus en ce monde. » Il dit et, des ailes battant, Reprit vers le ciel scintillant Sa course fugitive ; Et nous, en folâtrant, du bois Nous sortîmes; mais cette fois Thisbé marchait pensive. LA FUITE INTERESSEE. ADONIS. Quand je viens près de toi M'asseoir sous la feuillée, Pourquoi, belle effrayée, T'élancer loin de moi? CYPRIS. C'est pour que sur ton cœur, De tes deux bras la chaîne Tendrement me retienne, O timide chasseur! PROMENADE NOCTURNE. Vois quelle nuit tranquille Et comme Phœbé luit! L'air est pur et sans bruit, La verdure immobile. Seul, au creux d'un buisson Le rossignol appelle D'une tendre façon Sa compagne fidèle. Et l'oiseau, loin de là, De feuillage en feuillage Saute et dans son ramage Lui chante : me voilà ! Quels doux soupirs, Irène, Quelle réponse aussi ! Oh ! puisses-tu, ma reine, Toujours répondre ainsi ! Imité de l'italien. L'ORKADE. J'ai perdu le repos, O nymphes des montagnes ! O mes chères compagnes, Plaignez, plaignez mes maux : J'ai perdu le repos ! Hélas ! je l'ai perdu Le jour où sous les omhres De nos grands chênes sombres Un jeune homme inconnu Habiter est venu. Ce n'est point un grossier Coureur de jeunes filles, Un rôdeur de charmilles, Un méchant chevrier, Un chasseur meurtrier. L'OREADE. 23 C'est un rêveur pieux, Au front pâle et modeste : Une grâce céleste Réside dans ses yeux Toujours levés aux cieux. Je ne sais quoi de doux Attire sur sa trace : Partout devant sa face Les sapins et les houx Soudain s'inclinent tous. Les oiseaux par essaim Descendent du feuillage, Et la biche sauvage Vient manger dans sa main L'herbe dont elle a faim. Comme l'oiseau, la fleur Et la biche légère, Vers ce doux solitaire, Par un charme vainqueur, S'est envolé mon cœur. J'ai perdu le repos, 0 nymphes des montagnes ! 0 mes chères compagnes, Plaignez, plaignez mes maux J'ai perdu le repos ! LA CHEVRE INDOCILE. O la plus blanche de mes chèvres Pour qui si souvent mes deux lèvres Font résonner le vert pipeau, Snella, reine de mon troupeau ! Pourquoi toujours à l'aventure Grimper sur une roche dure Et pour quelques liserons blancs Risquer d'écorcher tes beaux flancs? Près de moi reste, et sur la mousse Tu brouteras la feuille douce, Et, calme, je ne craindrai pas Qu'un roc n éboule sous tes pas. Je ne craindrai point qu'un vieux pâtre A l'œil avide, au poil roussâtre, LA CHEVRE INDOCILE. 25 Ne t'attire au son de sa voix Et ne t'emporte au fond des bois. Snella, Snclla, chèvre rebelle, Écoute ton chevreau qui bêle Et que ce cri cher à ton cœur Te ramène au jeune pasteur! CHANSON DE MOSCHUS. Henriette aime Julien Qui n'aime que Gornélie, Cornélie aime Adrien Qui ne voit que Rosalie; Et chaque jeune amoureux Haïssant le cœur qui l'aime Subit la haine, lui-môme, Du bel objet de ses feux : Et tous sont loin d'être heureux. Touché des larmes amères Qui; versent tant d'yeux charmants, Je dis à tous les amants Pleins des ardeurs printaniôres : Ah ! que de telles misères Vous soient bons enseignements ! Au jeu d'amour, jeu suprême, Les cœurs durs ont du malheur; Enfants, aime/, qui vous aime : C'est là chance de bonheur. L'ABEILLE. Dis-moi, dis-moi, petite abeille, Où donc t'en vas-tu si matin? Aucune cime encor vermeille Ne brille sur le mont voisin. Les petites fleurs parfumées Dans les buissons dorment, hélas ! Toutes encore bien fermées, Le corps penché, la tête en bas. Et toi, tu fatigues ton aile, Déjà tu te mets en chemin : Dis-moi, dis-moi, ma chère belle, Où donc t'en vas-tu si matin? Chercher des sucs. — Ah ! prends haleine, Ne t'épuise pas à courir; Car je vais t 'apprendre où sans peine Tu peux toujours en recueillir. 28 RIMES LEGERES. Tu connais bien celle que j'aime, Ma Juliette aux tendres yeux ; Ses lèvres ont un charme extrême, Une douceur digne des cieux : Va donc sur sa bouche vermeille Ravir le baume des amours ; C'est le miel divin, chère abeille ! Suce-le bien, suce toujours. Imité du Sicilien Meli. L'ILE DESERTE. Je connais sur la mer profonde, Aux lieux où le soleil abonde, Une île verte et pleine au bord De sable d'or. Là, l'aube claire est une rose, Mais une rose demi-close, Exhalant à travers ses pleurs Mille senteurs ; Le jour, une grenade ardente, A la crête rouge et pendante, Qui change la mer au flot bleu En lac de feu ; Et la nuit, une coupe pleine De jasmins à la douce haleine, RIMES LEGERES. Groupés autour d'un lis d'argent Toujours changeant. Là, toujours de la solitude, Profond silence et quiétude; Jamais de regards curieux Et d'envieux. Heureux, heureux qui jeune encore- Y conduit celle qu'il adore ! La vie est un rêve de miel Sous ce beau ciel. LES BORDS DE LA MER. Voilà le soleil qui se penche Et qui décline vers la mer : Allons sur la falaise blanche Respirer la fraîcheur de l'air. Là nous verrons les barques frêles Passer, repasser sur les flots, Et tremper, comme des oiseaux, Dans l'onde le bout de leurs ailes ; Nous verrons, à nos pieds soumis, Courir le troupeau des nuages, Et les hommes le long des plages Cheminer comme des fourmis; Nous verrons la vague sonore Se fondre à l'horizon brumeux, 32 RIMES LÉGÈRES. Nous verrons quelque chose encore De plus grand que la mer, — les deux; Et là, sur la haute colline, Loin des cris et des pas humains, Appuyé contre ta poitrine, Et les deux mains dans tes deux mains ; Au vaste murmure de l'onde J'écouterai hattre ton cœur, Et sa faible et douce rumeur Dominera la mer profonde. L'EXTASE. Arrivés au pin, noir ombrage, Où devaient s'arrêter leurs pas, L'adieu leur ôte tout courage Et tous les deux ouvrent les bras. Alors, dans l'étreinte charmante, Pour la première fois l'amant Sent les lèvres de son amante Frémir sur sa bouche un moment. Divin élan de la tendresse! Ce fut comme éclair dans la nuit; Mais de ses sens bientôt maîtresse, L'amante au cœur troublé s'enfuit. Quant à l'ami, plein de la flamme Qu'Amour sur lui vient d'épancher, 34 RIMES LÉGÈRES. 11 en tressaille encor dans l'âme Et du sol ne peut s'arracher. Ivre de joie, au pied de l'arbre Où l'enchaîne sa vive ardeur, Il reste là, blanc comme un marbre, A savourer son grand bonheur. Et là, bien que sur la nature Règne en tyran le sombre hiver, Il ne sent rien de la morsure Des vents du nord qui glacent l'air.. Il voit les bois aux fronts moroses De verts feuillages resplendir, La neige se couvre de roses, Le ciel gris luit comme un saphir. Tout lui rit, et sa voix touchante Exhalée en sons éclatants, Comme l'ardent rossignol, chante Un hymne d'amour au printemps. L'HEUREUSE FIN.. Sous des bois frais, embaumants, Erraient deux jeunes amants : Le vent souffle, un arbre tombe, Et les voilà dans la tombe. Quel bonheur ce fut pour eux! Mourir du coup tous les deux, C'est vraiment un sort d'apôtre : L'un n'eut pas à pleurer l'autre. Imité de l'allemand. L'ENFER. Je viens de l'enfer : Bon Dieu! que de monde! La salle est profonde, 11 y fait très-clair. Là je vis Laurette Qui me dit : Bonjour, Bonjour, mon amour, Pour moi quelle fête! Puis elle ajouta : Sur ma bouche en flamme Penche-toi, mon âme, Tant qu'il te plaira. O vent salutaire ! Maintenant, chéri, De sortir d'ici Plus jamais n'espère. L'ENFER. 37 Alors de bonheur Voilà que j'entonne, O sainte patronne! Ton nom plein d'honneur; Mais ce nom prospère M'enlève à l'instant Des bras de l'enfant Et me met sur terre. Hélas! bien en vain Je suis hors du gouffre, Ici plus je souffre Qu'au noir souterrain : O supplice extrême! L'enfer est vraiment D'être, cœur aimant, Loin de ce qu'on aime. Les deux premiers couplets sont imités d'une chanson florentine. L'HIRONDELLE. J'avais un tendre ami, Que ma peine est cruelle! Mais du village il est parti, Belle hirondelle! 11 est bien loin de moi A la guerre nouvelle; Il est allé servir son roi, Belle hirondelle! J'en gémis nuit et jour, Gomme une tourterelle, Sans pouvoir guérir mon amour, Belle hirondelle! O toi que le bon Dieu Fit si forte de l'aile, Prends en pitié mon mal un peu Belle hirondelle! L'HIRONDELLE. 39 Si tu n'as point frayeur De la poudre mortelle, Va trouver l'ami de mon cœur, IL'ilo hirondelle ! Tu le reconnaîtras A sa noire prunelle ; C'est le plus beau de nos soldats, Belle hirondelle! En ton gazouillement Murmure-lui qu'Estelle L'aime toujours bien tendrement, Belle hirondelle! Mais, ô funeste sort! S'il n'était plus fidèle, Reviens me dire qu'il est mort, Pauvre hirondelle! LE VRAI TRESOR. Le cœur, le cœur de Flavie, Voilà, mon cruel souci, Le soin qui trouble ma vie Et qui la consume aussi. Il est chose si légère Que je tremble bien souvent, Gomme la feuille éphémère, Qu'il ne tourne au moindre vent. Flavie est vraiment divine ; Mais qu'importe sa fraîcheur, Ses beaux yeux, sa taille fine, Hélas! si je n'ai son cœur? Sans le cœur, sans sa tendresse, Qu'est le parfum de l'amour? Plaisir suivi de tristesse Et qui ne dure qu'un jour. LE VRAI TRESOR. 41 Ah ! quand j'ai la certitude Qu*il est bien à moi, ce cœur, En mon humble solitude Je deviens fou de bonheur. Avec ce trésor suprême Je fais fi du monde entier, De la richesse elle-même Et du plus brillant laurier; Tous les trônes de la terre Sont peu de chose à mes yeux, Moins que le grain de poussière Que le vent balaye aux cieux. LES PLAINTES DE SUZETTE. SUR UN VIEUX REFRAIN. Lorsqu'à ma mansarde Grimpe mon amant, A peine il regarde Et cause un moment. Son âme est distraite, Toujours du souci : Vli ! pauvre Suzette ! J'irai chercher un mari A Pondichéri. Si je dis : Mon ange, Allons promener ; Le ciel bleu s'arrange Pour l'après-dîner, Quoique mal étrange L'oMipr h rester. LES PLAINTES DE SUZETTE. 43 Ah ! comme tout change ! J'irai chercher un mari À Pondichéri. Ma voix si légère Qu'il admirait tant Ne sait plus lui plaire Et fausse à présent ; La jeune fauvette Au freclon brillant N'est qu'une chouette : J'irai chercher un mari A Pondichéri. En vain je l'embrasse De douce façon, Lui froid comme glace Me tend le menton ; Toujours je chiffonne Sa chemise à pli. Ah ! s'il m'abandonne, .J'irai chercher un mari A Pondichéri. LE COEUR FAIBLE. GHAZEL. Éloigne, éloigne ces beaux yeux Que trop souvent vers d'autres yeux Tu te plais à porter, cruelle ! Éloigne, éloigne ces beaux yeux Dont le regard m'est infidèle. Mais las ! ils sont si doux, tes yeux, Que, malgré le cri de mon âme, Je ne puis faire que mes yeux, N'aillent chercher leur tendre flamme. Phare trompeur, dussent tes yeux, Être cause de mon naufrage, Sur eux toujours iront mes yeux ; Car je n'ai dans mes jours d'orage Pour étoiles que tes beaux yeux. DEPIT D'AMOUR. LOUISA. Hélas, hélas ! qu'est devenue La grande amitié d'Honoré? Chaque jour elle diminue ; C'est tout au plus, quelle pitié ! Si j'en pourrais emplir un dé. HONORÉ. Hélas, hélas! qu'est devenue La tendresse de Louisa? Chaque jour elle diminue ; Avec la mienne pesez-la, La mienne en poids l'emportera ! 3. 10 RIMES LEGERES. LOUISA. Je veux sans délai faire emplette De robe grise et bonnet noir, Pour renoncer à toute fête Et par tout pays faire voir Qu'aux amoureux j'ai dit : Bonsoir! HONORÉ. Et moi, je m'en vais à l'armée Engager mes bras et mon cœur; Quand notre âme n'est plus aimée La vie est pour elle un malheur, Et s'en défaire est le meilleur. LO VI SA. Mais si pourtant plein de tendresse, Mon bel ami me revenait Tel qu'il était pour sa maîtresse ; Comme vite mon cœur dirait : Adieu tristesse et noir bonnet ! HONORÉ. Et moi de même, si ma mie Gomme avant voulait m'accueillir, Adieu la guerre ut sa furie ! Tout mon cœur n'aurait qu'un désir : Avec elle vivre et mourir. Souvenir d'Horace. VOIX DU SORT. Jamais le disque solaire, Dans son cours vainqueur, Deux fois n'échauffe et n'éclaire Les campagnes de la terre D'une égale ardeur. Jamais dans le même automne, Deux fois le beau fruit Qu'avec soin mûrit Pomone Sur le fût qu'il abandonne Ne se reproduit. Jamais le torrent qui passe Ne garde l'élan Des premiers bonds de sa trace ^ Il s'épuise dans l'espace Et meurt faible et lent. 48 RIMES LÉGÈRES. Jamais, lorsque se desserre Un doux nœud d'amour, Si tendrement qu'on opère, Nul doigt ne peut le refaire Tel qu'au premier jour. LE DÉLAISSE. J'étais un jour dans un jardin Où fleurissait un beau jasmin; En se penchant sur mon chemin La blanche fleur avec tendresse Me dit : Prends-moi pour ta maîtresse Une maîtresse! Hélas, hélas! Pauvre garçon, je n'en ai pas! Un joyeux chantre du matin Vint s'abattre près du jasmin Et dit en son joli latin : Écoute cet air de tendresse, Afin d'en charmer ta maîtresse ! Une maîtresse ! Hélas, hélas! Pauvre garçon, je n'en ai pas! 50 RIMES LÉGÈRES. Doux rossignol et blanc jasmin, Pour un plus fortuné destin Conservez votre baume fin Et vos chants d'amoureuse ivresse; Pour moi, je n'ai plus de maîtresse! Ah! ma maîtresse! Hélas, hélas! Le ciel ne me la rendra pas. Entendu dans les Vosges. LES PLEURS DE ROLAND. Je suis comme le noir nuage Par les vents emporté, Et qui sous les grands deux voyage Tristement ballotté. Nuage heureux, son flanc d'albâtre Un jour fut tout vermeil; Mais maintenant, lourd et bleuâtre, Il roule sans soleil. Maintenant plus d'haleine douce, Plus de zéphyr pour lui, Il faut courir : le vent le pousse Rudement jour et nuit. Et plus il va, plus il est sombre, Plus son flanc pluvieux 52 RIMES LEGERES. Recouvre de tristesse et d'ombre Et la terre et les cieux. Ainsi je suis : par la tempête Agité, sans repos, J'erre, je gronde et si j'arrête, Las! c'est pour fondre en eaux. Arioste. CLYTIE. Toi qui cours à grands pas Vers les plaines humides, Toi qu'attirent les bras Des jeunes Néréides, Retiens ton char de feu, Soleil, je t'en supplie, Et prends pitié, grand Dieu ! De la pauvre Clytie. Vois comme de mon front Les roses se ternissent ! D'un froid mortel et prompt Mes deux lèvres pâlissent : Semblable au vent du soir Qui frémit dans l'espace, Sur mon cœur sans espoir Je sens la mort qui passe. 54 RIMES LEGERES. Ingrat qui n'aimes plus Et, dès lors, me délaisses, Souviens-toi, blond Phébus, De mes folles tendresses. Mais, hélas ! tout amant, Quand la fleur est cueillie, De son baume enivrant Rarement se soucie. J'ai beau le supplier, Rien n'empêche sa fuite; Les pieds de son coursier N'en volent que plus vite. Déjà sur ses flancs nus L'onde amère bouillonne, Déjà je ne vois plus Qu'un peu de sa couronne. Adieu, divin soleil, Cher soutien de ma vie! Avec ton front vermeil Mon âme s'est enfuie : Je meurs, mais te suivra Jusqu'au bout ma paupière, Et la mort me prendra En cherchant ta lumière. LE DÉSESPÈRE. Sonnez, cloches du saint lieu, Je ne pense plus qu'à Dieu! Las! mon cœur s'est fait ermite Depuis le funeste jour Où la passion maudite D'un soldat me prit l'amour De ma gentille Brigitte. Sonnez, cloches du saint lieu, Je ne pense plus qu'à Dieu! Depuis ce jour, en lui-même Mon cœur sombre est retiré; Mon cœur plus ne cherche et n'aime Ce qu'il avait adoré, La nature et l'art suprême. 56 RIMES LÉGÈRES. Sonnez, cloches du saint lieu, Je ne pense plus qu'à Dieu! 0 Brigitte! enfant cruelle, Si tu voulais par hasard Revenir au cœur fidèle, Sache bien qu'il est trop tard Pour lui rendre l'étincelle. Sonnez, cloches du saint lieu, Je ne pense plus qu'à Dieu! L k M E N T 0. Hélas ! combien frêles choses Sont les plaisirs de l'amour ! Un peu de vent sur des roses, Le court éclat d'un beau jour. De leur douceur souveraine Que pouvons-nous retenir? Presque rien, une ombre vaine, Une idée, un souvenir. Et plus on va, plus la trace Se perd au cœur oublieux, Plus l'aile du temps efface Le sillon des jours heureux. Amour, amour, ton délire JN'était fait que pour le ciel, Et non pour les cœurs de cire De l'habitacle mortel ! ÉNIGMES. 1 Si le vrai bonheur au terrestre empire Est le doux moment où deux jeunes cœurs, Remplis tous les deux d'égales ardeurs, Au livre d'amour s'entendent pour lire, Pourquoi, dès que l'un veut le livre clore Soit par lassitude ou désir de mieux, Voit-on toujours l'autre, hélas ! malheureux, Au livre d'amour vouloir lire encore? 11 Soit pour un temps, soit pour toute la vie, Quitter sa belle ou bien être quitté, B N 1 G M E S. 59 Telle est partout la triste comédie De notre pauvre humanité. Et quoi qu'on fasse, à chaque départie, Toujours il faut soupirer ou pleurer : S'il n'est lien qui dure dans la vie Pourquoi faui-il s'y rencontrer? LE REPOS. Enfant, sous ce pin sublime Asseyons-nous tous les deux : L'ombre en est large et la cime Rend un son mélodieux. Gomme une onde fraîche et pure Qui s'écoule sans fracas, Cet arbre avec son murmure Te bercera dans mes bras ; Et, sur ta paupière blanche, Ta paupière au bord vermeil, Je verrai de branche en branche Descendre le doux sommeil. Imité do Platon. LA VIGNE ET L'ORMEAU. Un jour l'ormeau dit à la vigne : Aimable vigne, embrassons-nous ; Je t'aime d'une ardeur insigne, Et, jeune et vert, je me crois digne, O vigne, d'être ton époux. LA VIGNE. Bel ormeau, j'ai besoin pour vivre D'appuyer mes reins fléchissants : Ta voix est tendre, elle m'enivre, Et bien volontiers je me livre A tes bras forts et caressants. l'ormeau. Que les autans, troupe inquiète, Dans les airs fassent du fracas ; 4 62 RIMES LEGERES. Chère vigne, mon large faîte Préservera de la tempête La fleur de tes frêles appas. LA VIGNE. Et moi d'une riche couronne J'ornerai ton front protecteur, Et sur ton sein, aux jours d'automne, J'exhalerai, comme Érigone, Les plus doux parfums de mon cœur. l'ormeau. Charmante fille de la plaine, Unissons-nous étroitement ; Que l'amour divin nous enchaîne : Le plaisir de la race humaine Naîtra de notre emhrassement. FLEUR DE BRUYÈRE. Fleur de bruyère, Que vous charmez les yeux Lorsque rayonne aux plus sauvages lieux Votre pourpre légère ! Fleur de bruyère, Vous êtes douce au cœur Gomme l'éclair d'un moment de bonheur Dans une vie amère. Fleur de bruyère, O rose des forêts ! Aux vains trésors des jardins les plus frais L'abeille vous préfère. Fleur de bruyère, Las ! vous brillez encor, 64 RIMES LEGERES. Que de vos sœurs le vent froid de la mort A fait moisson entière. Fleur de bruyère, Laissez-moi vous cueillir : Je veux des bois rendre le souvenir A celle qui m'est chère. LA COURSE DU BERGER. Las de mener mon troupeau vagabond De monts en monts, de plaine en plaine, Sur un roc, près d'une fontaine, J'ai doucement laissé tomber mon front. Là le sommeil aux chansons de la source A fermé mes yeux un instant ; J'ai dormi, puis, le cœur content, J'ai rouvert l'œil et j'ai repris ma course. Tout en marchant, j'ai mené mon troupeau Aux bords fleuris d'une rivière, D'une rivière où fraîche et claire L'onde courait à travers maint roseau. Tandis qu'agneaux paissaient l'herbe profonde, A fleur d'eau nageait le poisson, Et moi, les mains sur mon bâton, Je contemplais ses mille jeux sous l'onde. 4. 06 RIMES LEGERES. L'heure passait ; mais voilà que des chants Frappent mon âme inattentive : Je regarde et, sur l'autre rive, Je vois assis dans l'herbe deux amants. Or ces enfants, au sein de la verdure, Sans voir qui venait si près d'eux. Comme au nid des oiseaux heureux. Chantaient l'amour et la belle nature. A leur gaîté, de mon antique ardeur Me revint prompte souvenance; Le temps de mon adolescence Comme un trait d'or repassa dans mon cœur, Et je leurs dis : De cette heure bénie Jouissez bien, heureux amants ! Ainsi que l'onde aux bruits charmants, L'heure d'amour n'est que trop vite enfuie. LES APPARENCES. Ce n'est pas toujours l'onde qui bouillonne Le flot le moins pur, Ni le firmament calme et qui rayonne Le ciel le plus sûr. Ce n'est pas toujours la fleur la plus belle Qui sent le meilleur, Ni l'oiseau montant sur la plus grande aile Le plus haut rameur. Ce n'est pas toujours cœur qui se lamente Le plus douloureux, Ni toujours celui qui rit et qui chante Le moins soucieux. Ce n'est pas toujours le dévot extrême Le plus vrai croyant, Ni toujours celui qui dit : Je vous aime, Le mieux vous aimant. LES CLÉS D'OR. Si mes deux mains étaient clés d'or, J'ouvrirais le cœur de ma belle Et j'obtiendrais de la rebelle Ce qu'elle me refuse encor : Si mes deux mains étaient clés d'or! Si mes deux mains étaient clés d'or, Son cœur serait sans fermeture; J'y puiserais outre mesure L'amour, ineffable trésor : Si mes deux mains étaient clés d'or! Mais las! je n'ai point de clés d'or Pour ouvrir le cœur de ma belle, Je n'ai qu'une plainte éternelle Qui la fatigue et qui l'endort : Hélas! je n'ai point de clés d'or! LES CLES D'OR. 69 Hélas! je n'ai point de clés d'or, Et c'est là ma peine cruelle; Car je mourrai sans que ma belle De son cœur m'ouvre le trésor : Hélas! je n'ai point de clés d'or! BELLE ISABEAU. A sa fenêtre une fille est rêvant; Ses cheveux blonds flottent au gré du vent, Et sur l'hermine De sa blanche poitrine De ses beaux yeux des pleurs tombent souvent. Hélas! hélas! dit-elle avec soupir, Je vois les champs tous les ans refleurir; Puis l'été passe Et l'hiver le remplace Sans qu'amour vienne au logis me quérir. Hélas! hélas! profonde est ma douleur; Car je le sens, m'adviendra le malheur, Moi si gentille, De rester toujours fille, De rester fille avec un tendre cœur. BELLE ISABEAU. Il Sa mère vient sur son sein la presser Et dit : Pourquoi tant de larmes verser? Chère co'ombe, Que ton aile retombe : C'est ton orgueil qui te fait délaisser. Si je savais un jeune et beau garçon Pauvre d'argent, mais de cœur franc et bon, Pour lui mon âme Serait pleine de flamme, Je l'aimerais, mère, avec passion. Je sais, ma fille, un jeune et beau garçon : Riche il n'est pas , mais il a le cœur bon , Et, triste et sombre, Depuis des jours sans nombre Ce garçon t'aime à perdre la raison. LE COMTE GUY. Dans un verger, au bord d'une fontaine Dont claire est l'onde et dont blanche est l'arène, Fille de roi, triste et le front pâli, Pense à l'ami dont l'absence la peine : Ah! comte Guy! Fleur de gaîté votre amour m'a ravi. Ah! comte Guy! j'ai sombre destinée; A vieux mari mon père m'a donnée : En son manoir toujours seule avec lui, Jamais n'en sors, ni soir ni matinée. Ah! comte Guy! Fleur de gaîté votre amour m'a ravi. Las! de l'époux la plainte est entendue, Et de colère il vient, l'âme éperdue, Battre la belle au cœur plein de souci LE COMTE GUY. T.l Tant qu'à ses pieds morte elle est étendue. Ah! comte Guy! Fleur de gaîté votre amour m'a ravi. Bientôt, de mort la belle retirée Invoque Dieu, pauvre désespérée! Et dit : Seigneur! faites que mon ami A mon secours vienne cette vcsprée. Ah ! comte Guy ! Fleur de gaîté votre amour m'a ravi. Au cœur de Dieu la prière est entrée : Le comte est près de la douce éplorée... Sous un grand arbre elle est seule avec lui, Et là, d'amour mainte larme est pleurée. Ah! comte Guy! Fleur de gaîté votre amour m'a ravi. Romance d'un vieux trouvère, rajeunie. LE ROI D'ARAGON. Un jour le roi d'Espagne Du haut d'une montagne Regardait sur la mer Courir le flot amer. Il voyait les galères Actives et légères, Avec un blanc sillon, Monter h l'horizon. Puis il voyait encore Naples que le ciel dore D'un ra\ on (''datant, Et disait, soupirant : Cité pleine de charmes, Que tu me vaux de larmes! LE ROI D'ARAGON. 75 Tu me coûtes vingt ans Les meilleurs de mon temps; L'amour d'un noble frère Qui n'avait point sur terre Son pareil en beauté, En intrépidité ; Tu me coûtes des hommes Très-vaillants, et des sommes A bâtir cent châteaux, Cent villes à créneaux , Puis encor, quel dommage! Un charmant petit page, Un doux enfant, ma foi, Que j'aimais plus que moi. Imité de l'espagnol. LE VŒU DU TROUVERE. Triste, le cœur sans flamme, Ses pas, sous des bois verts Erraient, quand d'une femme La voix frappe les airs. Cette voix jeune et belle Avait tant de langueur Qu'il se dit : D'où vient-elle, D'où vient ce cbant du cœur? Soudain le dieu volage Qui traversait l'azur Le mène vers l'ombrage D'où partait le cbant pur : Tiens, fait-il, voilà celle Dont la voix te plaît tant; C'est une jouvencelle Pâle de mon tourment. LE VŒU DU TROUVERE. 77 Amour, ô divin maître, Lui répond-il alors, Si ta peine fait naître De si divins accords, De cette jeune amante Donne-moi les douleurs, Et ma lèvre brûlante Enivrera les cœurs. LA FILLE DU MENDIANT, A l'ombre d'un mur en ruine, Pauvre fille du mendiant, Elle était là, se reposant Les bras croisés sur sa poitrine... Soudain passent de durs soldats Qui vont l'entraînant sur leurs pas. Elle paraît devant le trône, Les deux pieds nus, le front baissé, Devant le trône où baut placé Le roi dans sa pourpre rayonne; Et l'on dit par toute la cour : Elle est plus belle (pie le jour Comme une lune dans l'orage, Elle brille sous ses baillons : LA FILLE DU MENDIANT. L'Egypte et tous ses Pharaons N'ont jamais vu plus pur visage. Les uns vantent ses noirs cheveux, Les autres vantent ses beaux yeux. Si douce est sa pâle figure, Si gracieuse sa candeur, Que le roi sent frémir son cœur... Jl se lève et dit : Je le jure, Cette humble enfant de grand chemin Sera mon épouse demain. Imité de l'anglais. LA DAME VERTE. 0 vous qui courez par les bois, Jeunes gars à la jambe alerte, Connaissez-vous la dame verte, Avez-vous entendu sa voix? On dit qu'elle est jeune et belle, Svclte comme le bouleau , Vive comme l'hirondelle Qui voltige au bord de l'eau. Quand sur l'herbe elle s'avance, Cette reine du printemps, Tous les arbustes contents Lui font humble révérence. Le jour mollement assise Sous Les taillis les plus frais, Des fleurettes à la brise LA DAME VERTE. 81 Elle conto les secrets; Puis, lorsque la lune éclaire, Elle chante des chansons Si douces que leurs doux sons Tous les rossignols font taire. On dit aussi qu'il est sage De ne pas trop l'écouter; Car à son divin langage Guère on ne peut résister. Pris d'amour pour la sirène, Le mortel qu'elle a ravi Rarement est ressorti De son verdoyant domaine. Hélas! telle est l'aventure Du châtelain d'Hérival : Égaré sous la verdure Par ce lai doux et fatal , Auprès de l'enchanteresse Il oublia pour toujours La vierge qui, nuits et jours, Mourait pour lui de tendresse. O vous qui courez par les bois, Jeunes gars à la jambe alerte, Prenez garde à la dame verte, Et n'écoutez pas trop sa voix. Légende franc-comtoise. LE RÉVEIL DU CHASSEUR. CHRISTINE. Jeune chasseur, objet de mon amour, Est-ce bien toi qui dors sur la bruyère? Voilà ton chien; ton arme meurtrière, A tes côtés, brille des feux du jour; Un songe heureux se peint sur ton visage. Sans doute aucun tu rêves des exploits; Et moi , cachée à demi dans le bois , Je n'ose point m'élancer du feuillage. JOËL. L'être charmant qu'on rêve en son sommeil A beau vous fuir aux blancheurs de l'aurore, Son frais aspect longtemps vous trouble encore; Ou croit le voir au moment du réveil. LE REVEIL DU CHASSEUR. 83 Ainsi j'ai cru voir briller la figure De mon amour sous le feuillage épais; Mais une brise aussitôt sur ses traits A refermé le rideau de verdure. CHRISTINE. Fuyons , fuyons loin du jeune chasseur, Car devant lui je tremble d'apparaître. Hélas! pourquoi lui ferai-je connaître Mon tendre émoi, le secret de mon cœur? Comme le flot qui monte et qui s'abaisse, Mon sein gonflé s'agite avec soupir; Mais le voilà qui se lève... il va fuir; 0 ciel! mon âme est pleine de tristesse! JOËL. J'entends l'appel de mes chers compagnons, Le bruit du cor résonne à mon oreille; Allons ! debout ! malheur à qui sommeille ! Rejoignons-les sur la crête des monts; Courons; et toi, dont je cherche l'image, Toi qui me fuis , ô belle , mon amour, Sors du bois sombre et viens, comme le jour, Par ton sourire animer mon courage. Imité d'un vieux barde. LE LABOUREUR. Comme j'étais un matin dans les champs, Au temps heureux où renaît la nature, Un laboureur à la voix jeune et pure Non loin de moi frappait l'air de se3 chants. Et de sa voix l'accent naïf et vrai Me charmait Pâme et me faisait envie; Car il disait : Non, il n'est pas de vie Comme la notre aux jours du mois de mai! Au gai matin nous voyons vers les cieux L'oiseau monter, le frais sur la poitrine; Et, jusqu'au soir, l'alouette divine Gazouille et chante avec nos cœur3 joyeux. Traduil libremenl de Rurns. LE VIEUX PAUVRE. Je vais de hameaux en hameaux Traînant le corps, penchant la face : Je n'ai rien que mes deux sabots, Mon bâton blanc et ma besace. Souvent au bord d'un grand chemin Je m'assieds sous le vert feuillage; Et là je montre de la main La route au piéton qui voyage. Je souris aux petits garçons Qui me disent : Eh! bonjour, père! Et je leur chante des chansons Pour égayer leur cœur sincère. Ce n'est que lorsque j'ai bien faim Que je demande aux gens l'aumône : 86 RIMES LÉGÈRES. Ici du vin, et là du pain; Et presque partout l'on me donne. Ah! je n'ai pas le cœur méchant, Je suis sans envie et sans ruse , Et je bénis d'un vœu touchant Qui me donne et qui me refuse. Pourquoi pleurer, pourquoi gémir Sur ma vieillesse vagahonde? Riche ou pauvre, il faut tous mourir : Moins on a, mieux on sort du monde. Si je suis bon, je sais que Dieu, Bien qu'ici-ba^ ma part soit mince , Quelque beau jour dans le ciel bleu Me fera plus riche qu'un prince. LES BLUETS. Les bluets sont fleuris; Dans les blés mûris Ils croissent par mille. Les blnets sont fleuris : Sortons de la ville, Sortons de Paris. Ah! quel plaisir, Lucette, Quel plaisir de respirer l'air Autrement que par l'huis ouvert D'une étroite chambrette! Quel plaisir de voir dans les champs La moisson toute blonde Sous la fraîche haleine des vents, S'enfler et rouler comme l'onde ! 88 RIMES LÉGÈRES. Prends à la main ta fille Et, ton bras posé sur mon bras, Allons faire un tour pas à pas, Dans la plaine qui brille. Tandis que les bluets en fleurs Tenteront la chérie, Des souvenirs doux à nos cœurs Nous mettront l'âme en rêverie. Les bluets, ma Lucette, Sont fleurs que chérissent les cieux Je veux que notre enfant joyeux S'en couronne la tête. En lui vo}rant l'azur au front, Tous les gens de la plaine Avec un sourire diront : Vive l'été : voilà sa reine! Les bluets sont fleuris; Dans les blés mûris Ils croissent par mille. Les bluets sont fleuris : Sortons de la ville, Sortons de Paris. LA CHATAIGNE. La châtaigne commence A paraître aux faubourgs : C'est l'hiver qui s'avance; Adieu les beaux jours! Cher Paris, tes dimanches Ne verront plus sortir Habits neufs, robes blanches Avec tant de plaisir. Fleur en main, l'âme tendre, Aux champs l'on n'ira plus Folâtrer et s'étendre Sur les gazons touffus. Plus de filles alertes Tout le jour travaillant, Les fenêtres ouvertes , Au soleil sémillant; 00 RIMES LEGERES. Plus de jeux à la brune Sur le seuil des maisons, D'amours au clair de lune, De danses, de chansons! Il faut que l'on reprenne Les ennuis du logis Et les longs jours de peine Et les plus longues nuits; Et que chacun demeure Près d'un rouge tison A voir s'écouler l'heure : Oh ! la triste saison ! La châtaigne commence A paraître aux faubourgs; C'est l'hiver qui s'avance : Adieu les beaux jours! LE JOUEUR DE VIELLE. Assez , assez tourner ta vielle : Voici deux sous, tiens, pauvre enfant! Merci de ta chanson nouvelle, De ton air vif et sautillant. Pourquoi rester dans cette rue Où de toi l'on fait si peu cas? Jouer ici , peine perdue : L'on passe et ne t'écoute pas. Il est des endroits par la ville Moins riches et moins fréquentés Où de ta vielle, enfant débile, Les airs seront mieux écoutés. Ce sont ceux que le pauvre habite, Ceux où, penché sur un métier, 92 RIMES LEGERES. L'ouvrier, dans un humble gîte , Passe le jour à travailler. Porte en ces lieux ta manivelle, Et là, de gentille façon, Fais éclore sous ta main frôle Une fine et tendre chanson. Là, plus d'une fenêtre sombre Pour t'écouter s'entr'ouvrira : Même à tes pieds du sein de l'ombre Plus d'un gros sou rebondira : Car musique aux notes de flamme Fait au pauvre un bien sans pareil : Elle est pour l'hiver de son âme Un rayon de divin soleil. LE RÊVE DE LA SERVANTE. L'autre jour la pauvre Marie Dans une rue entend chanter, Au fond d'une cage fleurie, Une alouette au cri léger; Et voilà que son âme en peine S'ouvre aux rêves les plus touchants, Car cette note lui ramène La douce image de ses champs. Soudain elle voit sa montagne S'élever au milieu des airs, Les beaux vallons de la Limagne Avec leurs grands châtaigniers verts; Elle voit Te ruisseau rapide Qui descend du coteau voisin Porter son eau vive et limpide A la meule du vieux moulin; 94 RIMES LÉGÈRES. Elle voit lu vert pâturage Où tant do fois clic a mené Une chèvre blanche et sauvage Bondir avec son nouveau-né; Elle voit sa vieille chaumière, Son cher nid, souc les arbres frais, Où tout ce qu'elle aime sur terre Loin d'elle, hélas! réside en paix; Elle s'arrête, et sa pensée Avec son âme est dans les cieux; Riais l'image tant caressée Bientôt se dérobe à ses yeux. Un bruit cha'sse sa rêverie; Elle sort de sa douce erreur; Adieu montagne, adieu prairie, Avec vous était le bonheur! Souvenir de Wordsworth. LES DEUX IVRESSES. Quand, le soir, ta lèvre vermeille, Enflammée, au velours pareille, Sur la mienne s'en vient frémir, Ah! quel plaisir! Mais quand, les yeux remplis de larmes, Tu m'appelles dans tes alarmes Et presses mon cœur sur ton cœur, Oh! quel bonheur! LES AILES.. Des ailes! des ailes! Oiseaux des forêts, Comme vous, des ailes Légères et belles Combien je voudrais! Des ailes, des ailes De blanche couleur, Pour voler sur elles Aux vieilles tourelles Qui gardent mon cœur. Des ailes, des ailes D'un bleu vif et pur Pour faire avec elles Aux sombres prunelles Luire un peu d'azur. LES AILES. 97 Des ailes, des ailes Enfin tout de feu , Pour fuir avec elles Les haines mortelles Et monter à Dieu. LIBERTAS. Il est Lien doux d'errer sur les montagnes Et dans les champs au gazon velouté, Comme le fils des célestes campagnes, L'oiseau léger par les vents emporté : Vive la liberté ! Il est bien doux, la nuit, quand le froid sème De blancs flocons sur le sol attristé, De reposer près de celle qu'on aime, Sous un toit chaud, en toute sûreté : Vive la liberté! Il est bien doux de prendre de la peine Et d'amasser de l'or en quantité Pour faire rois de son petit domaine Les fruits charmants de a virilité: Vive la liberté! LIBRRTAS. 99 Il est bien doux, sur le> ailes de l'âme, De parcourir le monde illimité, S:m> autre borne à ses pensers de flamme Que la justice et la divinité : Vive la liberté! L'ETOILE. Pèlerine des deux En éternel voyage, Étoile dont l'image Se dérobe à mes yeux, Qui te pousse en l'espace D'une si vive ardeur Et fait de ta lueur Un feu follet qui passe? Bien doux il me serait De te revoir encore, Cher astre que j'implore Et vois fuir à regret ; Car mon ame alanguie, Chaque soir dans les cieux, Aimerait à tes feux Reprendre un peu de vie. L'É TOILE. 101 Mais qu'est-ce que le vent D'une bouche mortelle Pour retenir près d'elle Ton corps toujours mouvant! Oh ! qu'est-ce que mon âme Et tout son vain plaisir Près du noble désir Qui te meut et t'enflamme! Va, poursuis ton destin, 0 fille de lumière ! Abandonne la terre Pour un sort plus divin. Vers l'essence éternelle Hàte-toi de courir, Afin de devenir De plus belle en plus belle. LUX. Du ciel descend la lumière éclatante, Et comme un fleuve elle y coule abondante. Entre chaque être et le fort créateur, La lumière est un doux médiateur. Avant la terre et le soleil lui-môme Étincelait la lumière suprême. Ce fut de Dieu le. plus parfait rayon Qui fut l'auteur de la création. Toujours plus dru, t ujours plus radieuses, Tombent d'en haut les flèches lumineuses. Ahriman même, au front d'ombres chargé, Dans la lumière un jour sera plongé. Imité du comte Platon. CHANSON DE BETTINE. Je sens dans mon âme Ce que sent le grain, Quand l'être divin Sur la terre en flamme Verse, au renouveau, La fraîcheur de l'eau. Le plus petit germe, Le moindre embryon. Encore en prison Soin la terre ferme, Pressent la saison Dj sa floraison. 104 RIMES LÉGÈRES. Et moi tout de même Dans mon humble coin Je pressens de loin Le bonheur suprême, L'avenir serein D'un amour sans fin. LE TOMBEAU. Je fus, un jour de mai, Voir le lit de verdure Où celle que j'aimai Dort, pauvre créature! Un rosier des plus verts Fleurissait auprès d'elle : Il embaumait les airs De son odeur nouvelle. Je restai bien longtemps Devant, les yeux en larmes. Les tombes au printemps Revêtent tant de charmes! Quand je voulus partir, L'arbre à la fleur divine, 106 RIMES LÉGÈRES. Semblant me retenir, M'accrocha d'une épine. Las! je crus un moment Que l'âme de ma mie Avait en mouvement Mis la branche fleurie; Et je pensai soudain Au temps où, douce chose! Me retenaient sa main Et ses lèvres de rose. LA TOURTERELLE. La tourterelle au fond des bois Roucoule une chanson plaintive : Aux soupirs de sa triste voix Je n'ai pas l'âme inattentive. Quelque dur que soit le tourment Qui fait battre ce cœur fidèle, Je voudrais bien en ce moment Gémir et me plaindre comme elle. Oui, la plainte que nuit et jour Elle jette au ciel, je l'envie; Car en son cœur ce cri d'amour Est le vrai signe de la vie. O mes amis! bonheur d'élus Vaut seul l'instant où l'on adore : Dites à ceux qui n'aiment plus, S'ils le peuvent, d'aimer encore! CAUSERIE. ELLE. Comment se fait-il que la beauté change Aux yeux de celui qui n'a plus d'amour, Si bien que son cœur ne peut , chose étrange , Croire qu'elle fut son idole un jour? LUI. C'est que la beauté, ce charme suprême, A moins dans les yeux qu'au cœur son secret : Qu'est-ce que beauté? c'est ce que l'on aime, Telle heure et tel jour, c'est ce qui nous plaît. ELLE. Alors , quand désir d'amour vous entraîne , De tout son pouvoir on doit résister, CAUSERIE. 109 Pour ne pas sentir la terrible peine De voir, malgré soi, l'aimé vous quitter. LDI. A quoi bon un plan que l'on ne peut suivre, Et, quand vient l'amour, pourquoi donc le fuir? Il nous faut aimer comme il nous faut vivre, Vivre en sachant bien qu'il faudra mourir. SI L'ON A DU CŒUR. Suivre tes pas, Amour, N'est point toujours folie, Fatale fantaisie Dont il faille en la vie Trop regretter le jour. C'est au vœu de nature Céder comme l'oiseau Qui vole où brille l'eau, Où chante le roseau, Où fleurit la verdure. Puis Amour est un dieu Dont l'aile souveraine De la terrestre plaine Tend à monter, hautaine, Jusqu'au céleste feu. SI L'ON A DU CŒUR. Qu'importe que ce maître Si libre bien à tort Vous quitte ou frappe à mort ! Mauvais n'est point le sort Qui vous le fit connaître ; m Car si l'on a du cœur, Malgré l'àpre détresse Qui succède à l'ivresse , Le dieu toujours vous laisse Et plus haut, et meilleur. A LA VIOLETTE ENCORE. Toutes les fois qu'aux bois, aux champs Le printemps met la terre en fête , Mon cœur laisse échapper des chants En ton honneur, ô violette! D'autres fleurs l'emportent sur toi , Rose et lis brillent davantage; Mais tu seras toujours pour moi La fleur de l'amant et du sage. Quand je respire ton odeur, Je crois respirer l'ambroisie Qui s'exhale d'un tendre cœur Qu'un baiser de flamme extasie. Puis mon esprit remonte aux jours Où , sous les ombrages d'Athènes, Platon à ses divins discours Mêlait tes divines haleines. DOCTRINA. Quels beaux jours que ceux où nature, Ceignant sa robe de verdure , Pour nous est prodigue du bien! Qui peut, quand l'air s'emplit de flammes, Qu'Amour parle à toutes les âmes, Ne pas avoir le cœur païen? Qui peut voir les aubes vermeilles , Les bois en fleur, les vertes treilles, Sans chanter Pan, les pieds fourchus; Qui peut voir à travers l'espace La beauté passer dans sa grâce Sans l'adorer comme Vénus? Soyons païens , mais de l'espèce La plus noble, celle de Grèce; En délicats sachons jouir : Sans flétrir sa tige divine, 114 RIMES LEGERES. Joncher le sol de sa ruine, Savourons la fleur du plaisir. Puis, lorsque de la pâle automne L'hiver effeuillant la couronne Nous reprendra dans ses liens , Durant le long deuil de la terre Ouvrons nos cœurs à la misère, Et, chers amis, soyons chrétiens. FOLLE JEUNESSE. Si jeunesse savait Les choses de la vie , Comme cette étourdie Souvent s'épargnerait La plainte et le regret ! Mais elle ne sait pas , Et l'adorable folle A tous les pièges vole Et de funestes lacs Embarrasse ses pas. Et cependant pourquoi Lui vouloir la sagesse Moins folle, la jeunesse Aurait-elle, ma foi, La grâce que j'y voi? 116 RIMES LEGERES. 11 faut, aux premiers ans, Que cette fougue neuve Passe par mainte épreuve Pour comprendre le sens De la vie et du temps. O jeunesse sans yeux , Cours donc à l'aventure Briser ta forme pure Sur les rocs anguleux D'un monde cauteleux ! Quels que soient les effets De ton imprévoyance, Va, toute ma science Encor je donnerais Pour tes rudes échecs ; Oui , pour le souffle amer D'un printemps plein d'orage, Je donnerais, peu sage, L'azur tranquille et clair Du plus beau ciel d'hiver. ÉLOGE D'HAFIZ. GHAZEL. J'aime Hafiz , le rimeur divin , Parce qu'au doux plaisir enclin, En dépit de Mahom lui-même , Il boit et chante le bon vin. Je l'aime encor parce qu'il aime La rose à l'éclat purpurin Et que toujours sa grâce extrême La mêle aux coupes d'un festin. Vin et rose vont bien ensemble ; Entre eux plus d'un rapport commun; Leur couleur souvent se ressemble , Même ivresse dans leur parfum ; Et puis quelle leçon charmante Exhale ce mélange fin 7. 118 RIMES LEGERES. Pour l'âme tendre et trop aimante! C'est mieux que le mot d'un bouquin. L'une vous dit : Je suis la vie Fraîche et hâtive en son déclin; L'autre : L'onde où parfois s'oublie Les amertumes du destin. REVONS TOUJOURS. Rêves charmants qui bercez le sommeil , Pourquoi nous fuir au lever de l'aurore? Auprès de nous restez , restez encore , Malgré le jour et le réveil. Sans vous, hélas! la vie est un désert, Un noir landier d'une amère tristesse, Où peu de temps les roses de liesse Rayonnent sur le gazon vert. Mais rêverie en fait un champ semé De fleurs sans fin. O fils de l'ombre noire, Comme au sommeil faites-moi toujours croire Que j'aime... et que je suis aimé. L'ÉTERNEL INDÉPENDANT. Lorsque d'un logis Amour est en quête, Par monts et par vaux de l'aile il se meut ; Humble ou grand, tout cœur lui va pour retraite ; C'est l'esprit divin qui pose où il veut. Une fois campé dans sdn nid de flamme, Le mettre dehors, nul bras ne le peut : Pour l'en arracher faudrait briser l'âme; C'est l'esprit divin qui flambe où il veut. Cependant, s'il passe en l'air d'autres charmes, Si quelqu'autre cœur l'attire et l'émeut, Rien ne le retient, ni transports ni larmes; C'est l'esprit divin qui vole où il veut. ÉPILOGUE. Après l'amour, ivresse d'un moment, La plus douce folie C'est de laisser de son cœur mollement Couler la rêverie, Et d'embellir la voix du sentiment D'une rime fleurie. Jeu d'Apollon, ô doux plaisir des vers, Qui de toi ne raffole? Comme avec toi sous les ombrages verts Le temps léger s'envole , Et comme aussi du souffle des hivers Ton charme nous console A de plus forts , de plus ambitieux , J'abandonne sans peine Le fier laurier des fronts victorieux 122 RIMES LEGERES. Et la volupté vaine De revêtir, au cri d'un peuple heureux, La toge souveraine. Pour moi , mon vœu le plus vif ici-bas C'est un peu de richesse, Du loisir, et, si Dieu ne me prend pas, Une verte vieillesse Pour m'enivrer jusqu'au jour du trépas De l'onde du Permesse. SILVES 1863 Sous le titre de Silves , dénomination empruntée aux Latins, et signifiant un recueil de poésies sans rapport les unes avec les autres, j'ai rassemblé un assez grand nombre de vers composés ou publiés en dehors de mes œuvres principales, mes satires et mes poëmes. Ce sont pièces intimes , de circonstance , élégies, idylles et inspi- rations de voyage; quelques-unes remontent à une date antérieure à la révolution de Juillet. Il est peut-être hardi d'attirer l'attention publique sur des œuvres de jeunesse; mais le cœur du poëte est fait de telle sorte, qu'il aime avec autant d'ardeur ses premiers-nés que ses derniers, et qu'il croit dignes d'être lus les moindres vers qui lui échappent. C'est une faiblesse si l'on veut, mais une faiblesse dont il a bien de la peine à se dé- fendre, car elle est son plaisir. Un de mes amis, le regrettable M. Léon de Wailly, disait spirituellement que le crime d'infanticide était rare chez les poètes, et il disait juste. Rien n'est plus douloureux pour eux que le sacrifice des productions de leur cerveau. Il se peut qu'ils agissent moins par principe de moralité que par égoïsme, mais telle est leur nature. En raison de ces aveux, espérons que le public voudra bien nous accorder quelque indulgence; il verra d'ailleurs notre point de départ, quelles furent nos tendances juvéniles, nos attractions persistantes, et jugera si, depuis l'heure première jusqu'au jour présent, nous avons suivi assez fidèlement dans notre route l'étoile du beau et du vrai. A. B. Décembre 1863. LE SAULE PLEUREUR. CHANT ÉLÉGIAQUE. A MADAME S. . . NÉE DE SAINT-MORYS. Le chêne a des rameaux qui restent longtemps verts, L'élégant peuplier, sous la voûte des airs , Monte avec grâce et s'y balance ; Le tilleul au printemps jette une douce odeur; Le frêne est délicat, mais au saule pleureur Je donne encor la préférence. C'est sur lui que toujours vont se poser mes yeux, Soit qu'autour d'un tombeau son front religieux Se fonde en larmes de verdure; Soit que penché sur l'onde, en ce tremblant miroir, Gomme une jeune fille avide de se voir, Il suspende sa chevelure. 128 SILVES. Je l'aime, et, quand sur nous l'été darde ses traits,- A son pied il m'est doux de respirer en paix Les fraîcheurs d'une eau fugitive; Là, bien des souvenirs de douleur et d'amour, Bien des rêves touchants m'assiègent tour à tour Et bercent mon âme inactive. Là, le moindre zéphyr qui brouille ses rameaux, Une feuille qui tombe , un mouvement des eaux , Me font des émois pleins de charmes; Derrière sa verdure, un regard du soleil Me plaît comme l'enfant au visage vermeil Qui sourit à travers des larmes. Puis il me semble entendre à l'entour voltiger Des fantômes aimants au corps souple et léger, Aux yeux bleus traversés de flammes, Et, tout en écoutant son murmure plaintif, Je sens passer dans l'air comme un baume furtif De violettes et de femmes... Arbre mélancolique, à la tendre langueur, Que le ciel a créé pour charmer la douleur Et pour inspirer le poëte; Arbre si doux le soir et dans le jour si beau, Puisses-tu, grandissant au bord d'un clair ruisseau, Voiler ma dernière retraite! Que d'autres pour la nuit du sommeil éternel Revent, près des cités, ui tombeau solennel, Marbre splendide et noir feuillage! Moi, je veux qu'on me mène en un vallon désert; Là, je veux une pierre, un peu de gazon vert El la pâleur de ton ombrage. LE SAULE PLEUREUR. 129 Alors , comme un ami veillant à mon repos, Sur ma pierre , agités par le vent , tes rameaux Balaîront la feuille flétrie, Et, peut-être oublié, du moins quelque passant Qui verra mon tombeau si net et si luisant Ne croira pas que l'on m'oublie. Hondainville, 1828. Publié en 1833. LA PÊCHE MANQUÉE. IDYLLE MARINE. A CAMILLE ROQUEPLAN. Thomas est sur la plage Avec son jupon bleu... « Femme, dit-il, courage! Je reviendrai sous peu. C'est devers l'Angleterre Que file le poisson : C'est là qu'il nous faut faire Bien mordre l'hameçon. Oui-da, je saurai tendre Dcxtrement mes filets. Cette fois je veux prendre Tant et tant de carlets, LA PÈCHE MANQUEE. 131 De magnifiques raies , Et d'énormes turbots, De limandes à raies, De rougets longs et gros, De congres, de morues, De soles , de merlans , Que le pavé des rues En soit plein sur deux rangs. J'en veux toute ma charge, J'en veux tant sur mon bord, Que d'une lieue au large L'Anglais me sente au port. Je veux que l'on se dise : On débarque, là-bas, Quelque fameuse prise Du compère Thomas. Et toi , limande fraîche , Je veux , mon barbillon , T'acheter de ma pêche Un rouge cotillon, Pour qu'aux Rameaux, chérie, Vive comme un tison, En te voyant, l'on crie : La belle Louison! Louison , ma mignonne , Allons ! haut dans mes bras ; Vite, à deux mains, luronne, Baise ton vieux Thomas 132 SILVES. Adieu, cher petit ange, Adieu, sèche tes pleurs, Ou bien, enfant, je mange Ta joue et tes couleurs! » Soudain, il prend sa pipe Et , regardant les cieux , Il appelle Philippe, Ses mousses, et, joyeux, Tous , avec la marée , Ils descendent du port, Et , la barque parée , Ils chassent vers le nord... La mer était tranquille Et, de son grand œil vert, Contemplait, immobile, Le ciel gris et couvert. Le bateau , blanc d'écume , Plongeant et s'élevant , Gomme un cheval qui fume, Galopait dans le vent. D'abord ce fut deux voiles Toutes rondes, sans plis; Puis deux blanches étoiles , Puis l'aile d'un courlis; Puis une chose vague Qu'on ne voyait plus bien , Un nuage, une vague, Un point noir, et puis... rien. LA PÈCHE MANQUES. 133 II. a Entends-tu , ma petite, Résonner le galet? Allons-nous-en bien vite Au chenal du Polet. Dieu! que la mer est haute, Et comme il vente fort! Jésus! la vague saute Jusqu'au fanal du port. Qu'aucun marin ne bouge; La méchante, ce soir, A mis son bonnet rouge Et son grand sarrau noir; Car vraiment il éclaire A vous crever les yeux; Et la mer en colère S'en va battre les cieux. Comme des hirondelles Que l'émouchet poursuit , Et qui, promptes des ailes, Regagnent leur réduit, Vois-tu toutes les lames Se couvrir de bateaux? Que de cris, que de rames, Que d'hommes sur les flots! 134 SILVES. Voici Jean, le pilote, Avec son porte-voix , Sa péniche qui flotte Comme un zeste de noix. Hélas! il a beau faire, Il aura bien du mal : C'est une rude affaire Que d'entrer au chenal. Mais le voilà qui passe Avec d'autres rameurs, Et voilà sur leur trace Tous nos braves pêcheurs. Regarde bien , ma fille ; Dis-moi, ne vois-tu pas Notre barque gentille Au milieu de ces mâts? Tu sais comme elle est faite Peinte de frais goudron, Elle porte à son faîte Un rouge pavillon; Puis c'est ta sœur aînée, Et grande sœur souvent Sur la mer t'a menée Et promenée au vent. Appelle-la , ma mie , Appelle-la bien fort, Et dis-lui : Sœur chérie, Retourne vite au port! LA PÈCHE MANQUÉE. 135 Car tu soutiens mon père , Et tu ne voudrais pas Faire mourir ma mère Et moi de son trépas. Ce cher homme ! il me semhle L'entendre encor crier : « Dimanche, tous ensemble, « Nous rirons au foyer. « Oui, dimanche, sur terre « Nous serons tous, morbleu ! <( Pour y boire un plein verre « De bon cidre au bon Dieu. » Et demain, fleurs de Pâques Rayonneront sans lui... O Jésus ! ô saint Jacques ! Gardez-nous notre appui! » Mais la douce parole Est emportée au vent, Et la bourrasque folle Rugit plus fort qu'avant. L'eau tombe à grande serre Sur les pieux du chenal; Dans sa cage de verre S'obscurcit le fanal; Pour la voile tardive Plus de signal du port; Malheur à qui dérive , Ou qui cherche le bord! 136 , SILVES. Le tonnerre dans l'ombre Redouble de fureur; Toute la mer est sombre, Et la terre en stupeur. Alors la pauvre femme Entraînant son enfant, La crainte au fond de l'àme, Et le cœur étouffant, Regagne sa chaumière , Et là, le Christ en main, Elle reste en prière Juscru.es au lendemain. ni. Le lendemain, l'orage Ayant fui sans retour, Dieppe sur sa plage Revoyait un beau jour. Le soleil ouvrait l'onde De sa carène d'or, Et l'onde calme et blonde Descendait dans le port. Comme une jeune fille, Oui danse en s'habillant, (Iliaque nef sur sa quille Sautait en s'éveillant; LA PÈCHE MANQUES. 1M7 Et, dos sabords au faîte, Sur les mâts, los haubans, Chacune pour la fête Se couvrait de rubans; Car la tour de Saint-Jacques, La tour du pèlerin, Pour la fête de Pâques Mettait cloches en train; Et les cloches meurtries A tous les matelots Chantaient Pâques fleuries, Le saint jour des Rameaux... La grande messe dite, Et dit Vite Missa , De l'église bénite La foule s'éclipsa. Les uns dans les guinguettes Furent vider les pots, Les autres des rillettes Suivre les gais troupeaux. Et tout lieu, toute voie S'emplissaient de chansons; Mais, tandis que la joie Illuminait les fronts, Une femme agitée, Dans ses bras un enfant, Au bout de la jetée Occupait seule un banc. 138 SILVES. Là, triste, solitaire, Son œil avec ardeur Plongeait où l'Angleterre Étale sa blancheur. La mer était sereine, Presque sans mouvement, Et respirant à peine , Comme un enfant dormant. Sur toute sa surface Pure comme un miroir, Lisse comme une glace, Il était beau de voir Les vastes flots se teindre Des reflets du ciel pur, Et tour à tour se peindre De vert tendre et d'azur. Mais de la pauvre femme Rien ne charmait les yeux, Ni l'empyrée en flamme, Ni l'onde aux reflets bleus. Dans cette plaine immense, Tournant presque sans voir, Son œil comme en démence Ne cherchait qu'un point noir. Et la chose éloignée Pourtant ne venait pas, Et la belle journée S'enfuyait à grands pas. LA PÊCHS MANQUÉE. 139 Déjà dans sa carrière Le soleil avançant Traçait sur l'onde amère Un sillon rougissant; Déjà la vague pleine , Au port ne montant plus , Rendait l'attente vaine, Les regards superflus. Alors l'humble chercheuse Allait fuir,... quand, au loin, Sur la mer lumineuse Paraît un petit point. Ce point devient étoile, L'aile d'un goéland, La forme d'une voile Que ballonne le vent; Puis, tel qu'un marin ivre Et qui va de côté, Un bloc qu'on ne peut suivre, Tant il est ballotté ; Puis, tout couvert d'écume Par le flot jaillissant, Comme un cheval qui fume, Un esquif bondissant, La barque à rouge aigrette Du bonhomme Thomas, La sœur de Louisette Balançant ses deux mâts. 140 SILVES. O joie! ô pauvre mère! O doux revirement! Plus de tristesse amère , D'angoisses, de tourment! Allons , vite une amarre ! L'amarre tombe à l'eau; De la corde on s'empare. On tire le bateau; Et, prompt comme une flèche, Et sans toucher le bord , Avec sa voile fraîche Thomas est dans le port. IV. « Holà! bonjour, ma femme, Bonjour mon petit chou , Mon cher ange , mon âme , Vite , tous à mon cou ! Un bon baiser, Louise, Un baiser étouffant, Là , sur ma barbe grise ! Encore, encore, enfant! Ah ! grand Dieu ! quelle crainte De ne plus vous revoir! A la Vierge très-sainte, Du matin Jusqu'au soir, LA PÊCHE MANQUES, 141 Vous avez, je le pense, Adressé force vœux; Car la bourrasque immense M'a fait filer des nœuds, Des nœuds à perdre haleine; J'ai tenu comme il faut, Mais n'est barque qui tienne Quand Dieu souffle là-haut. Fumant comme une pipe, Et jurant comme un chien, Vainement à Philippe Je criais : Ce n'est rien; Va, le vent, ce maroufle, Est un de nos amis , Voilà cent ans qu'il souffle Pour nous de père en fils. Bast ! le vent a fait rage Tant et tant, qu'à la fin La mer dans le sillage A repris mon butin ; Et mes superbes raies, Et mes rougets si beaux, Mes limandes à raies, Mes énormes turbots, Mes soles, mes barbues, Mes carlets, mes merlans, Mes congres, mes morues, Poissons petits et grands, M2 SILVES. Enfin toute ma charge Le poids de mon bateau , Tout a repris le large, Tout est rentré dans l'eau. Pauvres gens que nous sommes ! Je comptais pourtant bien Tirer de bonnes sommes De ma pèche. ..Eh bien, rien; Rien pour toi, chère femme, Ni toi, bijou vermeil; C'est à me fendre l'âme, Un guignon sans pareil. Mais après tout la perte N'est pas si grande encor; Si ma barque est déserte , Voici mieux que de l'or. Au diable donc la lame, La barque , le poisson ! J'ai retrouvé ma femme, Ma femme et Louison. » Aussitôt le bon père, De la main essuyant Une larme légère Sur sa joue ondoyant, A sa chère petite Donne baisers nouveaux; Et la mettant ensuite A cheval sur son dos, LA PÊCHE MANQUÉE. J43 Avec sa douce femme, Au foyer qui l'attend, Léger de corps et d'àmc , Il retourne eu chantant. Souvenir d'atelier, écrit en 1828. LES ELEMENTS. PETIT POEME. !. L'EAU OU LES JEUX DE NISA. Sous l'ombrage d'un pin à la tige hautaine, Où le tiède courant d'une pure fontaine S'arrondit en bassin, Une enfant de Gatane a jeté dès l'aurore Sa robe aux rameaux verts, et la vierge est encore Là, depuis le matin. Elle est là, comme au monde elle s'en est venue, N'ayant pour vêtement sous l'onde, toute nue, Que le voile des eaux; Elle' est là, sur le sable et sur la nue mousse, Comme à l'abri du ciel une naïade douce Au creux de ses roseaux. L'EAU. 145 Et pourquoi s'en aller? Pour Nisa l'enfantine, Pour Nisa les yeux bleus, à la bouche argentine, Aux quatorze printemps, Après les belles fleurs , les baisers de sa mère , Sous un arbre embaumé se baigner en l'eau claire Est tout, son passe-temps. Là, mollement, à l'aise, et le frais sur la joue, Et ne pensant qu'à l'onde, avec l'onde elle joue; Là, de mille façons, Elle agite ses mains et ride l'eau fragile, Comme le vent du soir plisse sa robe agile , En dansant aux chansons. Tantôt elle fait peur aux noires hirondelles Qui vont à l'étourdie offenser de leurs ailes Son limpide cristal ; Tantôt elle secourt une fourmi qui nage Et qui cherche à grand'peine à gagner le rivage Et le gazon natal. Puis dans l'onde elle effeuille une touffe de roses, Puis elle enfle sa joue, et, les lèvres mi-closes, Du pur souffle qui sort Elle fait la tempête à sa flotte odorante, Qui sous ses jeunes seins se réfugie errante Comme au milieu d'un port. Puis soudain attentive , elle prête l'oreille Au vol sonore et doux de quelque vive abeille Qui passe et court au miel, Ou bien toute ravie elle ouït la cigale Qui chante des chansons dont la douceur égal La musique du ciel. 9 146 S1LVES. Puis enfin clic rêve et dort, et toute blonde Sa tète sur son bras se replie et dans l'onde Plonge et flotte à demi , Comme un beau cygne blanc qu'une vierge naïve Trouve encor le matin aux herbes de la rive Dans sa plume endormi. Alors si quelque bruit s'agite sur sa tête , La dormeuse s'éveille et croit, bien inquiète, Ouïr des pas humains, Et vite la voilà, plus rouge qu'une mûre, Qui tremble, s'accroupit, et dans l'eau qui murmure Se cache sous ses mains. Mais bientôt le bruit cesse , et Nisa , la timide , A travers ses cheveux glisse un regard humide, Crainte encore du bruit, Et le rire lui part, en voyant sous la branche Pendre le front barbu d'un chevreau qui se penche , La regarde et s'enfuit. Écrit en 1829. Publié en septembre 1830. II. LE FEU OU LA CHANSON D ALINE. Voici l'hiver : l'oiseau quitte la branche , La bise souffle, et sur ma vitre blanche Le froid commence à dessiner des fleurs; L'hiver est triste et long pour une fille ; Pourtant auprès du foyer qui pétille Je dis tout bas en essuyant mes pleurs : Ah ! si l'ami que rêve ma jeune âme De mon foyer était la douce flamme , L'hiver vaudrait les plus belles saisons, Et le printemps aux brillantes merveilles, Aux gazons verts, aux fleurettes vermeilles, Me rirait moins que l'éclat des tisons. 148 S IL VF. S. S'il était feu, que me ferait la bise, Le ciel brumeux avec sa couleur grise, La blanche ucige et ses flocons épais? Que me ferait de voir glaçonncr l'onde? Que me ferait de voir geler le monde? S'il était feu , gèlerais-je jamais ! S'il était feu, pour sa moindre étincelle Je donnerais tous mes biens de pucelle, Mes tins joyaux, mon petit coffret d'or, Mes bracelets, ma colombe au pied rose, Le myrte blanc que tous les jours j'arrose, Mon luth d'ébène et mon beau chien Médor. Je donnerais tout, jusqu'à ma parure, Ma mante verte à la blanche fourrure , Le chaperon que j'aime tant porter, Ma ferronnière et ma robe isabelle; Je donnerais le bonheur d'être belle, D'ouïr cent voix tout bas le répéter. S'il était feu, le titre de baronne, Tout un duché, tout l'or d'une couronne, Me charmeraient et me tenteraient peu; Quand môme au ciel je pourrais être un ange, Je ne sais pas si je ferais l'échange D' n coin du ciel pour le coin de mon feu. Que j'aimerais, seule, dans ma chambrette, A lutiner sa flamme violette, A l'agacer et toujours à la voir Se denteler, se dérouler en bande, Sauter, bondir, danser la sarabande Tout à l'entour de mon grand foyer noir! • LE FEU. 149 Que j'aimerais devant la rouge braise, Sur mes chenets posant mes pieds à l'aise, Rêver d'amour sans trouble et sans pâleur! S'il était feu, que je serais joyeuse, Dans les longs plis de ma robe soyeuse, De retenir sa brûlante chaleur! 0 feu divin! j'en prendrais soin extrême; Pendant le jour il aurait ce qu'il aime : Force rameaux de chêne et de sapin; Et quand mes yeux verraient la nuit descendre, Je le mettrais sur un bon lit de cendre, Pour sommeiller en paix jusqu'au matin. Heureuse enfin au gré de mon envie, Je le ferais brûler toute ma vie : Jusqu'à ma mort je le voudrais nourrir, Et je n'aurais qu'un souci, qu'une crainte, Las! ce serait de voir sa flamme éteinte; Car, s'il mourait, il me faudrait mourir. Écrit et publié on 1828. III. LA TERRE OU LES DANSEURS DE GRENADE. Douce guitare et tambourin, Sonnez d'accord un air de danse; Et vous, babillardes sans frein, Castagnettes, allez bon train, Marquez nettement la cadence; Gazouillez et chantez jusqu'au tomber du jour, Comme des rossignols enivrés par l'amour. Quel plaisir de fouler l'herbe de; la prairie, Sous l'ombrage embaumé des pins retentissants, Et de suivre en mesure, ô danseuse chérie, Les tours et les détours de tes pieds ravissants! LA TERRE. 151 Ah! qu'il est doux de fuir l'amoureux que l'on aime, D'être envers lui rebelle, et, pour plus l'altérer, De lui verser dans l'âme un déplaisir extrême , De lui tendre la lèvre et de la retirer! Aussitôt que tes pieds se posent sur la mousse, Thym, lis et violette émaillent sa fraîcheur ; Mais, de toutes les fleurs qui naissent, la plus douce, La plus belle, c'est toi, ma noble et tendre fleur! Tâche donc de cueillir, jardinier plein de flamme, La fleur aimée, oh! tâche, si tu peux; Et la fleur, exhalant les trésors de son âme, Inondera ton cœur de parfums savoureux. O fleur de laurier-rose ! ô fleur douce et cruelle ! Souvent te respirer, c'est respirer la mort; Mais qu'importe la vie, alors que le plus fort, Le vent d'amour vous pousse à ta tige mortelle ! Quand ma mère me mit au jour, Il se fit dans le ciel une brillante fête; Là, tous les habitants du bienheureux séjour, Sur mon berceau d'enfant penchant leur blonde tête, M'appelèrent reine d'amour. Reine d'amour! ô ma belle adorée, Nul plus doux nom ne te convenait mieux ! Tout homme qui te voit raffole de tes yeux, Et veut puiser au bord de ta lèvre pourprée La manne qui tombe des deux. Heureux, en vérité, celui que dans ma couche Je mettrai sur mon sein comme un sachet d'odeur, 152 SILVES. Et que j 'endormirai sous le vent de ma bouche, Au bruit doux et confus des élans de mon cœur ! Pourquoi me fuir alors, âme et sel de ma vie? Si tu m'aimes, pourquoi d'un pied si prompt me fuir? Pourquoi, biche farouche, irritant mon désir, Emporter loin de moi les douceurs que j'envie? La jeune abeille au corset d'or, • Avant de se poser sur les fleurs de la plaine, Bat longtemps les buissons de son aile incertaine : Ainsi, mon cher, tournez encor, Tournez, tournez longtemps; l'amour est un trésor Qui vaut bien quelque peine. Hélas ! l'amour est un éclair Qui luit au ciel de la jeunesse; A peine a-t-il passé dans l'air, Que la mort gronde avec tristesse. Eh quoi! la mort... la mort viendrait sur nous? Elle viendrait , ami , fermer tes grands yeux doux Et ferait choir tes beaux cheveux d'ébène, Comme le dur pasteur fait tomber dans la plaine La toison du bélier couché sur ses genoux? Oui, Dieu l'enverra, chère belle, Dans les plis d'un drap blanc t'enfermer à jamais; Dieu l'enverra roidir tes deux pieds de gazelle, Blanchir ta lèvre rose et ternir ta prunelle, Plus noire que le jais. Ab! mon ami , d'un nœud plus ferme, Du tendre amour serrons les lacs charmants ; LA TERRE. L53 N'attendons pas la mort, n'attendons pas le terme Si redoutable aux cœurs aimants. Ma lèvre est toute sèche et mon cœur plus aride Qu'au sommet des grands monts n'est le chauve rocher. Mon àme est un torrent au flot large et rapide, Qui gonfle ma poitrine et qui veut s'épancher. Je suis pâle d'amour, tout chancelle à ma vue, Comme aux yeux d'un homme ivre au fort de la chaleur. Et moi je cède au poids de la même langueur, De mes pieds tournoyants la force diminue : Reçois-moi dans tes bras et prends-moi sur ton cœur. Cessez votre air mélancolique, Douce guitare et tambourin; Et vous, babillardes sans frein, Castagnettes au fol entrain, Taisez-vous comme la musique : L'étoile de Vesper s'en vient chasser le jour; C'est aux rossignols seuls à nous parler d'amour. Ecrit en 1835. 9. IV. L'AIR OU LA FUITE D ICARE. Le corps du bel enfant, glissant des bras du père, S'élança dans les airs sur une aile légère. D'abord, il entendit ces mots judicieux : Mon fils, vole toujours entre l'onde et les cieux, Ni trop haut , ni trop bas ! — Puis la voix paternelle Se perdit, et l'enfant, redoublant ses coups d'aile, Monta de plus en plus dans l'air illimité, Joyeux de se sentir par les vents emporté. Quel bonheur d'être oiseau! Traverser sans obstacles Un élément limpide avec de beaux spectacles Sans cesse sous les yeux, c'est un plaisir divin Auquel les plus grands rois aspireraient en vain. L'AIR. 155 Son cœur battait d'ivresse... Au-dessus de la Crète Il se tint quelque temps, ravi de voir le faîte Du mont Ida blanchir à ses pieds. Quelque temps 11 admira l'aspect de ses hauts pins flottants, Les fleuves argentés coulant de la montagne Et leurs mille ruisseaux inondant la campagne; Puis les champs de verdure en tapis déroulés Où les blanches toisons des troupeaux rassemblés Brillaient de place en place ainsi que des fleurettes; Puis les bords du rivage et les grottes secrètes Que la vague des mers caressait mollement : Asiles doux au pâtre et plus doux à l'amant. Tout lui semblait si beau, qu'il lui vint de la terre Un regret, et, soudain, pensant à la bergère Dont tant de fois, hélas! il partagea les jeux, Et qui souvent encore, aux vallons ombrageux, Devait chercher sa trace avec inquiétude, Il dit en soupirant : « O fraîche solitude ! O vallons retirés des pentes de l'Ida! Cachez-vous sous vos fleurs la charmante Hymèra? Ah! si je la voyais, cette nymphe mortelle, Ainsi qu'un jeune dieu, je descendrais vers elle! » Et fixant les regards sur les bocages frais Où la nymphe parfois égarait ses attraits, Tenant sa plume au vent comme l'oiseau qui plane Doucement, doucement, sur la terre profane, Le jeune dieu tombait... Mais voilà qu'un cri fier De l'abîme s'élève et retentit dans l'air. L'enfant tourne la tète et voit deux larges ailes Monter rapidement aux voûtes éternelles : C'était un aigle noir échappé des grands monts. Hypérion alors lançait tous ses rayons, L'Olympe flamboyait comme un vaste incendie, Et, levant vers le ciel sa prunelle hardie, Le noble oiseau semblait dans son essor fougueux. 156 SILVES. Au séjour du tonnerre aller boire les feux. Hélas! suivre l'oiseau dans sa course empressée Fut bientôt, de l'enfant l'orgueilleuse pensée. Adieu la blanche Crète aux rivages fleuris! Adieu la jeune Hymère aux souvenirs chéris! L'imprudent! le cœur plein d'une jalouse ivresse. Il veut du roi des airs dépasser la vitesse, Il veut de près aussi voir le Titan vermeil Et toucher les crins d'or des coursiers du soleil. Et le voilà parti pour le céleste empire, Oubliant son vieux père et ses ailes de cire. Écrit en 1885. Public en 185' LA TENTATION, SYMIIOI.K. Un jour que je marchais triste par la campagne, Un Esprit m'enleva sur la haute montagne Où sous le doigt de Dieu la sainte Arche de bois Prit terre et s'arrêta pour la première fois. C'était le mont Arar : quand je fus sur le faîte, L'Esprit me fit alors lever ma jeune tète, En m'appelant d'un nom qui jamais sous le ciel Ne s'était échappé des lèvres d'un mortel : Il me nomma poëte, et soudain, à ma place, Je fus illuminé des éclairs de sa face. Comme un homme se tient tout droit dans son manteau, Il était devant moi, jeune homme blanc et beau, Paré superbement de deux ailes pendantes Qui, de chaque côté, longues flammes ardentes, 158 SILVES. Descendaient jusqu'à terre et lui couvraient le pié : Et moi, contre son sein fortement appuyé, Je cherchais de mon mieux à me tenir à terre, Car le vent qui soufflait sur le mont solitaire Me mettait tout le corps sans cesse en mouvement, Et me faisait flotter comme un long vêtement. Or l'Esprit, de sa droite abaissant ma paupière : «< Poëte, me dit-il, vois-tu, de cette pierre, Ces immenses déserts et de sables et d'eaux, Où gisent çà et là, comme de grands troupeaux, Les flancs ronds et noircis de mille Babylones? Vois-tu ce vaste amas de tours et de pylônes Qui rampent sur le sol ou montent dans les cieux, Ces sublimes débris, calmes, silencieux, Qui composent, autour de la roche où nous sommes, La grande fourmilière où s'agitent les hommes? « Eh bien, je te dirais si tu veux être à moi, Les choses de la terre et leur secrète loi; Je te dirai la main qui dans ces champs de sables A répandu ces tas de villes périssables; Je te dirai comment se font les nations, Où s'en va le torrent des générations Qui sans cesse ici-bas se poussent et s'écoulent ; Je te dirai le mot des empires qui croulent, Et tu verras en plein le dessous des grandeurs Et le vaste néant des humaines splendeurs. « Car je te lancerai par le inonde et les villes, Non comme un chariot rempli de choses viles, Mais comme un de ces chars, aux grands axes de feu, Qui portent aux cités les envoyés de Dieu. Tu seras mon prophète, et sur tonte ta face J'apposerai mon sceau qui jamais ne s'efface; LA TENTATION. 159 Je te ferai plus haut que le trône des rois, J'allongerai ton pas, j'élargirai ta voix, J'y mettrai l'harmonie et la grâce qui touche, Et partout suspendrai les peuples à ta bouche. » Alors l'Esprit se tut : comme une harpe d'or Sa grave et belle voix vibra longtemps encor, Et moi, triste et pensif, emplissant mes oreilles Des flots de sa parole abondante en merveilles, J'étais comme un enfant qui, la coupe à la main, Craint avant d'avoir bu l'amertume du vin; J'hésitais à répondre , et toute ma poitrine Résonnait aussi fort que la vague marine, Et, le front incliné, je murmurais tout bas : Qui que tu sois, Esprit, oh! ne me tente pas! L'Esprit, sans me répondre une seule parole, Poussa du pied la terre; et voilà qu'il s'envole, Et voilà qu'avec lui, dans son aile enfermé, Je plane sur le creux d'un volcan enfumé, Et voilà que d'en haut j'entends la voix sublime Me crier : « O mortel, penche-toi sur l'abîme ! » Alors je me penchai lentement pour y voir, Mais mon œil tout au fond ne vit rien que du noir, Et je n'entendis rien dans le gouffre sonore, Que la voix de l'Esprit qui me parlait encore. « Sois à moi, sois à moi ! Nous plongerons au fond, Car je sais, ô jeune homme! en ce gouffre profond, Je sais un vieux damné des premiers jours du monde. Si tu veux être à moi, par cette route immonde Je te mène à la pierre où cet antique mort, Gomme un vieillard pensif et qui jamais ne dort, Accroupi sur le plat de ses cuisses arides, 160 S IL V ES La tète outre ses doigts décharnés ot livides, Fait sa damnation avec tranquillité Et comme ayant à soi toute l'éternité. « Et là, sans arrêter son infernale fièvre, Je lui ferai pour toi mouvoir sa rude lèvre ; Et lui, passant la main sur son crâne pelé, Comme un homme en sursaut qui s'éveille' appelé, Ce vieux mort te dira ce qu'il faut de souffrance, De supplices sans fin, de maux sans espérance, Pour tirer de deux yeux, toujours secs et héants, Une chétive larme au bout de deux mille ans; Ce qu'il faut de péchés afin que Dieu vous damne, Et que la douleur vienne à rider l'os d'un crâne. « Alors, alors, poëte à la Louche de fer, Tu pourras bégayer quelques mots de l'enfer, Tu pourras, au retour de ton voyage étrange,' Redire les douleurs du ténébreux, archange, ' Devant la tourb.; humaine entre-bâiller le lieu Qui l'attend au sortir de la face de Dieu; Car parmi les vivants, toi seul, poëte austère, Tu sauras ce que c'est, comme on le dit sur terre, En voyant un lépreux sur sa couche enchaîné, Tu sauras ce que c'est que souffrir en damné. » Je ne répondis rien. Soudain, coupant la nue Qui voilait à mes yeux une crête chenue , L'Esprit, sur sa grande aile appuyé de nouveau, Dirigea son essor vers le plus haut plateau. Là, sous mes pieds tremblants, la terre vaste; et sombre Comme un plomb dans lamerparutplongor dans l'ombre ; Je ne vis plus sa face, et, dans l'air suspendu, Comme au faîte des deux un jeune aigle perdu, LA TENTATION. 161 Le eiol, sur mon front pâle et ma tête en démence, Comme L'arche d'un pont jeta sa courbe immense. Je n'avais que du ciel de l'un à l'autre bout, A ma gauche, à ma droite, autour de moi, partout, Du ciel , toujours du ciel pour contour et pour cime, Du ciel pour horizon et du ciel pour abîme; Si bien que sur la roche où j'étais transporté On aurait dit, à voir l'Esprit à mon côté, Deux jeunes déserteurs des phalanges divines Qui , le soir, oublieux de leurs saintes collines, Dans un vallon du ciel égarant leurs ébats, Causaient tranquillement des choses d'ici-bas. Or l'Esprit, incliné sur mon pâle visage, Me peignait de l'Éden le riant paysage, L'ineffable bonheur d'être un beau séraphin, D'avoir la face blanche et six ailes d'or fin, De posséder les deux, et, comme l'hirondelle, De s'y rouler sans cesse au caprice de l'aile, De monter, de descendre et de voiler son front, Quand parfois au détour d'un nuage profond, Gomme un maître le soir qui parcourt son domaine, On rencontre de Dieu la splendeur souveraine. « Quel plaisir, disait-il, et quelle volupté, D'être un rayon vivant de la Divinité, De voir, du haut du ciel et de ses voûtes rondes, Reluire sous ses pieds la poussière des mondes, D'entendre , à chaque instant de leurs brillants réveils, Chanter comme un oiseau des milliers de soleils! Oh ! quel bonheur de vivre avec de belles choses ! Qu'il est doux d'être heureux sans remonter aux causes! Qu'il est doux d'être bien sans vouloir être mieux, Et de n'avoir jamais à se lasser des deux ! » 162 SILVES. Puis il me prononçait le beau nom de Marie, Nom que j'aime d'enfance avec idolâtrie, Le plus doux qui, tombé des campagnes du ciel, Sur une lèvre humaine ait répandu son miel ; Nom céleste créé d'un sourire des anges Pour en parer un jour la fleur de leurs phalanges; Marie , ô nom divin ! étoile du pêcheur, Rose du paradis, baume plein de fraîcheur, Qui parfume le monde et qui révèle aux âmes La femme la plus pure entre toutes les femmes. Alors, à ce doux nom, je croyais voir soudain S'entr'ouvrir les bosquets du sublime jardin ; Je croyais voir, au cœur de son troupeau de saintes, De ses enfants vêtus de lis et d'hyacinthes, Et de ses beaux vieillards, la reine du haut lieu Sous son long voile blanc et son grand manteau bleu, Marie , aux pieds du Cbrist , dans sa pose modeste, Relevant vers le ciel sa paupière céleste, Et regardant son fils avec un triste amour, Gomme craignant encor de le reperdre un jour. Mais plus l'Esprit parlait , et plus sa face claire, Comme un ardent soleil au moment qu'il éclaire, S'allumait et prenait de nouvelles splendeurs. Ses deux yeux étoilaient en de saintes ardeurs, Puis son corps se levait, et, plus blanc que la neige, Vaguait sur le rocher comme un morceau de liége, Puis du bout de ses pieds il balayait le sol, Et, comme l'oiseau près de reprendre son vol, 11 se penchait au vent , et de ses chaudes ailes Faisait pleuvoir dans l'air des milliers d'étincelles. On eût dit, à le voir dans ce balancement Qui L'entraînait toujours au fond du firmament, LA TENTATION. 163 Dans cette impatience à rejeter la pierre Et planer tout à l'aise aux champs de la lumière, Quelque pauvre exilé dès longtemps sans espoir Qu'on rappelle au pays et qui va le revoir, Qui, plein de l'air natal et le front tout en nage, En hâte , jette là son bâton de voyage Et se suspend aux bras de quelque figuier mûr, Pour embrasser des yeux son chaume et son vieux mur. Pour moi, je n'entendais que la sainte harmonie Et les pieux concerts de la race bénie. Il me semblait ouïr tous les chœurs du saint lieu, Chantant dans leur accord : Hosanna, gloire à Dieu! Et tous ces chants divins de la cour bienheureuse M'arrivaient aussi doux qu'une voix amoureuse, Et m'enivraient les sens comme un baume de fleurs ; Et je disais tout haut, à travers mille pleurs : Toi qui veux remonter à la voûte étornelle , Oh ! sans moi ne pars pas et prends-moi dans ton aile ! Et comme un faible enfant qui fait ses premiers pas, Je le priais des yeux, je lui tendais les bras; Mais tout à coup l'Esprit me parut un autre être. L'ange et ses blancs rayons venant à disparaître, A leur place je vis un archange hautain, Dont la face fumait comme un feu mal éteint. Je reconnus Satan... et ma peau devint rêche Comme celle d'un chien sortant de l'onde fraîche; Le frisson sur mes os la roula par trois fois, Et je me revêtis d'un grand signe de croix. Puis je criai : Béni soit l'auteur de mon être! Béni soit le Seigneur, qui m'a fait reconnaître Et m'a fait voir à nu cet Esprit plein de fiel Qui roula neuf grands jours des profondeurs du ciel ! 104 SILVES. O toi qui vas toujours rôdant sur notre terre, Toi , le premier auteur de l'antique adultère, Qui, regorgeant au ciel d'un orgueil infernal, Pour être au moins un dieu te fis le dieu du mal, Toi qui perdis enfin ma mère Eve la blonde , Toi par qui le péché se rua sur le monde, Satan le foudroyé, tu n'auras pas ma main! Va-t'en chercher ailleurs à mordre au genre humain ! Comme Job sur sa paille et raclant sa vermine, Je veux l'ester toujours sous la crainte divine, Je veux, le cœur entier à tes pièges ouvert, Imiter le Seigneur tenté dans le désert. Comme lui, d'un pied fort repoussant tes promesses, Je ne veux pas , Satan , de toutes tes richesses ; Esprit maudit , va-t'en , ailleurs tourne tes pas ; Satan , il est écrit : « Tu ne tenteras pas ! » Soudain je ne vis plus d'archange et de montagne, Et comme auparavant j'errais par la campagne; Mais je ne marchais plus soucieux et pensif, Le front bas, et traînant un pied lourd et tardif. Un vent tout embaumé me venait de la plaine, Je respirais en paix de toute mon haleine, J'allais, j'allais toujours d'un pas souple et joyeux, Foulant les belles fleurs et souriant aux cieux, Et, la face sereine, en mon ivresse folle, Je redisais cent fois, sur la sainte parole : Bienheureux, bienheureux sont les pauvres d'esprit, Car la terre longtemps les porte et leur sourit! L'orgueil ne leur fait pas, des plaines de ce monde, Un champ semé d'envie et de haine profonde, Toutes 1rs nuits pour eux ont des sommes de fer, Leur pain quotidien n'a jamais rien d'amer, LA TENTATION. l(>.r> Enfin , pauvres qu'ils sont au dire de l'apôtre, Ils sont riches de joie en ce monde et dans l'autre : Sur la terre, ô mortels, envions bien leur sort! Trop souvent la pensée est l'enfer ou la mort. Écrit en 1829. Publié en 1831. LES QUATRE HEURES DE LA TERRE. TABLEAUX RUSTIQUES. LUX. L'aube vient de blanchir la cime des hauts monts Et de chasser la brume errante dans les fonds. Bientôt du pur soleil la figure sacrée Apparaît aux confins de la voûte éthérée. A mesure qu'on voit grandir ses rayons d'or, La nature reprend et la vie et l'essor. Un sublime frisson agite les feuillages; Sous le flot lumineux s'inclinent les ombrages; L'alouette, éveillée aux premiers feux du jour, Du creux des blonds sillons jette son cri d'amour, S'élance, et dans l'air bleu des célestes campagnes Aux mille jeux de l'aile appelle ses compagnes. Les pâtres à leur tour arrivant dans les champs Font au prince du ciel hommage de leurs chants, Et leurs grands bœufs, foulant à pas égaux la terre, LES QUATRE HEURES DE LA TERRE. i(V7 Devant eux bruyamment aspirent la lumière. Tout s'anime, tout chante, et moi, penseur humain, Comme le sol entier, je laisse mon cœur plein Déborder, et je dis : Salut, père des flammes, Source du mouvement, rénovateur des âmes! MERIDIBS. Tous les seuils campagnards sont fermés ou déserts, Nul bruit, nulle rumeur ne monte dans les airs, Si ce n'est l'aboi sourd de quelque chien de garde Que le pied d'un passant éveille, et qui regarde. Hommes, femmes, enfants, tout le monde est aux champs, Tous sont au dur travail des blés mûrs et penchants. Là, le soleil, en roi jaloux de son domaine, De l'un à l'autre bout largement se promène; Là , d'un œil d'or couvant à plomb les moissonneurs, Il tire de leurs flancs des torrents de sueurs. Bientôt les traits aigus de la céleste flamme Deviennent si perçants, que plus d'une pauvre âme Laisse sur ses genoux retomber son bras lourd ; Les vainqueurs des épis sont vaincus à leur tour. Il faut céder... Chacun va dans le voisinage Chercher l'ombre d'un mur ou d'un buisson sauvage, Et l'homme , pour un temps se livrant au sommeil, Abandonne la terre à l'amour du soleil. VESPER. Mais voici que des monts les ombres s'épaississent, S'allongent sur les champs et les bois obscurcissent; Dans les champs et les bois la paix succède aux bruits, Les oiseaux un à un regagnent leurs réduits, Et, sous le vert rempart des feuilles et des mousses, 168 fi IL VER. Pour un dernier concert unissent leurs voix douces. Comme un rouge brasier au bord de l'horizon Quelque temps suspendu, l'astre au fervent rayon Dérobe à tous les yeux sa lumière empourprée; Sur le sein rembruni de la voûte azurée Et sur le front des bois quelque temps traîne encor De la flamme divine un léger reflet d'or; Puis tout s'éteint... Assis au pied d'une ruine, Le tranquille gardien du troupeau qui rumine Prend sa flûte et, levant son regard vers les cieux, Fait au jour qui s'en va de rustiques adieux ; Tandis qu'au bord des lacs doucement attirée Par le calme et les feux naissants de l'empyrée, Avec ses jeunes faons aux timides naseaux La biche vient sans peur humer le frais des eaux. NOX. La nuit silencieuse enveloppe le monde, Et des longs crêpes noirs de son voile elle inonde Également les monts, les plaines et les flots; Tout semble revenir aux ombres du chaos. Cependant d'un ton clair la lumière lactée Détache le ciel pur de la masse attristée, Mille regards de flamme éveillés dans l'ôther Brillent, en attendant qu'aux campagnes de Pair La lune ait élevé sa radieuse image... O nuit , superbe nuit , sans trouble , sans nuage , Avec tes vents légers, tes baumes captivants, Plonge dans le sommeil tous les êtres vivants ! Le jour a consumé les forces de leurs veines ; Pour reprendre au soleil leurs plaisirs et leurs peines, Pour suivre jusqu'au bout leurs chemins inégaux, Il leur faut amplement respirer tes pavots; LES QUATRE HEURES DE LA TERRE. 169 Qu'ils donnent tous, oui, tous; et vous, Manches étoiles, Qui de la sombre nuit diamantez les voiles, Soyez tendres à l'homme, et de vos milliers d'yeux Eu songe versez-lui quelque chose des cieux! Ecrit en 1829. 10 LES RESTES DU TOMBEAU DE LAURE. Dans la sainte Avignon , à l'ombre d'une tour, Parmi les murs croules d'un cloître solitaire, Deux noirs et longs cyprès groupés avec mystère, Et quelques fûts de marbre allongés alentour : Voilà ce que le temps , ce vieillard sans amour, De la tombe de Laure a laissé sur la terre, Ce qu'il a conservé de cette dame austère Qu'un poëte chanta jusqu'à son dernier jour. Mais qu'importent Saturne et ses puissants coups d'aile? Pétrarque avec les sons de sa lyre immortelle A mis la chaste femme à l'abri du trépas, Et ses pieux sonnets sont un tombeau splendide Où le temps usera toujours sa faux rapide, Et que son large pied ne renversera pas. Juin 1830. Publié en 1840. A UNE PETITE FLEUR. Blanche étoile des prés dont le front pur rayonne A travers le gazon, Toi que je vis trop tard, petite fleur mignonne, Enfant du val Suzon, Adieu, demeure en paix sur la pente fleurie Où je viens de m'asseoir! Adieu , mignonne , adieu , car tu seras flétrie Peut-être avant ce soir!... Hélas ! quoiqu'à tes pieds les brins d'herbe, tes frères, Pointus comme des dards, Hérissent tout autour de tes feuilles légères De verdoyants remparts, O frêle créature! il faut bien peu de chose Pour te mettre à néant; 11 te faut ce qu'il faut à la plus belle rose : Un peu d'ombre et de vent. 17-2 SILVES. Aussi pour toi je veux invoquer ta patronne, Marguerite des cieux, Marguerite la sainte, et que l'on dit si bonne Dans les livres pieux. Vierge du paradis, ô sainte! daigne prendre; Soin de ta blanche fleur; Daigne veiller sur elle et toujours la défendre, La garder de malheur! Fais qu'en rasant les prés nulle folle hirondelle Ne dirige son vol Près de sa couche verte, et du coupant de l'aile La fauche sur le sol ; Qu'un lézard vagabond, une couleuvre enfuie, Ne viennent la ployer; Ou que d'un noir nuage un trop gros flot de pluie Ne tombe la noyer! Fais surtout qu'en sa marche indolente et peu sûre Un vacher au pied bot Ne lui creuse du bois de sa large chaussure Un ignoble tombeau ; Ni qu'un de ses grands bœufs qui dans l'herbe rumine Et va toujours paissant, Ce soir, en regagnant avec lui la chaumine, Ne la mange en passant! Enfin, très-chère fleur, puisse, hélas! ta vie être Tout un long jour de miel, Et puisses-tu mourir, comme Dieu t'a fait naître, En regardant le ciel! Bourgogne, juin 1830. Publié en 1831. REMERCIMENT. Nombre de gens ont la richesse, Écus, terres et diamants, Tous les biens que dans sa tendresse La Fortune, aveugle maîtresse, Prodigue à ses heureux amants. Beaucoup encore ont par naissance Blasons d'or et cordons pourprés, Les insignes de la puissance, Tout ce qu'ici-bas l'homme encense En fait de hochets colorés ; Mais un nom d'obscure origine Et tout vêtu de probité, Sans tache, blanc comme l'hermine, Ah! c'est une faveur divine, Un don de suprême beauté. 10. H4 SILVES. Et c'est là le trésor durable Qu'avec le jour Dieu m'octroya , C'est là le bien inestimable Qu'après son trépas lamentable Mon père encor me laissera. Je t'en rends grâces, ô mon père! Merci de ton nom plein d'honneur! Bien qu'il soit rude et populaire, Il a déjà, pour moi, sur terre, Fait resplendir plus d'une fleur. Porter le nom d'un honnête homme C'est, dès l'enfance, être béni. Le nom de l'homme honnête est comme Une faible et modeste somme Qui multiplie à l'infini. C'est l'aile blanche dont vous pare Un père tendre et soucieux, Et sur laquelle, jeune Icare, Si de vous le talent s'empare , Vous pourrez atteindre les deux. Écrit en 1831, POUR UNE JEUNE COUSINE PARTIE EN RUSSIE. Hirondelle de France au bord du grand Volga Par le malheur jetée, Et qui vins un moment, loin des tiens, fermer là Ta pauvre aile agitée; Toi qui n'aimais, hélas! que le ciel du pays, Les soins de la famille, Et les doux entretiens des parents , des amis, Près du feu qui pétille : Que d'angoisses pour toi, lorsqu'il fallut quitter Tous ces biens de ta vie, T'élancer sur les flots et te voir emporter Par l'autan en furie ! Et tu partis! non point pour rencontrer un ciel Plus clément à ton âme, ne siLVBS. Et dans les airs trouver plus de baume et de miel A ta poitrine en flamme; Mais pour lutter avec des vents âpres et froids, Affronter grêle et neige, Vivre au sein de la nuit et veiller sous des toits Qu'un long hiver assiège. N'importe, tu partis, car tu ne voulais pas, Ame fière, âme bonne, Causer la moindre gêne et le moindre embarras Au foyer de personne ! Et Dieu, Dieu qui voyait ton noble dévoûment, N'adoucit point ta peine, Et la mort vint bientôt glacer ton cœur aimant Sur la rive lointaine. Ah! puisse-t-il, là-haut, le grand Compensateur, Réparer ta misère, Et t'accorder à flots la paix et le bonheur Que tu n'eus point sur terre ! Sa justice le doit à tes mâles vertus, A ton constant orage, Modèle si touchant, en nos jours corrompus, D'honneur et de courage. 1833. LA CHUTE D'EAU. Limpide et tranquille rivière, Qui, née au sein d'un frais vallon, Allais promenant ton eau claire A travers feuillage et gazon ; Toi qui n'émouvais la nature Que d'un agréable murmure, Comme zéphyr dans les roseaux; Toi dont l'homme cherchait la rive Pour contempler la beauté vive Du ciel bleu colorant les eaux ; Dans ton heureuse destinée Quel changement triste et soudain Ta pente restreinte et gênée Te fait bondir comme le daim, En jets nombreux tu te divises, Contre cent rochers tu te brises, Et, roulant sables et cailloux, Ton onde si calme et si douce SILVES. Se couvre de bruit et de mousse Gomme un torrent plein de courroux. Puis voilà que, même la terre Venant à te manquer, il faut Terminer ta rude carrière Par un épouvantable saut; Il te faut, liquide avalanche, Le long d'un roc, en nappe blanche, Glisser jour et nuit sans repos, Pour aller, bruyante victime, Au fond d'un vaste et noir abîme Perdre l'écume de tes flots. Rivière si calme et si pure, Amour des oiseaux et des fleurs, Pour toi la divine nature Aurait dû n'avoir que douceurs! Elle aurait dû, loin de ta source, Mener paisiblement ta course A travers maint val odorant, Jusques au jour où dans son onde Un grand fleuve à berge profonde Eût recueilli ton frais courant. Mais, ô rivière malheureuse! Objet de mes tendres souhaits, A ta tin triste et désastreuse Pourquoi donner de vains regrets? Pourquoi perdre ma voix plaintive Dans les cent échos de ta rive Se renvoyant ton sourd fracas? N'es-tu point la fidèle image De notre singulier passage A travers les champs d'ici-) >as? LA CHUTE D'EAU. 179 Hélas! ainsi coule la vie, Pure et sereine tout d'abord, Puis au calme bientôt ravie Par le travail et par l'effort. Ainsi s'use notre jeunesse En vains désirs, en folle ivresse, Et, courant toujours agité, Ainsi tombe, après mille transes, Notre vie et ses espérances Au gouffre de l'éternité. Basses-Pyrénées, août 1831. Publié en 1857. L'AIGLE MORT. Lui qui, la tête haute et sans cligner des yeux, Contemplait le soleil dans sa pleine lumière, Lui qui bravait la foudre en son vol orgueilleux, Le voilà devenu l'égal de la poussière. Son regard est éteint, son col nerveux ployé; Son aile détendue, à la brise mutine N'offre plus résistance, et, fermée à moitié, Sa serre est retirée au creux de sa poitrine. Muet, froid et sans pouls, le fier dominateur N'est plus qu'un vain sujet de quolibet stupide Pour quelques bergerets entourant le chasseur Qui vient de le frapper de sa balle rapide. Et pourtant cet immense et splendide horizon De ciel bleu couronnant les monts aux blanches crêtes, L'AIGLE MORT. 181 Ce lac aux flots d'azur bordé de frais gazon, Et. tous ces noirs sapins suspendus sur nos tôtes; Ces eaux, ces bois, ces monts, tout ce pays enfin De neige et de verdure était le beau domaine Où du matin au soir l'animal souverain Promenait largement son amour et sa haine. Maintenant c'en est fait, il ne le verra plus! Ce n'est plus pour ses yeux que blanchira l'aurore; Ce n'est plus pour son aile et ses vols éperdus Que les vents sur les monts frissonneront encore. Ce n'est plus pour sa chasse aux féroces élans Que les bois empliront de chants leurs noirs ombrages, Ni pour calmer la soif de ses festins sanglants Que le lac déploîra son onde aux bleus mirages. Tant de charme et d'attrait ne seront plus compris Même du cœur plaintif de sa triste compagne, Qui va, longtemps errante et poussant de longs cris, Demander son époux à toute la montagne. Basses-Pyrénées, 1831. 11 UN RÉVEIL D'ENFANT. Il est doux de rêver, sur une blanche rive, Au rhythme régulier de la vague plaintive; 11 est doux d'écouter glisser l'aile du vent Sur les bords anguleux d'un feuillage mouvant; Par les champs , il est doux , le matin , sur sa tête , D'entendre retentir les cris de l'alouette, Et d'ouïr, à midi , dans les plaines du ciel Le vol harmonieux des faiseuses de miel; Vers le soir, il est doux, derrière les charmilles, De se laisser surprendre aux voix des jeunes filles, Et de prêter l'oreille aux sublimes concerts Que la cloche rustique épanche dans les airs : Mais si doux que ces bruits soient, plus doux est encore, Lorsque d'un feu rosé l'orient se colore, D'eut(!iidre en une chambre, au fond de son berceau, Un tout petit enfant chanter connue un oiseau. UN REVEIL D'ENFANT. 183 Si l'on est père, alors ce léger babillage, Ce gazouillis plus frais que l'oiseleux ramage, Au fond de votre cœur pénétrant doucement, L'inonde avec le jour d'un pur ravissement; Et l'on goûte de Dieu les voluptés profondes, Lorsqu'à son grand soleil se réveillent les mondes. Basses -Pyrénées, 1831. L'AIR INACHEVÉ. Pourquoi ce chant de jeune femme, Qu'avec tant d'ivresse mon âme Au bord de la lande écoutait, Suspend-il sa note de flamme Et laisse-t-il l'écho muet? Que veut dire cet air étrange, Où peine au plaisir se mélange, Et qui soudain reste incomplet? Achève-le, douce mésange, De ton cœur donne le secret ! Mais vain espoir, vaine demande: La gitanellc avec sa bande S'élance d'un pied plein d'ardeur, Et seul je reste sur la lande, Avec quelques notes au cœur. L'AIR INACHEVE. 185 Élan confus d'une jeune âme, Chant divin dont mon cœur réclame Vainement les derniers accents, De ta mélancolique flamme Qui me dira jamais le sens? Personne , car l'âme charmante D'où sortait la note émouvante Vers d'autres lieux porte ses pas, Et, sur terre toujours errante, Près de moi ne reviendra pas... Ainsi de nous , mortelle engeance ! Ce chant est notre ressemblance : Mélange de joie et de pleurs, Notre vie ici-bas commence Pour se continuer ailleurs; Oui , pour aller, de monde en monde, Poursuivre , ardente vagabonde , Son but toujours plus éclairci, Avec une amour plus profonde, Et moins de mal sans doute aussi. Mont- de-Marsan, 1831. LES HAUTEURS DE LÀ SOLLE. Lucus erat... cingens connexis aéra ramis. La forêt, la forêt! oh! comme cette masse Pénètre les poumons d'une senteur vivace ! Reste des bois sacrés qu'adoraient nos aïeux , Sublime effusion de chênes vigoureux, Du point où notre pied s'élève et s'aventure On dirait une mer flottante de verdure ! Oui, comme l'Océan, tu remplis l'horizon De ton immensité. Ta verte frondaison Gomme lui roule au ciel mille rumeurs sauvages; Sur ton sein comme au sien les vents et les nuages Peuvent courir, s'ébattre en toute liberté ; Mais ton aspect vaut mieux que sa triste beauté; Car, si belle que soit son onde au loin des plages, Tes ombrages mouvants n'ont pas sa cruauté, Et le cœur n'y craint pas de perfides naufrages. Fontainebleau, 183.". SUR UNE PEINTURE DU PRIMATIGE. Nymphes, sonnez du cor, accouplez et liez Les dogues aux flancs noirs et les blancs lévriers; Voici que part Diane. En sa course légère, Elle va de l'Hémus abaisser la fougère, Et sur les verts sommets , et dans les creux ravins, Percer de flèches d'or les biches et les daims... Mais est-ce là Diane? est-ce bien la déesse Que l'ombre des forêts seulement intéresse, Et qui ne prend plaisir qu'aux féroces abois D'une meute fouillant et refouillant les bois? Diane ! nul apprêt n'éclate sur sa tête : Un nœud contre l'assaut de la brise indiscrète Soutient seul ses cheveux , et son corps élancé Toujours d'une tunique est chastement pressé. 188 SILVES. Mais celle-ci, non pas... d'une grâce ingénue, Dans la fraîcheur des bois elle entre toute nue. L'or de ses blonds cheveux forme de beaux dessins Sur son front souriant; la rougeur de ses seins Brille sans voile au jour, et sa jambe divine, Lihre , sans vêtement , pose sur l'herbe fine Un pied d'albâtre ; puis , à chacun de ses pas , Une odeur d'ambroisie émane : ce n'est pas, Ce n'est pas là Diane ! Oh non ! mais Cythérée Qui, prenant de sa sœur et la trousse dorée Et l'arc sonore, au fond des grands bois ténébreux Va surprendre Adonis au milieu de ses jeux. Fontainebleau, 1835. LE HETRE. Il est dans la forêt un magnifique ombrage, Un hêtre de haut port et dont le vert feuillage Autour de son fût gris descend abondamment, Comme une chevelure autour d'un cou charmant. La flamme du soleil, dans sa course divine, Matin et soir au front de pourpre l'illumine; Les vents l'agitent peu ; le rossignol parfois Se plaît à l'enchanter des soupirs de sa voix. Bien des couples aimants, cherchant la solitude, Y sont venus cacher leur douce inquiétude; Et beaucoup ont gravé sur son tronc vigoureux Des chiffres qui vivront plus longtemps que leurs feux. Leurs feux... peut-être, hélas! que ces cœurs pleins d'ivresse Tout un été n'ont pas conservé leur tendresse, Et se sont délaissés même avant que l'hiver Ait à l'arbre ravi son épais manteau vert. il. 190 RILVES. Qu'importe?... Ils sont venus sous l'ombrage propice: Ils ont là de l'amour savouré le calice, Et, leur bonheur n'eùt-il duré qu'un seul matin, Ils ont senti la vie et rempli leur destin. Fontainebleau, 1835. CHANSON DES BOIS. Si l'on savait la vie Du pauvre charbonnier, Plus d'un aurait envie Peut-être du métier, Et dirait : Gai la vie Du charbonnier! Notre hutte est petite, Toute de rameaux frais, Mais celui qui l'habite Y trouve des attraits : Un bon lit de fougère , Puis un cruchon de vin, Pour rendre plus légère La tâche du matin. 192 SI L VF, S. Le matin , la fauvette Nous sonne le réveil ; En nos mains la serpette Joue aux feux du soleil ; Quand nous taillons la soupe. C'est au chant des oiseaux, Qui descendent en troupe Partager les morceaux. La nuit, quand tout repose Au fond de la forêt, A l'entour du feu rose Qui luit sous le cotret, On fume et puis l'on chante, Et le sommeil vous prend, Toujours l'âme contente Et d'amour rêvassant. Si notre face est noire, Notre cœur ne l'est pas : Maint pauvre homme a mémoire De nos humbles repas; Par la nuit et l'orage Que de piétons surpris Sous nos toits de feuillage Ont trouvé des abris ! Si l'on savait la vie Du pauvre charbonnier, Plus d'un aurait envie Peut-être du métier, Et dirait : Gai la \ i<- Du charbonnier ! Fontainebleau, 1885. LE MOUCHERON. Je le suivais de l'œil , petit être égaré , Sur le tapis moussu de l'humide fourré Où la muse inquiète M'avait conduit, et là, muet contemplateur, L'insecte, et non le rhythme au murmure enchanteur, Faisait pencher ma tête. 11 me semblait si triste en ce réduit ombreux, Lui qu'avait enfanté le soleil lumineux, Que j'en avais grand'peine; L'aile collée au dos, immobile, transi, On eût dit que la mort au cœur l'avait saisi De sa glaçante haleine. Mais voilà que, sortant de nuages épais, L'œil rouge du soleil perce les rameaux frais De deux longs jets de flamme; 194 SILVES. Et les deux rayons d'or, tombant sur le gazon, A tout le monde obscur de la verte prison Donnent la vie et l'âme. L'insecte s'en émeut : quittant son lourd repos, Il passe en frémissant ses pattes sur son dos ; Sa cuirasse légère Étincelle, et, mouvant ses ailerons nacrés, Avec bruit il se perd dans les flots empourprés De la vive lumière... 0 lux! splendeur du vrai! m'écriai-je aussitôt; Quel bonheur quand, tombé du grand foyer d'en haut, Ton feu pur nous inonde ! Privés de tes clartés, comme ce fils des cieux, Nous languissons muets, glacés et soucieux Dans les ombres du monde. Mais que le jet divin illumine nos fronts, Et notre âme s'égaye, et, vainqueurs, nous rentrons Dans les célestes voies, Et la terre oubliant pour les choses du ciel, Nous buvons, dès ce monde, à la coupe de miel Des éternelles joies! Fontainebleau, 1835. PRIERE. O toi que nul cerveau n'a pu comprendre encore, Mais que mon âme sent et que mon cœur adore, O Dieu, maître éternel du monde et des humains, Vers toi pieusement je lève- mes deux mains! Sur ce globe orageux soulage, je t'en prie, Une âme que le mal , comme un tigre en furie , Tient depuis le berceau sous ses ongles de fer Et dont cruellement il torture la chair. Et cette âme , grand Dieu ! c'est une âme innocente, A tes suprêmes lois soumise, obéissante, Une âme dont le bien fut sans cesse le but, Et qui donna toujours plus qu'elle ne reçut. Hélas ! je ne viens pas te demander pour elle Le champ vaste et doré d'une vie éternelle ; Mais, pour le peu de jours qu'il lui reste ici-bas A vivre, la douceur de ne se plaindre pas, 196 SILVES. Le bonheur de vieillir sans trop grande souffrance. O mon Dieu! c'est un don facile à ta puissance, Et ce léger bienfait échappé de ta main Ne saurait déranger ton ordre souverain ; Et ce sera beaucoup pour l'être qui soupire, Pour celle dont la vie est un si dur martyre Et qui voit sur son front tomber l'ombre du soir Sans un souffle de paix , sans un rayon d'espoir. O Dieu conservateur, père de la nature, Toi qui prends en pitié la moindre créature, Qui remets dans les bois les ailes de l'oiseau Et rends le mouvement au petit vermisseau, Dieu juste, Dieu puissant, accueille ma prière: C'est l'homme qui te crie en faveur de sa mère ! 1836. UNE COURSE EN HOLLANDE. A F. W1NTERH ALTER. D EPA RT. « Avant que Hollandais et Belges soient en guerre, Voulez-vous avec moi fouler leur verte terre Et voir, aux deux pays, ce que ces belliqueux Dans les arts de la paix firent de merveilleux? Qui sait ce qui pourra rester de la mêlée? — Combien de temps? — Huit jours. — Bon, c'est chose réglée; Avec vous, homme habile en peinture, je pars; La pourpre de Bubens vaut bien celle de Mars. » Et soudain nous voilà vers le nord en voyage, Bénissant l'art sacré, maudissant le carnage. MIKETTE ET MINA. La taverne est grouillant de joyeux matelots Avalant l 'eau-de-vie et la bière à longs flots. Mikette au teint brillant sous ses longues dentelles, Offre à tous les buveurs des crevettes nouvelles. On l'embrasse, on lui prend les jupons et les seins, Mais comme un frais poisson elle glisse des mains, Et dans l'air enfumé que mainte lèvre chasse Les rires et les cris longtemps suivent sa trace. Assise à son comptoir, la maîtresse du lieu, Mina, pâle, au plafond promène son œil bleu. Elle semble ne rien entendre du tapage Que l'on mène autour d'elle avec un bruit d'orage, MIKETTE ET MINA. 199 Rien voir du gros plaisir que, des mains et des dents, Se donnent , sous ses yeux , tant de lurons ardents. Elle rêve, à quoi donc? Ah! fille de Norwége, Sans doute aux cœurs laissés sous tes grands monts de neige. Port d'Anvers. LA STATUE D'ÉRASME. Salut, homme sensé qui louas la folie, Érasme, devant toi je fléchis les genoux Dans l'admiration de ta fine ironie Et do ton grand savoir aux rayons forts et doux ! Tu vis très-clair à l'heure où tout était fort louche, Et calme tu restas au sein des emportés, Et jamais la raison d'une plus noble bouche Ne jeta par le monde autant de vérités. Mais, étourdi, le peuple, hélas! n'écouta guère; Dans la religion le démon de la guerre A travers vol et sang continua son jeu. Et toi-même tu sus, par l'injure et la peine, Ce que dans les combats de la pensée humaine I! en coûte toujours à garder le milieu. Rotterdam. LA LEÇON D'ANATOMIE. Ils sont tous là, muets, rangés en cercle étroit, Près du maître parlant sur le cadavre froid. L'homme inerte, étendu tout au long de la table, Laisse voir à son flanc une plaie effroyable, Ouvrage du scalpel... et pourtant tel est l'art Que nul dégoût n'en fait détourner le regard; Au contraire , en voyant la main de la science Pour les jours et le bien de l'humaine existence Interroger la mort, un saint attrait vous prend Et vous attache l'âme à la scène... O Rembrandt, Tu fis là ce que fit en son Hamlet Shakspeare! Gomme lui tu plongeas l'œil au funèbre empire, Et tu peignis la mort en son austérité D'un pinceau si brillant, si plein de vérité, Que jamais on ne vit un tel flot de lumière Glorifier l'horreur sombre du grand mystère. La Haye. PRÈS DE HARLEM. Le soleil se couchait derrière l'horizon, Éclairant le canal d'un rougeâtre rayon ; En troupes , les canards, quittant l'onde muette, Remontaient les talus menant à leur retraite. Les pêcheurs, ayant mis en gare leurs bateaux, Au logis revenaient, le filet sur le dos. Aucun nuage au ciel, dans l'air aucune haleine; Seule , voguait encore une barque lointaine. Sans secousse , effleurant le liquide élément, Elle allait , décroissait sans bruit et lentement. Longtemps de nos regards nous suivîmes son aile, Et quand à l'horizon on ne vit plus rien d'elle, UNE VUE D'AMSTERDAM. De môme que l'on voit mille veines fécondes Serpenter dans le corps et , tuyaux bienfaisants, Y porter la chaleur avec leurs rouges ondes, De même cent canaux coupent dans tous ses plans La Venise du Nord , et roulent en ses flancs A flots calmes et doux la vie et l'abondance. Là, vient de tous les coins de l'univers immense La Fortune habillée en marin hollandais; Là, de grands magasins, plus beaux que des palais, Étalent leurs murs peints et leurs vitres brillantes: Ce ne sont que comptoirs, que machines criantes Élevant dans les airs d'innombrables fardeaux; A chaque rue un port et ses mille tonneaux, Et, tels que des poissons à la forte nageoire, Des navires huilés reflétant sur les eaux Leurs gros ventres de chêne ondes comme la moire. 204 SILVES. Nous restâmes pensifs un moment tous les deux, Et dans le fond du cœur nous nous dîmes : Heureux, Heureux qui peut un jour s'en aller de la vie Aussi paisiblement que cette barque enfuie! TOBIE OCULISTE. Encore toi, Rembrandt, encore ta peinture, Non plus, cette fois, triste et montrant la figure D'un cadavre roidi dans son froid glacial, Mais le fait bien vivant de l'amour filial! C'est Tobie au retour et rendant la lumière Aux yeux morts et voilés de son pauvre vieux père. Oh! comme, toujours ferme et brillant, ton pinceau A mis de la tendresse en ce rare tableau ! Tout y semble attentif à l'œuvre qui s'opère. Tobie avec grand soin entr'ouvre la paupière Du patient : l'épouse , assise à son côté, Tient doucement la main du vieillard tourmenté. Des amis, des parents la muette cohorte Est plus loin dans la transe ; enfin, près de la porte, Le chien regarde et veille au moindre mouvement. Mais le comble de l'art et du haut sentiment, 12 206 SILVES. C'est l'ange, compagnon du jeune et tendre maître, Qui , resté pour la cure, et devant la fenêtre Posté, suit du regard les progrès du travail Et, droit, à contre-jour, tient ouvertes ses ailes, Pour tempérer avec leur divin éventail La trop vive clarté qui va choir aux prunelles. Bruxelles, galerie du prince d'Orange. RETOUR. Les huit jours sont passés. — Nous voilà revenus D'un pays où les bons habitants, vrais Crésus, Ne demandent qu'à vivre et travailler à l'aise. Maintenant , que Bellone allume sa fournaise, Puisque les intérêts chez les peuples chrétiens Se débattent encore à la façon des chiens ; Au combat! mais pour Dieu, qu'en la lutte fatale Elle agisse en guerrière et non pas en Vandale! 1837. AU BENVENUTO CELLINI DE BERLIOZ. Impétueux Toscan , ta vie est le symbole De la lutte constante en laquelle est jeté L'artiste pour qui l'art n'est pas chose frivole Et dont l'âme en comprend toute la dignité. En vain la jaune Envie au regard malévolc Éleva contre toi le pouvoir irrité; Tu méprisas ses cris et sa menace folle, Et ton cœur ferme et haut n'en fut pas démonté. Tu te souvins toujours, au milieu des alarmes, Que tes aïeux portaient un lion dans leurs armes, Et devant l'ennemi tu marchas courageux. AU BENVENUTO CELLINI DE BERLIOZ. 209 Puissent tous ceux que l'art d'uu saint transport anime Imiter ton exemple , et vers le but sublime Poursuivre vaillamment leur chemin orageux! 1838. 12. APRES LA MORT. Souvent l'on me disait, lorsque j'étais enfant : La perte d'une mère Est, de tous les malheurs, le plus vif, le plus grand Qui vous frappe sur terre. Ah! je n'ai bien compris ce que l'on me disait Qu'en éprouvant moi-même Le terrible accident et tout le mal que fait La mort dure et suprême. Que les liens sont forts, comme l'on souffre, hélas! A voir briser la chaîne Qui rattachait à vous celle que le trépas Aux lieux sombres entraîne! On dirait que son cœur et le vôtre en commun Ont mille nœuds sensibles Qu'il faille sentir rompre et tomber un par un Sous des fers invisibles. APRÈS LA MORT. 211 Ce sont les souvenirs de nos plus jeunes ans, Notre rieuse enfance Aux bras de sa tendresse, et ses soins vigilants Aux jours de la souffrance; Ce sont nos premiers bonds en dehors de ses yeux, Et sa fierté ravie En écoutant le bruit de nos pas glorieux Dans les champs de la vie ; Ce sont les sentiments de profonde amitié, Flot sûr, inépuisable, Dont jusqu'au dernier jour notre cœur est noyé Par son âme adorable. Et perdre tout cela sans retour, quel malheur ! Quelles vives blessures! Quel mal que de sentir à la harpe du cœur Casser les cordes pures! Tombent, tombent sur moi les coups les plus cruels Pour la pauvre âme humaine, Les mécomptes du cœur et les revers mortels De la fortune vaine ; Jeux du sort , abandons , traîtrises , pauvreté, Que pouvez-vous me faire? Ne puis-je vous souffrir, puisque j'ai supporté La perte d'une mère? 1838. A MA MERE. Si je vaux quelque chose, et si dans cette vie On m'estime et m'honore un peu, Ce sera pour beaucoup ton œuvre, âme chérie, Et ma reconnaissance éternelle, infinie, Te suivra jusqu'au sein de Dieu. C'est toi qui, m'enseignas les vertus de ce monde, C'est toi qui, vers de doux penchants Tournant, comme un ruisseau, mon humeur vagabonde, Me fis prendre les bons en amitié profonde, Et môme en pitié les méchants. C'est par toi que j'appris à supporter la peine Avec calme et virilité, A garder, quel que soit le malheur qui nous vienne, A. MA MERE. 213 Cette pudeur de l'homme à la face hautaine Que l'on appelle dignité. C'est ton exemple, ô toi la plus simple des femmes ! Qui me fit comprendre et savoir Qu'ici-bas le bonheur pour les mortelles âmes Est moins le bruit du monde avec toutes ses flammes Que l'observance du devoir. Et tes sages avis , tes exemples , ma mère , Comme du grain plein de vigueur, Comme du pur froment dans une bonne terre, Jusqu'à mon dernier jour germeront , je l'espère , Au fond solide de mon cœur. Les leçons d'une mère , ah ! ces choses divines, Ce sont des perles de haut prix Qu'elle rassemble au temps des grâces enfantines, Qu'elle met en collier, et que de ses mains fines Elle pend au cou de ses fils. Ce beau collier alors protège notre enfance Et la préserve des faux pas ; Puis , quand vers la jeunesse avec feu l'on s'élance, Et qu'on laisse tomber la robe d'innocence , Heureux qui ne le jette pas! Heureux qui l'a gardé : les passions du monde Coulent dessus comme un zéphir; Leur haleine mauvaise et leur vapeur immonde Passent sans altérer ses perles et leur onde Où le ciel vient se réfléchir. 214 SILVES. Je ne sais quoi de doux, de charmant s'en exhale Sur nos fronts à tous les instants, Et l'on a heau toucher à la borne fatale , Comme un baume divin sa fraîcheur matinale Parfume encor nos cheveux blancs. 1839. LA FUITE DES ANS. IMITE DE SAPHO. O jours de ma jeunesse, Qu'êtes-vous devenus? Doux oiseaux que j'ai vus Passer avec vitesse , Ne reviendrez- vous plus? — Gomme tout ce qu'efface Le temps sous ses pieds nus, Comme l'eau sans reflux Qui s'écoule et qui passe, Nous ne reviendrons plus. Comme tout ce qui brille En ce monde confus, La fleur des blés touffus, La beauté d'une fille , Nous ne reviendrons plus. 216 SILVES. Comme la note folle Que dans les bois feuillus Jettent deux cœurs émus Au pur souffle d'Éole, Nous ne reviendrons plus. — O jours de ma jeunesse, Étes-vous disparus, A tout jamais perdus? — Oui, pleurez-nous sans cesse, Nous ne reviendrons plus. 1839. ÉPIÏRE FRATERNELLE. Toi que Dieu me donna pour sœur, Toi que j'aime de tout mon cœur, Pourquoi donc si souvent les larmes Viennent-elles mouiller tes yeux? Et pourquoi l'azur des grands cieux , Dans leur pur cristal plein de charmes, Roule-t-il sombre et nébuleux? Sur la terre, lente et rêveuse, Distraite, l'œil inattaché, Comme la pâle tubéreuse Tu fleuris, le corps mi-penché. Rien du monde ne t'intéresse, Rien par toi n'en est regretté, Tu fuis la foule qui t'oppresse, Et la douce et morne tristesse Marche toujours à ton côté Hélas ! hélas ! souffrant r'e l 'Am« •M s SILVES. Plus que tu ne Boufltres du corps, Tu vois toujours le ciel dehors Noircir ou jeter de la flamme. Tes enfants d'abord sont l'objet De ta vive sollicitude , Et bien des nuits, d'une aile rude, L'effroi voltige à ton chevet ; Puis d'une mère agonisante L'affreux souvenir te tourmente, Te suit jusqu'en tes rêves doux ; Puis la fortune d'un époux Occupe ta pensée aimante; Et, quel que soit l'événement. Qui te remue ou t'épouvante, Noir avenir, passé, présent, Tout en ton cœur triste et dolent Déchire une fibre secrète Et te laisse de longs émois, Autant qu'à la biche inquiet" Un bruit de chasse dans les bois. O chère sœur! ù douce femme! Il est vrai , bien vrai , que le ciel Aurait pu verser en ton âme Un fleuve de baume et de miel, Que l'auteur des grâces divines Aurait pu, sans grandes faveurs, A tes pieds semer moins d'épines, Faire éclore plus d'aubépines, Et t'envoyer plus de senteurs ; Mais, quoique la Toute-Puissance T'ait fort peu donné jusqu'ici, Ne crois point que sa providence De toi ne prenne aucun souci. Espère au contraire en sa grâce, Kn ses retours, et songe enfui É P I T R E F H A T E R NRLLE. 2 1 y Que dans ce bas monde incertain- Rien ne reste à la même place, Et que tout a son lendemain. Oui, de beaux jours peuvent encore Luire à tes yeux, et la santé Peut rendre à ton front attristé Les fraîches couleurs de l'aurore ; Oui, la fortune aux jeux cruels Peut abréger ton dur martyre , Te reprendre sous son empire, Et de son gracieux sourire Dorer tes rêves maternels. Rouvre ton cœur à l'espérance , Crois à des jours plus consolants, Au tiède zéphir qui s'avance, Aux douceurs du divin printemps ; Crois au retour des hirondelles, Au départ des sombres autans , A l'écho des bonnes nouvelles , A la santé de tes enfants. Enfin si , malgré l'assurance Dont mon cœur aime à te remplir, Ton âme toujours en souffrance N'ose pas croire à l'avenir; Si, dans ta tristesse profonde, Tu doutes encor du bonheur, Tu peux douter de tout au monde, Du ciel , de la terre et de l'onde, Mais pour toi jamais de mon cœur. 1839. LES ROSES ROUGES A MON AMI A. DAUD1GNA C. On dit que, voyageant aux plaines de la Grèce, Le beau dieu de Nysa, le père de l'ivresse, S'endormit quelque temps près d'un jeune églantier Comme il se réveillait, le zéphir printanier Sur l'arbuste en boutons ouvrit une fleur blanche Qui devant l'immortel fléchit avec la branche. Bacchus la trouve belle, et sur-le-champ son cœur Se rappelle, à l'aspect de la douce pâleur, Les pâleurs d'Ariane errant au bord de l'onde Dans les égarements d'une douleur profonde. Ce souvenir l'émeut, et le dieu va poser Sur l'enfant du zéphir un suave baiser; Mais, tout en lui faisant cette faveur charmante, Une goutte de vin à sa barbe pendante Uoule comme un rubis dans le sein de la fleur, fit la voilà changée à jamais de couleur, LES ROSES ROUGES. 821 0 Provins! c'est ainsi qu'on tes fraîches prairies Promenant un été mes vagues rêveries Et tes ro^es voyant briller avec éclat, J'essayais d'expliquer leur puissant incarnat. Reportant mon espril au ciel bleu de leur mère Cypris, et caressant L'amoureuse chimère, En elles je cherchais le symbole enchanté Des feux ardents du cœur et de la volupté. Pourtant il me peinait que ces choses divines Eussent reçu jadis les teintes purpurines Du sang d'une déesse, et qu'ainsi leur couleur Fut le triste produit d'un moment de douleur. J'aimai mieux et jugeai comme plus vraisemblable La légende sans nom du vieux temps de la fahle Que je viens de citer, et qui donne à Bacchus L'honneur d'avoir fait naître une splendeur de plus Dans le vert firmament du jardin de la terre. L'histoire, dira-t-on, en est bien mensongère; Je le sais... Mais sur nous quand si tôt vient le soir, Et surtout le chagrin, n'est-il pas doux de voir Les lèvres du plaisir à l'haleine féconde Colorer quelquefois les pâleurs de ce monde? Provins, 1842. AU SOMMET DU HONECK. A M M. XEli ET L A D E T. 0 pics majestueux! ô montagnes hautaines! Que vous avez d'attraits pour les âmes humaines, Pour un rimeur surtout!... L'été, par un ciel pur, Quel charme, comme oiseau balancé clans l'azur, De donner au sommet de m>s crêtes ardues A ses libres pensers de vastes étendues! L'enthousiasme alors sur des ailes de feu Vous prend et fait chanter l'œuvre sainte de Dieu. Mais plus heureux encore est le jeune homme tendre Qui, suivant les sentiers (pie le chevreau sait prendre, Avec une compagne aimante et de son choix Y monte respirer la fraîcheur d<;s grands bois. Là, le calme divin de la hauteur sereine Enivre tous ses sens : la solitude est pleine, Et sur le vert sommet des monts silencieux La voix du cœur aimé s'écoute et s'entend mieux. Vosges, 1812. AU BORD DES FLOTS. SOUVENIR D'UN POETE PERSAN. Tandis que sur un roc ma pensée attentive Se perd à contempler l'immensité plaintive, Les flots tumultueux s'en viennent à mes pies Expirer en chantant sur les cailloux broyés... « Que voulez-vous me dire, ô rumeur vagabonde? — Nous venons, nous venons, fils de la mer profonde, Image du Très-Haut, miroir de ses rayons, Te raconter de lui le peu que nous savons. Bien des esprits hautains gonflés par la science Disent qu'elle pourra leur donner connaissance Des fondements secrets du suprême élément : Ah ! l'orgueil des humains se trompe étrangement ! La gloire du grand Être est sans borne , et la vue La plus longue n'en peut mesurer l'étendue ; Le cœur le plus rempli de sensibilité N'en possède qu'un grain auprès de sa bonté; L'oiseau de la pensée a beau jouer de l'aile, 11 n'atteindra jamais à l'Essence éternelle; 2.24 SILVES. En cet autre océan où tout semble aboutir Mille et mille vaisseaux sont allés s'engloutir, Sans qu'on en ait jamais revu planche au rivage. O poëte rêveur! que ton esprit soit sage ! Renonce au grand problème, et, pliant les genou s, Sans chercher ce qu'est Dieu, chante-le comme nous ! » Pornic, 184o. L'IMAGE DU CHEVALIER. Vieux croisé, dont les os ne ;out plus que poussière Depuis longtemps livrée au caprice des vents, .Mais dont l'image encore apparaît sur la pierre Qui déroba ton corps aux regards des vivants, Puisse le souverain de cette solitude, Le temps, ce noir vainqueur de tout ce qui fut beau, Ne point appesantir sur toi sa lame rude Et de ta sépulture épargner ce lambeau ! Bien qu'il soit à demi couvert d'herbes rustiques Et dans un humble coin relégué sans honneur, A tous les cœurs épris des dévoùments antiques Il rappelle des jours d'une haute valeur; Il nous fait souvenir qu'au vieil âge, nos pères, 13. Î26 SILVEb. Nos aïeux quittaient tout pour suivre un saint drapeau, Et partaient bravement aux terres étrangères, Non pour gagner de l'or, mais sauver un tombeau. Cimetière de Sainte-Marie de Pornic, 184J3. Publié en 1857. LA VISITE PROVIDENTIELLE. A MES AMIS GABRIEL ET EDOUARD DENTU. « Non, non, mes chers enfants, vous n'irez pas sur mer, Quoique le vent soit doux , l'air pur, l'horizon clair, Et que Paul soit habile à manier ses rames, Je ne veux pas vous voir galoper sur les lames , Car nous avons affaire ailleurs; il faut, tous deux, Que vous m'accompagniez, en garçons gracieux, Chez le brave docteur qui nous a fait visite. C'est politesse due à cet homme d'élite , Et, quel que soit l'ennui que vous puissiez avoir, Il sera toujours bien de remplir son devoir. » A ces mots pleins de sens, de sage discipline, Nos jeunes écoliers font assez grise mine, Quittent la main de Paul, et, murmurant un peu, Disent : « Maman s'oppose,... un autre jour,... adieu!» Puis l'on va s'habiller, et, gagnant la demeure De l'honnête Esculape , on reste près d'une heure 228 S1LVES. A L'entendre causer des choses du moment, Du tiers, du quart, et puis on revient doucement Au logis, pas à pas, muet, tête inclinée, Et chacun se disant : « J'ai perdu ma journée! » Or, comme on approchait des marches du logis, Voilà que l'on y trouve assemhlé devant l'huis Tout un monde; des cris et des plaintes de femme S'échappaient du dedans et vous effrayaient l'âme. Quel malheur était-il arrivé depuis peu? Était-ce une querelle? ou, plus encor, le feu, Éclatant tout à coup, mettait-il en détresse Les servantes? Hélas ! hélas! c'était l'hôtesse, Mère du jeune Paul, qui, criant et pleurant, Tâchait de ranimer son fils presque mourant Qu'on venait d'apporter glacé par l'onde amère, Et le corps immobile, au long d'une civière! Le malheureux garçon!... A peine hors du port, Surpris d'un coup de vent qui trompa son effort, Il avait fait naufrage, et sans l'heureuse chance D'un navire passant juste en sa défaillance Et qui , jetant bien vite à la mer son canot, Avait pu l'arracher à la force du flot, De lui c'en était fait, il laissait sous la lame, Nageur bientôt lassé , son corps avec son âme. A ce récit des gens, la daine de Paris S'arrête, toute pâle... Elle songe à ses lils Qui devaient se trouver dans la barque du mousse, Et dont aucun n'eût pu de l'horrible secousse Revenir... Puis, avant de reprendre le pas, Elle serre un moment ses enfants dans ses bras Et leur dit : «Avec moi vous loùrez Dieu, j'espère, D'avoir eu ce matin une visite à faire! » Pornic, LS48. UNE DAME PORTANT LE NOM DE MÉLANIE De votre nom charmant vous craignez l'influence : Son origine est sombre et fait peine à savoir, Et vous tremblez parfois que quelque reflet noir .N'eu vienne tristement ombrer votre existence. Bannissez vos terreurs, Dieu, dans sa bienveillance, N'a point en votre nom mis ce fatal pouvoir : Le nom est peu de chose, et puis toujours le noir N'est point signe de deuil et de mauvaise chance. Rappelez-vous le sort de la plus douce fleur : Celle qui jette aux bois une enivrante odeur Porte un noir vêtement, se nomme violette; La parure des cieux ne brille que la nuit, Et c'est d'un noir gosier que doucement s'enfuit Le chant mélodieux de la tendre fauvette. Pornic, 1843. EN PASSANT DANS UN PRÉ. Jeune garçon, pourquoi du bout de ta baguette Tourmenter ce pauvre animal? Pourquoi terrifier cette verte rainette Qui ne saurait te faire mal? Lasse de s'agiter au sein de l'eau dormante, Elle était venue un moment Contempler les beautés de la terre charmante, Respirer son pur élément. Sous les feux du soleil inondant l'herbe humide, Immobile, le flanc muet, Son œil d'or renvoyait à la voûte splendide La flamme qui s'en échappait; Et puis elle écoutait les vagues harmonies Qui, l'été, passent dans les airs, Le bruit des moucherons, les chansons infinies Des gais oiseaux sous les couverts. Et voilà que, troublant sa douce quiétude, Ave<: les éclats de ta voi\ K.\ PASSANT DANS UN PRE. 23 1 Et les coups redoublés d'une baguette rude, Tu mots la pauvrette aux abois. 0 jeune homme, sois bon ! de l'humble créature Respecte l'innocent loisir, Sur le sein amoureux de la grande nature Laisse-lui sa part de plaisir. Qui sait? peut-être un jour auras-tu hesoin d'elle ; Car un lien mystérieux, Celui de la douleur, chaîne étrange et cruelle, Unit tous les êtres entre eux. Oui, peut-être qu'un jour, de bien loin, au village T'en revenant par la chaleur, Le corps demi-courbé sous un pesant bagage, Le front tout perlé de sueur, Dévoré par la soif, palpitant, sans haleine, Obligé même d'arrêter, Seras-tu trop heureux, en ce moment de peine, D'ouïr la rainette chanter ! Alors les clairs accents de l'humide chanteuse Te feront vite souvenir Que tout près des buissons de la route poudreuse Un peu d'eau fraîche vient dormir; Et par elle guidé vers la nappe voisine , Y puisant l'onde à pleine main, Tu pourras apaiser les feux de ta poitrine Et gaîment finir ton chemin. Vosges, 1844. LE JOUEUR D'ÉPINETTE. (( Ami , dit-elle avec un perfide sourire, Montrez-nous vos talents; tout le monde désire Nous entendre, Ton sait, joueur mélodieux, Que vous feriez valser les étoiles des cicux. » Jean, qui rien ne refuse, à cette voix mielleuse , Obéit sans mot dire à la belle faneuse. 11 détache du clou le sonore instrument, Et, sur un bout de table accoudé, vivemcnl 11 frappe le laiton des cordes en cadence. L'air s'envole, et soudain les pieds d'entrer en danse. Ludivine n'est point demeurée à l'écart : Pendue au bras nerveux d'un jeune montagnard, La valse aux bonds légers l'emporte dans l'espace, Et, tournante, voilà qu'elle passe, repasse, La tète renversée et les yeux demi-clos, Ainsi qu'une mouette au vaste sein des flots, Ivre des bercements de la vague onduleuse... LE JOUEUR D'EPINETTE. 23:3 Cependant Jean poursuit sa course harmonieuse; Les rhythmes les plus vifs, les plus brûlants d'amour, De son âme en ses mains descendent tour à tour. C'est une volupté. Jamais son épinette Ne résonna si bien; tous les cœurs sont en fête, Hormis le sien, hélas! car, pendant le doux jeu, Ses yeux versaient des pleurs sur les cordes en feu. Vosges, 184-1. Publié en 1857. UN ESPOIR. L'été, lorsque je vois la terre radieuse Étaler sous le ciel sa beauté merveilleuse, Ses campagnes en fleurs, ses ombrages mouvants, Ses ondes, bleu cristal frissonnant sous les vents, Ses monts baignés d'azur et de blancheurs errantes Où le soleil se couche en des roses mourantes, Et que je vois, parmi les millions d'humains Qui sillonnent les mers et courent les chemins, Si peu d'âmes pensant à la magnificence Des choses que nature à leurs regards dispense, Je me demande alors si tant de beaux effets Pour la foule toujours seront vains et muets. S'ils ne posséderont de signe et de langage Que pour les cœurs choisis du poëtc et du sage, Et si tant de mortels doués de sentiment Doivent rester toujours frappés d'aveuglement Devant eux , et toujours au sein de la nature 1 \ BSPOIK. 23." Ne chercher qu'un objet de lucre ou de pâture, Comme ces animaux qu'on voit au flanc des monts, Soir et matin sur terre abaissant leurs grands fronts, Manger et ruminer pondant de longues heures Sans se douter des lieux qui forment leurs demeures. Alors au fond de l'âme une secrète voix S'élève et me répond : «Non, toujours les grands bois Aux fûts majestueux, aux cimes frémissantes, Le murmure des lacs et des mers blanchissantes, Le virginal éclat de la neige des monts, La fraîcheur des prés verts, la grâce des vallons, L'or du soleil, enfin, toutes les belles choses, Pour la foule toujours ne seront lettres closes. A mesure qu'au joug lourd de la pauvreté Le savoir ravira le front déshérité De l'humble fils du peuple, il verra le nuage De la brutalité tomber de son visage, En lui le sentiment développer ses fleurs Et l'amour des plaisirs purs et supérieurs ; Les deux yeux plus ouverts à la clarté suprême, Et pensant davantage, il pourra de lui-même Sortir, et, s'attachant aux objets du dehors, Percevoir la beauté de leurs divins accords. Alors un jour, peut-être, ayant moins de souffrance Et vers son idéal étant plus en avance, Toute l'humanité, comme un artiste fin Qui devine un beau corps sous les longs plis du lin, Découvrant Dieu partout sous ta grande figure, Goûtera pleinement tes splendeurs, ô nature! » Vosges, 1844. A UNE PETITE FILLE. A peine sept printemps ont lui sur votre front, Petit ange à l'œil noir, à l'esprit net et prompt, Que les rimes, ainsi que de vives abeilles, Bourdonnent tout autour de vos lèvres vermeilles, Et qu'heureuse du son qui bat deux fois les airs, Vous dites en sautant : «Maman, je fais des vers! » Enfant, gardez-vous bien d'éloigner ces chanteuses; Laissez-les au contraire, en leurs rondes joyeuses, Venir se reposer sur votre bouche en fleur; C'est la race d'un Dieu. Leur troupeau séducteur Est issu de celui qui verse sur la terre A flots harmonieux la vie et la lumière, Le créateur du luth, le vainqueur de Python, Dont vous saurez un jour l'histoire et 1(3 grand nom, Lorsque, développant votre jeune nature, L'âge aura bruni l'or de votre chevelure. Chère mignonne, hélas! vous n'aurez pas toujours A UNE PETITE PILLE. 23' \i) sept ans fortunés : dans son rapide cours, Le temps emportera vos heures d'innocence, De naïve gaîté, do folio insouciance, Et , d'un voile couvrant vos yeux purs et sereins, Courbera votre front sous le poids des chagrins. Vous connaîtrez l'amer des choses de la vie, Ce que c'est qu'une ivresse ardemment poursuivi»1 Et qui vient à manquer à nos jeunes désirs, Vous connaîtrez le monde et ses tristes plaisirs, Les nœuds de l'amitié rompus, la médisance Payant de son venin la douce bienveillance, Et les rêves du cœur, ces fantômes charmants, Fuyant au vent glacé des durs événements. Alors , si vous avez toujours avec les rimes Conservé gentiment des liaisons intimes, Les rimes «à leur tour viendront dans vos ennuis Abréger la longueur de vos pesantes nuits. Le murmure léger de leurs sonores ailes Enlèvera votre âme à ses peines cruelles, Et peut-être qu'aussi, le chant mélodieux Qu'elles feront avec vos soucis douloureux Sera pour votre cœur plein d'une sombre flamme Le baume le plus sûr et le meilleur dictame. 1847. UN TRISTE ASPECT. Misérable hameau de la côte normande, Quel malheureux hasard, au ciel je le demande, Jeta là tes destins? Un banc de galets gris Par la vague montante incessamment meurtris De la mer défend seul les murs de tes chaumières; A leur pied , un cours d'eau tout parsemé de pierres Abreuve maigrement tes pauvres habitants Que la fièvre aux feux noirs brûle presque en tout temps. Point d'arbres, seulement des plaques de verdure Où quelques bestiaux errent cherchant pâture, Troupeau grêle et plaintif, dont le mugissement Aux aboîments des flots répond lugubrement... Ah ! dans ses tours lointain,; mon errante jeunesse A vu peu de pays d'aussi grande tristesse, Et cependant ces lieux malsains, au sourd fracas, Renferment des mortels que tout l'or d'ici-bas Ne ferait fuir du chaume où leur pâleur se cache : Tant l'habitude est foric et tant le cœur s'attache! Pourvillo, 1317. DILEGTyE THETIDI ALGYONES. Après le cours léger des voiles dans l'espace, Rien de plus attrayant que les jeux et la grâce Du goéland plaintif sur l'abîme des flots... Je conçois qu'à l'instar des jeunes matelots, Penché sur un navire ou couché sur la grève, On passe bien du temps, comme dans un doux rêve, A suivre les ébats de ce beau fils de l'air. D'abord sans troubler l'onde il effleure la mer, Puis planant au-dessus, les ailes immobiles, Il mire sa blancheur aux vagues indociles ; Puis s'abattant soudain sur le flot nuancé, Il s'y berce à plein corps; puis, las d'être bercé, Il repart, et, fouettant l'onde d'une aile folle, On dirait un flocon d'écume qui s'envole. Côts normande, 1847. UN VILAIN JEU. Hirondelle, noire hirondelle, Au vol prompt et capricieux , Aucune joueuse de l'aile Dans les hautes plaines des cieux, Soit alouette ou tourterelle, Ne charme autant que toi mes yeux Ah ! qui n'aurait pas à ta vue Le cri joyeux des cœurs contents, Lorsque tout à coup revenue, Après la neige et les autans, Ta voi\ à la terri; encor nue Annonce le divin printemps! C'est toi qui voyant les tempête ;, L'été, s'amasser dans les airs, Avec les ailes inquiètes UN V TLA IX JEU. -241 El plus vitt' que les éclairs, Viens raser le bord de nos têtes Et nous dis : Gagnez les couverts! Tout le jour d'un bec formidable Tu poursuis les noirs moucherons, Et le bétail insatiable, Quittant à regret les gazons, Le soir peut dormir dans l'étable, Sans désagréables frissons. Comme tant d'autres volatiles, Loin d'habiter toujours les bois, Tu te plais au séjour des villes; Et sous la tuile des vieux toits, Pour tes petits nus et débiles, Tu maçonnes des nids étroits. Et pourtant cette race humaine, Qui se dit bonne et l'est, si peu, Souvent te met le cœur en peine, Et, l'arme en main, sous le ciel bleu, Arrêtant ta course incertaine, De ton trépas se fait un jeu. Ah! cher oiseau, douce hirondelle, Des cœurs ailés le plus aimant, Si j'avais ton plumage frêle, Et si dans le pur élément Je pouvais avec un coup d*ail\-> SILVBS. Je voudrais y couler mes jours, Et jamais mon aile sensible N'approcherait même des tours. Car l'homme est plein de barbarie, Malgré sa force et sa grandeur; On sent que son âme est pétrie Avec un levain destructeur, Et que le mal fera partie Longtemps encor de son bonheur. Vallée d'Arqués. 1847, DEUX MINUTES DE REVE. Sous les pommiers en fleurs d'une verte prairie Je m'étais arrêté. Là, pris de rêverie, Couché sur le gazon de points d'or émaillé, Et, demi-sommeillant, contre un arbre appuyé, Je me croyais , au vrai , maître d'un héritage Tout semblable à celui dont je goûtais l'ombrage. J'avais un verger frais où de nombreux pommiers D'un cidre savoureux remplissaient mes celliers. Des vaches au poil roux, à la gorge superbe, Paisibles, étalaient leurs larges flancs sur l'herbe. Puis, sous un toit de chaume au vitrage luisant, Une femme au front jeune, en costume plaisant, La reine de mon cœur, active ménagère, De mon repas du soir préparait la matière, Tandis que sur un banc, près du seuil, blonds et doux, Deux enfants gazouilleurs faisaient les petits fous. J'étais heureux, j'avais en modeste mesure 244 SILVES. La portion de biens qu'une âme droite et pure Peut souhaiter sur terre, et je bénissais Dieu D'avoir si tendrement agi selon mon vœu. Mais, hélas! ee bonheur n'était qu'imaginaire, Et d'un demi-sommeil le produit éphémère, Le ravissant tableau devait, s'évanouir Au moindre mouvement de l'aile du zéphir. En effet, un eoup d'air me venant au visage, Je m'éveille, je vois frissonner le feuillage, V i ;er tous les pommiers aux brillantes couleurs, Et mon rêve charmant tomber avec les fleurs. Offranville, 184-7. UNE VOIX DU POLET. COMPLAINTE. Venez, ma bonne mère, Et m'écoutez : Je suis dans la misère De tous côtés. Au vent de la détresse Vont mes amours; Mou amant me délaisse, Las! pour toujours. 11 m'a dit : « Marguerite, Mon petit cœur, Il faut que je vous quitte C'est un malheur : Je vais sortir de rade. Consolez-vous ; 11. •246 S1LVES. Prenez mon camarade Pour votre époux. » Puis, trois fois sur ma porte Il repassa, Sans voir, si vive ou morte, J'étais bien là! Et moi, toute honteuse De le chercher, Je tombai, malheureuse, Sur le plancher. 0 ma mère ! ma mère ! A votre enfant Quel bien offre la terre Dorénavant? Quand l'on voit ce qu'on aime Pour toujours fuir, Le remède suprême Est de mourir. Dieppe, 18-17. TEMPS D'ORAGE. Vers un ordre nouveau l'humanité gravite, Tout tend au changement et tout s'y précipite ; Mais, pour atteindre au but qu'on aspire à toucher, Dans des mares de sang faudra-t-il donc marcher? Déjà le vil moteur des humaines tempêtes, Le sophisme impudent trouble toutes les têtes, Et, mettant en émoi la mer des passions, Fait écumer partout des flots d'ambitions. Partout des cris mauvais, partout des voix rebelles, Des visages hideux et des mains criminelles. Poètes, c'en est fait du chant mélodieux Des muses, il vous faut pour longtemps dire adieux Aux amours, aux concerts, à tout ce que nature Renferme de plus doux dans sa verte ceinture ; Nous sommes au combat : aiguisons donc nos vers; Des traits , des traits aigus pour frapper les pervers. 1848. A PROPOS CERTAINS DOCTRINAIRES DE 93. Le Christ! le Christ! ils n'ont que ce mot à la bouche, Eux, les hommes de meurtre et de haine farouche; Eux, qui n'ont jamais su gouverner autrement Que par la guillotine et le dépouillement. Ah! lorsque je les vois profaner ce nom tendre! En leurs sombres discours, je crois toujours entendre Pleurer le crocodile au bord des grandes eaux, Et le tigre imiter le doux cri des agneaux. Mémorial de lloucn, 1818. PENDANT LES JOURNEES DE JUIN, Tandis que sur les quais déserts, fusil au bras, Nos files attendaient le signal des combats, Par la ville en stupeur aux vitres ébranlées Le canon envoyait ses lugubres volées ; Et chaque coup parti du formidable airain En écho douloureux me vibrait dans le sein. Je pensais tristement à tous ces cœurs de femmes Que nous avions laissés pleins de sinistres flammes, Et qui , seuls au logis , tremblant pour les absents, Plus que le nôtre étaient craintifs et frémissants. Il me semblait ouïr les ferventes prières Qu'ils répandaient au bruit des armes meurtrières; Prières d'éloigner des balles en courroux Leurs pères, leurs enfants, leurs frères, leurs époux; Car tout ce qui portait le nom d'homme en la rue Était prêt à combattre , et, de colère émue, 250 SILVES. Mon àme maudissait les novateurs sanglants Qui, mettant tout en feu pour leurs orgueilleux plans, Nous forçaient à jouer, gens de paisible vie, Le rôle d'homicide en leur parade impie. 1848. CONTRE LES DEMAGOGUES. Vents impurs qui soufflez sur le peuple de France, Vous remuez en vain ce flot large et profond ; Vous ne ferez monter à la surface immense Que flocons écumeux, mousses sans consistance Et fanges qui bientôt retomberont au fond. La masse est bonne et peu disposée aux tempêtes, Nul désir de croissance et de débordement; Dans ses justes confina, ses limites honnêtes. Selon les saintes lois que le Très-Haut a faites, Elle veut accomplir en paix son mouvement. Elle veut qu'en son onde où richesse fourmille Chacun soit l'ouvrier de sa félicité, Et que chacun, guidant à son gré sa coquille, Sous le chanvre modeste ou la pourpre qui brille, Flotte partout sur elle en toute sûreté, 252 SILVES. Au loin, noirs ouragans! assez longtemps vos ailes Ont soulevé son dos verdàtre et mugissant; Assez longtemps, souffrant de vos sombres querelles, Elle a vu s'allumer vos foudres criminelles, Et sur elle pleuvoir des nuages de sang. Au loin, noirs ouragans! restes d'un vieil orage, Votre règne est passé. — Le peuple d'aujourd'hui Est un calme océan au splendide rivage, Oui , pour mieux réfléchir, ô Dieu , ta sainte image, Ne veut plus de tempête entre le ciel et lui. Publié le 13 juin 1849. LE POINT DE VUE. Du haut d'un de ses monts le grand Fontainebleau Déroulait devant moi , comme un vaste tableau, L'horizon imposant de sa forêt immense. Je voyais à mes pieds l'abondante semence, Agitant sous le vent ses longs panaches verts, S'enfler et se creuser comme le flot des mers. Les nuages ailés qui franchissaient l'espace De larges sillons noirs en tachaient la surface, Et ces ombres faisaient par leurs tons vigoureux Ressortir du soleil les reflets lumineux. Ici s'entremêlaient les bouleaux et les frênes, Là les hêtres touffus étendaient leurs domaines, Plus loin montaient les pins, enfin les chênes hauts, Par-dessus tous, en rois, étalaient leurs rameaux. C'était un beau spectacle, et ma pensée altière Plongeait avec ivresse en la verte matière, Et, frémissant comme elle, en mon cœur exalté Chantait l'hymne divin de la fécondité. 15 •254 S H. Y F.-. Gloire, gloire à la vie! en tous sons, toute place, L'esprit intérieur va remuant la masse, Et, sans cesse formant d'innombrables accords, Sous mille beaux aspects se produit au dehors. O terre ! que de force en ta grasse substance, Et quel fonds infini dans la Toute-Puissance ! Or, comme ce cantique échappait à mon cœur, Voilà que dans un creux mon regard scrutateur Aperçoit une femme à la mine plombée, Qui , de haillons couverte et toute recourbée, Faisait un peu de bois au pied d'un arbre vert : C'était la pauvreté qui glanait pour l'hiver. Hélas! dans cet amas de verdoyantes cimes Elle n'avait du sol que les rebuts infimes, Une bien faible part en l'immense trésor, Des brins d'herbes et puis le seul bois que la mort Abattait lentement ae son souffle suprême, Ce aue le Créateur abandonnait lui-même. Mon esprit aussitôt descendant du haut ton Où l'emportait le vent de l'admiration Sentit vibrer en lui la corde douloureuse : Cette femme venait, rencontre malheureuse, De faire repasser sous mon œil attristé Les maux les nlus cuisants de notre humanité. Je pensai derechef à tous les misérables Qu'au milieu des trésors de ses flancs adorables Nature chaque jour voit expirer do faim, Elle qui peut si bien donner à tous le sein! Et, le cœur vivement peiné de ce contraste, D'un lugubre soupir je frappai le ciel vaste. Puis, mes pieds s'éloignant du magnifique lieu, Toujours voyant les bois et toujours au milieu Le corps demi-courbé do la vieille glaneuse, Le long du frais soutier de la côte rocheuse, Je répétai ce vers plein de compassion LE POINT DE VUE. Que jadis exhala le chantre d'ilion : Jusques à quand, mon Dieu, verra-t-on dans le monde Des hommes mendier sur la terre féconde? Cependant tout pensif et gémissant, mes pas De la verte montée avaient atteint le bas. Un chemin devant moi se déployant dan:; l'ombre, Sous son arc frissonnant j'y perdis mou cri sombre. Là, les deux yeux encor ravis de la beauté Des choses de la terre, et sans cesse arrêté Par la splendeur des fûts et le luxe des herbes Qui des bords sur mes mains penchaient leurs folles gerbes, J'admirais en détail ce qu'au sommet du roc Je venais un moment de contempler en bloc. Pas un pouce du sol, sous les masses flottantes, Qui ne fût recouvert de mousses et de plantes ; Thyms, lierres, serpolets et bruyères en fleurs, Y répandaient à flots leur baume et leurs couleurs, Et de l'épais tissu de toutes ces verdures S'échappaient dans les airs mille joyeux murmures, Témoignage certain de vie et d'action Par tous les éléments de la création, Même les plus obscurs. — Tandis que ma pensée Était vers l'infini de nouveau relancée, La rustique Baucis, qui sur le sort humain M'avait fait soupirer, tomba dans mon chemin; Et voilà qu'en passant la pauvre et vieille femme Me donna le bon jour du profond de son âme. Son pas était pesant : un large faix de bois Couvrait son corps voûté qui tremblait sous le poids. Son haleine sifflait, et le long du visage Lui coulait la sueur : pourtant avec courage Elle marchait, le bras d'un bâton appuyé. Son aspect ralluma les feux de ma pitié. En lui voyant, si vieille, un si cruel martyre, 256 . SILVES Je no pus la laisser s'éloigner sans lui dire : «Vous faites là, ma mère, un bien triste métier! — Ah ! c'est vrai , reprit-elle , en arrêtant le pied ; Mais dans ce monde il faut que chacun ait sa peine : Notre-Seigneùr Jésus n'a-t-il pas eu la sienne? » Puis, saluant du front et reprenant son pas, Elle tourna l'allée et disparut. Hélas Je ne m'attendais guère à voir un mot semblable Sortir si doucement d'un corps si misérable, Et nature, malgré son spectacle enivrant, Dans mon âme perdit de son charme à l'instant, Oui , l'auguste Gybèle avec les feux sublimes De son ciel azuré, ses verdoyantes cimes, Ses parfums, ses couleurs et son frémissement, Devint pâle à côté du noble épanchement De ce cœur simple et bon qui, sachant sa souffrance, N'en faisait pas injure à la Toute-Puissance, Mais, formant sur le Christ sa pensée et ses pas, Acceptait fermement les douleurs d'ici-bas, Et prenait son parti sans haine et sans envie De l'inégalité des -lots de cette vie. O résignation! ô céleste vertu! Comme avec ton secours serait tôt résolu Le problème effrayant de l'existence humaine, Problème qui pourtant d'une voix si hautaine S'agite et qu'on ne peut ni ne doit dédaigner! Mais qui sait, de nos jours, qui sait se résigner? Qui croit que ce bas monde est un lieu de -passage D'où l'on doive arriver à quelque autre rivage Meilleur, et sur lequel se fera le paîmenl De tous les maux soufferts par nous innocemment? Qni môme, sans porter aussi haut sa pensée, Imite le brin d'herbe en son humble poussée? LE POINT DE VUE. 257 Comme lui qui sait, vivre avec plaisir au lieu Où l'envoya germer la main large de Dieu, Et là , sans nul désir d'un plus superbe asile, Faire tout son profit de sa couche d'argile, A son heure embaumer son petit recoin vert, Et sans plainte y subir les frimas de l'hiver? Ecrit en 1848. Publié en 1849. LA PUISSANCE DU CHANT. L'autre jour, un chanteur assis au pied d'un frêne En sons mélodieux épanchait son haleine, Et les sons émouvants, dans leur sublime essor, Semblaient, sans qu'on les vît, autant de chaînes d'or Qui liaient à ses lianes nos frémissantes âmes; Et lui, comme en délire et le visage en flammes. Il disait : « La musique est un vin généreux Qui fait battre le cœur et rayonner les yeux. Aussitôt qu'à flots doux il pénètre les veines, Baume réconfortant, il dissipe nos peines. C'est ce vin qui des preux excite le grand cœur, Et donne au tendre amour un langage vainqueur; Ce vin qui nous transporte, au delà de ce monde, Dans des champs éthérés pleins de clarté profonde, Où, comme des lotus sortant du fond des eaux, On voil s'épanouir les reves les plus beaux. LA PUISSANCE DU CHANT. 239 Do ses flots, sans jamais que le pied ne dévie, L'homme pont s'enivrer, c'est, la source de vie ; Venez boire, je suis le Bacchus glorieux Qui pressure aux humains le pur nectar des dieux.» Publié 6n 1850. UN RAYON DE SOLEIL. O toi , dont le nom pris à la reine des cieux Toujours m'apporte au cœur un bruit délicieux, Quel plaisir tu me fais, enfant, quand dans ma chambre Tu me viens visiter! Même aux jours de décembre, Alors que, tout couvert de nuages épais, Le soleil n'y répand que de pâles reflets, Elle devient soudain et plus chaude et moins sombre. Ta vue est un rayon qui dissipe mon ombre, Un souffle de printemps empreint d'ambre et de miel Qui chasse mon hiver. Aussitôt plus de fiel : Mon âme jette au loin toute pensée amère, Tout souci dévorant, toute sourde colère, Et la voilà qui vole à tes lèvres, enfant, Gomme l'abeille d'or au cytise odorant, Se pendre et se jouer. Simple et sans artifice, La voilà qui te suit dans ton moindre caprice, Qui parle ton langage et follement répond Au sourire charmant que tes lèvres lui font. Qu'importe qu'à cette heure une grave visite S'en vienne lui montrer combien elle est petite? UN RAYON DE SOLEIL. 261 Connue Le roi Henri devant l'ambassadeur, Elle demeurera fière de son ardeur. Loin même d'arrêter sa vive turbulence, De rentrer au repos, de s'imposer silence, Elle redoublera de rires et de cris, Sans redouter d'un fat l'ironique mépris. Qu'importe son dédain? Au contact de l'enfance, N'a-t-elle pas repris sa robe d'innocence? 0 force de la grâce! enfants, petits enfants, Que vous avez sur nous de pouvoirs triomphants! Doux êtres qu'aux humains la Providence envoie Pour être leur plus pure et leur plus sainte joie, Chérubins d'ici-bas dont le ciel est jaloux, Qui peut ne vous aimer et vivre loin de vous? Qui peut voir les trésors de vos têtes blondines, Vos prunelles d'azur, vos lèvres purpurines Toujours prêtes à rire et prêtes à jaser, Sans avoir le désir d'y placer un baiser? Que d'autres, enflammés d'une vertu stoïque Et poursuivant, l'œil haut, quelque but héroïque, Dédaignent en chemin de s'arrêter un peu Pour respirer les fleurs qu'à leurs pieds sème Dieu, Pour moi je ne le puis : j'ai besoin que sans cesse L'enfance avec sa voix tendrement me caresse, Et du haut de mes ans me ramène le cœur Aux jours insouciants de sa frivole ardeur. J'ai besoin d'oublier aux bruits de sa folie Les cris assourdissants de l'orageuse vie, Le monde aux plaisirs creux et plein de fausseté, Et de me retremper en sa naïveté, Comme au courant d'une eau d'autant plus pure et belle Qu'elle brille encor près de la source éternelle. 1850. 15. UNE FORET EN DECEMBRE. L'hiver est arrivé : son haleine mordante A figé dans le bois la séve débordante; Tout ce que mai joyeux épanouit de fleurs, De ramages d'oiseaux, de parfums, de couleurs, Sur le sol verdoyant a disparu ; la vie Comme un fleuve écoulé semble s'être tarie; Le ciel est d'un gris mat; sur son rideau muet Les hêtres , les bouleaux , grâces de la forêt, Ne profilent aux yeux que de noires arêtes : Les chênes plus tardifs tiennent bon, à leurs faîtes La feuille brille encor, mais d'un éclat fatal, Rouge et comme passée au foyer infernal. Seuls, dans ce deuil affreux de la triste nature, Les pins vont contrastant par leur puissante allure; Plus feuillus qu'en été, plus verdoyants, plus frais, Us se dressent dans l'air, comme ces ami. vrais, UNE FORET EN DECEMBRE 268 Ces cœurs nobles et purs qu'à l'heure du naufrage On retrouve plus forts, plus riches en courage, Et plus prompts que jamais à porter avec vous Tous les accablements du destin en courroux. Fontainebleau, 1850. LES BULLES DE SAVON Sans les jeux de la fantaisie, Chers amis, que serait la vie? Un triste champ où l'homme froid Tournerait dans un cercle étroit. Mais sitôt qu'en son vol de flamme Cette sylphide sur notre âme, Doux papillon , vient se po:-;er, Elle l'échauffé d'un baiser, Et notre âme échappe en rebelle Aux murs de sa prison charnelle, Et vole s'ébattre au pays Des chimères et des esprits... Que l'hiver souille la tempête, De nos toits qu'il mouille le faîte Et pende le givre au carreau Comme le linceul d'un tombeau, Mon âme avec la fantaisie Se rit du vent et de la pluie, LES BULLES DE SAVON. 205 Et se fait briller au dedans Les richesses du vert printemps. Voici des prés, l'onde étincelle, Le chaud soleil partout ruisselle, Les bois épanchent mille odeurs, L'abeille vole au miel, les fleurs Étalent leurs beautés, et l'herbe Siffle en abaissant mainte gerbe Sous le pied des jeunes garçons Folâtrant au bruit des chansons. Alors, narguant le cours de l'âge, Je ressuscite encor l'image, L'image de ces jours charmants Où, jouant au jeu des amants, Aux pieds d'une blanche Sylvie Je laissais écouler ma vie, Comme les ruisseaux gazouilleurs Qui vont se perdre sous les fleurs. Jours tissés de lis et de rose, Quand mon âme vous recompose, Dans votre gracieux bouquet La fée au doux rêve ne met Que les heures de folle ivresse, Les premières de la tendresse, Mais elle laisse de côté Les pleurs et l'infidélité. Merci, divine fantaisie! A toi l'art d'embellir la vie Et de ne montrer que l'objet Qui vous reluit et qui vous plaît! On a beau corner aux oreilles Que tes tableaux et tes merveilles Ne sont rien que des rêves creux, Des bulles de savon fumeux Qu'une lèvre enfantine forme, SILVES. Et que le moindre vent déforme, Et dont il ne reste plus rien Qu'un peu d'eau qui s'écoule... — Eh bien, Je dis à ces railleurs : « Qu'importe Que la bulle le vent emporte, Si tant qu'on la voit resplendir Elle vous donne du plaisir? Après tout, quel est le bocage Qui toujours garde son feuillage, La prairie aux belles couleurs Qui ne perde pas ses fraîcheurs? Quelle est la voix suave et tendre Qui se fasse toujours entendre, Et l'œil au magnifique azur Qui soit éternellement pur? Si le réel est si muable, Si peu solide , si peu stable , Pourquoi vouloir que constamment Durent les rêves d'un moment? Et puis, est-ce chose certaine Que de la fantaisie humaine Et de ses merveilleux éclats Il ne reste rien ici-bas? Je vous adjure, doux fantômes Issus des sublimes royaumes De cette fée au clair rayon Qu'on nomme Imagination, Clèves, Manon et Virginie ! Filles charmantes du génie, Vous vivez encore et bien mieux Que maints corps errants sous nos yeux. Et toi surtout, aimable Grèce, Pays d'éternelle jeunesse Où les poètes ravissants Créèrent pour l'âme e1 les sons LES NULLES DE SAVON. 261 Tant de dieux sous ton ciel bleuâtre, Les Grâces blanches comme albâtre, ' Cvprine au suave contour, Et son fils, le riant Amour, Corps divins, beauté rayonnante Qui toujours notre vue enchante Et jette au coeur le plus banal Le sentiment de L'idéal. En vain le temps fait son ravage Et va moissonnant d'âge en âge Les fleurs , les hommes , les cités , Il vous a toujours respectés, Et jusqu'au dernier jour du monde La mort, cette pâle inféconde, Epuisant sur vous vainement Sa rage, avec étonnement Verra les rêves purs de l'âme Triompher de sa froide lame... O toi s que la Réalité Traite avec trop de dureté, Douce mère de Poésie, O merveilleuse fantaisie, Laisse murmurer la raison, Et, sans écouter sa chanson Qui plaît tant au cœur du vulgaire, Sur ton aile vive et légère Porte-moi toujours au pays Des chimères et des esprits ! » Inspiré de Keats, 1851. A LA TRANQUILLITE. Toi dont le nom brille comme l'azur Et me plaît plus que celui de la gloire, Tu sauras bien garder mon âge mûr De toute intrigue et de toute œuvre noire. Fille du vrai! dès mon printemps en fleur Je t'ai chérie, et, te donnant mon cœur, J'ai délaissé la barque et béni le rivage, Épouvanté des bruits de la vague sauvage. Qui cherche tard ton asile serein Sent rarement l'effet de ta puissance; Satiété, paresse, au cœur mondain Offrent parfois iv. bénigne apparence; Mais, jeu moqueur! le cruel souvenir, \a\ fol espoir vont bientôt assaillir Le faux sommeil de l'âme inquiète et légère; Une bulle est devant, mais un spectre derrière. A LA TRANQUILLITÉ. 269 Pour moi, toujours aux prés verts, le matin, Tu guideras mes pas d'une voix douce, Et, dans l'ardeur des bleus étés, ta main M'y construira quelque siège de mousse; Puis quand le vent d'automne amassera De l'ombre aux cieux blanchis par Cynthia, La pensée en mon âme à l'accord moins rebelle Reluira par tes soins blanche et calme comme elle. Ame cherchante et cœur sensible , à toi J'offre le tout, ô tranquillité pure! Hélas! à l'heure où je rêve à part moi De hauts destins pour la race future, Je vois de loin et solitairement Tout ce que font les hommes du moment, Actes de meurtriers, de fourbes en délire, Trop fous pour en pleurer, trop méchants pour en rire. Imité de Coleridge, 1851. REMINISCENCE. « Vain c-ipoir, inutile soin, Ramper est des humains l'ambition commune, C'est leur plaisir, c'est leur besoin. » 0 Chénier! que ces vers marqués au noble coin De ton âme sont vrais! Hélas! si la fortune Eût prolongé tes jouis au temps où nous vivons, A voir nos lâchetés, nos peurs, nos trahisons, Tu nous les redirais encor d'une voix rude... La mort balaye l'homme et non la platitude. 1851, L'ENFANT VAINQUEUR. Au Louvre qui n'a vu cette statue antique, Ce beau marbre où la main d'un maître de l'Àttique Fit éclore aux éclairs du ciseau triomphant Un centaure emportant sur son dos un enfant? L'homme-cheval a beau frapper du pied la terre, Bondir et se cabrer, ses deux mains par derrière Pendent en des liens, et l'enfant souverain, Dans ses cheveux épais passant sa faible main, Les tire hardiment et comme d'une rêne S'en sert pour qu'à son gré le centaure le mène; Et le monstre, pliant sur ses jarrets d'acier, Obéit sans mot dire au petit cavalier. Eh bien, je suis semblable à ce pauvre centaure Qui porte, haletant, le tyran qu'il adore; J'ai trouvé comme lui mon maître, mon vainqueur, Dans une frêle enfant, au sourire moqueur, Aux yeux noirs encadrés de blonde chevelure, Aux cris impérieux... Et cette créature 2T2 SILVES. De moi, comme de lui, fait tout ce qu'elle veut; De ses moindres désirs mon cœur tendre s'émeut, Et, fier de mes sueurs, dans ma course profonde Pour elle, je le crois, j'irais au bout du monde. Publié en 1851. L'HISTOIRE DE STRATONICE A PROPOS D'UN VAN DER WERF. « Il est donc vrai, les yeux d'Érasistrate ont lu Dans le cœur de mon fils son secret retenu! La cause de son mal est enfin dévoilée, C'est l'amour ; et ce feu, dont son âme est troublée, Ne pouvant par vertu s'épancher au dehors, Est le poison caché qui le met chez les morts. Stratonice! mon fils! 0 vieillard sans prudence! A quoi pensai-je donc le jour où ma puissance Força de vivre auprès d'un enfant de vingt ans La beauté dans l'éclat de son riche printemps? La jeunesse devait entraîner la jeunesse; C'est la loi de nature, et bien fou qui se laisse Aller à l'oublier... Mais las! pourquoi le cœur Sous la neige des ans garde-t-il tant d'ardeur? Éros, aveugle Éros, que tes flèches divines Percent mal à propos les humaines poitrines! Et comme en s'éloignant de leurs buts naturels H4 SILVES. Elles plantenl aux cœurs des désespoirs mortel : N'importe, il ne se peut que l'infernal abîme Engloutisse mon fils : dussé-je être victime, Je rouvrirai ses yeux à la clarté du jour, Car j'aime mieux sa vie encor que mon amour! » Ainsi disait le roi pensif et solitaire Au fond de son palais ; et, les deux yeux à terre, Comme un homme qui porte un orage en son sein Et qui roule en son âme un douloureux dessein, Il marchait... Cependant, sa course ralentie, Sa figure moins sombre et moins appesantie, Signalent une fin au trouble intérieur Qui depuis un moment lui déchire le cœur; Il a pris son parti... d'une façon soudaine, Et sans annonce aucune il entre chez la reine. Elle était seule, assise auprès d'un haut métier Où son doigt se jouant, habile à marier La soie et l'or, brodait fleurs de tapisserie. Mais son âme plongeant dans une rêverie Errait loin du travail délicat de sa main. Oui pouvait l'égarer? Quel lieu proche ou lointain Se trouvait embelli de sa douce présence? C'est ce dont les dieux seuls avaient l'intelligence, Eux qui connaissent tout. Devant elle arrêté, Le roi la rend bien vite à la réalité. (( Princesse, pardonnez si contre mon usage J'entre si brusquement : un pénible message M'amène à vous; il faut revêtir vos habits Les plus riches, couvrir votre sein de rubis Et parer votre front du royal diadème; Mon fils voudrait vous voir en cet éclat suprême Avant que de mourir... » Ces mots inattendus, Et les derniers surtout à dessein répandus, Dans un émoi subit jettent la jeune femme L'HISTOIRE DE STRATONICE. 27.", Jusqu'au fond de son cœur ils vont geler son aine Et recouvrent de lis les roses de son front. Le roi , qui voit Peffel , à repartir est prompt : n Rassurez-vous, princesse, il n'est si bas encore Qu'il faille perdre espoir et du dieu d'Épidàure, Suppliants malheureux, déserter les autels. Mais nous sommes aux mains des puissants immortels, Et quand le ciel permet que le mal nous offense, Nul ne sait comment peut finir notre souffrance. Quoi qu'advienne , le vœu d'un malade est sacré Et le fait d'un bon cœur est d'agir à son gré. Peut-être qu'en suivant mon fils dans son caprice Nous calmerons un peu ses douleurs. » — Stratonice, Émue au dernier point de ces tristes propos, Ne trouve pour réponse à dire que ces mots : « Je suis votre humble esclave, et, toute pour vous plaire, Seigneur, à vos désirs je saurai satisfaire. » De ses femmes alors elle appelle l'essaim Et, tremblante, confie à leur habile main Les trésors onduleux de sa tête charmante. On s'empresse. Les sucs que l'Arabie enfante, Le cinname, le nard, oignent ses blonds cheveux, Les perles , les rubis , entremêlant leurs feux, Serpentent sur son sein. L'or pur de la couronne Comme un vivant soleil ses tempes environne, Et la pourpre de Tyr aux splendides reflets Autour de son beau corps descend à flots épais. On dirait, à lavoir si brillante et si belle, Qu'elle va présider quelque pompe nouvelle ; Mais son triste regard et sa douce pâleur Décèlent combien peu s'accorde avec son cœur Tout ce luxe. Pourtant, la parure complète, Elle envoie avertir Séleucus qu'elle est prête, Puis d'un pied lent, timide, et lui battant le pouls, Chez le prince malade elle suit son époux. 276 SILVES. D'abord au premier bruit que produit la visite-, Le jeune languissant se renfonce au plus vite Sous ses longs draps, et crie aux gardiens du palais Qu'il ne veut voir personne et veut mourir en paix. Mais lorsque jusqu'à lui la voix tendre d'un père Pénètre, cette voix aussitôt le fait taire, Et, remplissant son cœur d'un meilleur sentiment, ]1 ordonne à ses gens d'ouvrir l'appartement. Mais dieux ! que devient-il , et combien il regrette Son premier mouvement, lorsqu'en riche toilette, Plus belle que jamais, approche de son lit La reine! A son aspect, il se trouble, il pâlit. L'iris brun de ses yeux fuit sous chaque paupière Comme à l'éclat trop vif d'une grande lumière, Puis il les rouvre et voit au chevet appuyé Son père qui l'observe avec douce pitié. « Mon fds, cette visite a de quoi vous surprendre, Surtout l'air de la reine... Eh bien, veuillez m'entendre Et vous saurez, enfant plus chéri que jamais, Que nous vous apportons moins d'ennui que de paix. Grâce à mes vœux ardents, l'auteur de toute chose De votre mal caché m'a dévoilé la cause; Vous aimez, et l'objet de vos graves soucis Est ici devant vous, c'est la reine, ô mon fils! Oui, c'est de sa beauté tout innocente et pure Que vous avez reçu la fatale blessure; Mais le père des dieux, qui vous veut ranimer, Me révèle que seule elle peut vous calmer. Je vous la livre donc, afin que Zeus par elle Rende à vos traits pâlis leur flamme habituelle, Que vos yeux égarés reprennent leur douceur, Et qu'on revoie encor sur votre lèvre en fleur Les rires et les chants dont votre voix aimée Emplissait si souvent mon oreille charmée. Prenez, et puissiez-vous dans oe triste univers L'HISTOIRE DE STRATONICE. 27 Vous enivrer longtemps du bonheur que je perds!» Il dit, et, ce discours achevé non sans peine, Il joint la main du prince à celle de la reine. Qui pourrait exprimer juste les sentiments Agités et divers de ces trois cœurs aimants? Il faudrait pour bien rendre une scène aussi belle Peut-être mieux encor que la main d'un Apelle, Il faudrait le génie et l'organe divin Des Muses de Sicile ou du Cygne latin... Comme une jeune fleur par l'air chaud desséchée Et qui , veuve d'éclat et la tête penchée, Au tomber d'une pluie, au souffle d'un vent frais, Se relève et retrouve aussitôt ses attraits, De même au doux parler des lèvres paternelles Antiochus reprend ses beautés naturelles. La force lui revient : un léger incarnat Ranime les pâleurs de son front délicat. Étonnés, de son père à l'objet plein de charmes Ses yeux errent d'abord, puis, s'emplissant de larmes, Sur le sein paternel débordent à grands flots. Tout immobile et blanche ainsi que du paros, Et croire ne pouvant ses yeux et ses oreilles, Tant elle entend et voit de choses sans pareilles, Stratonice a le cœur tremblant, battant si fort Qu'il lui semble qu'il va se briser dans l'effort; Cependant , bouche close et la tête baissée, Elle laisse sa main où le roi l'a placée... Quant à lui , l'œil au ciel, il est auprès des dieux, Les implorant encor pour ces deux cœurs joyeux. Écrit en 1852. Publié en 1856. 16 UN TABLEAU DE KAREL DUJARDIN, A M. CHARLES FOURNI F, R. C'est en été, le soleil se couchant Rougit le ciel, et sa pourpre divine Éclaire un toit de chaume, au front penchant , Dont le mur craque et menace ruine. Devant la porte, au bord du grand chemin, Se tient assise une humble paysanne Qui, les bras nus et la quenouille en main, Finit sa tâche avant que le déclin Du jour pâli l'enferme en sa cabane. A terre sont, â ses pieds étendus, Un jeune chien gardien de la chaumine, Puis une vache aux grands yeux doux fendus Qui lentement et saintement rumine. Deux chevreaux blancs, accroupis et repus Comme elle, font leur sieste sur la dure, Près d'un garçon dont les habits velus UN TABLEAU DE KAKEL DUJARDIN. D'un pastoureau dénoncent la figure. Tel est le groupe : il est simple, indigent, Et pourtant rien n'y déplaît, tant nature Embellit tout d'un regard indulgent Et fait au pauvre une riche parure. Est-ce tout? Non, au large du sentier, Venant du fond brumeux de la campagne, Les quatre fers d'un bon genêt d'Espagne Se font entendre, et, ferme en Pétrier, On voit passer un jeune cavalier. Soudain, la femme, avec un soin honnête, Retient son chien qui voudrait aboyer; Le bergeret, plaintif, penchant la tête, Près du cheval , élève son chapeau Et fait au maître une douce requête. Puis, pour finir cet aimable tableau, Parfait de ton, de dessin et de trame, Un dernier trait, et certes le plus beau, Vous touche au cœur et vous pénètre l'âme : C'est du sommet de son bel animal, Frappant du pied la terre qui résonne, Tranquillement et d'un air amical Le cavalier qui tend la main et donne. Au Louvre, Ï8Ô2. L'ÉPITAPHE. IDYLLE DANS LE GOUT DU POUSSIN. A ETIENNE DELECLUZE. Quand les deux voyageurs parvinrent au bois sombre Où la route tournait et s'enfonçait dans l'ombre, Jls virent devant eux se dresser un tombeau Sur le bord du chemin. A cet aspect nouveau S'arrêtèrent leurs pas , et vers la blanche pierre Leur regard aussitôt dirigea sa lumière. Cette tombe était simple, exempte d'ornement, Mais non pas d'élégance. Autour du monument Le lierre tortueux aux feuilles anguleuses Avec grâce nouait ses guirlandes nombreuses ; On eût dit qu'il voulait avec ses lacs flottants Le garder pour toujours des injures du temps. L'ÈPITAPHE. 281 « Lycas , dit Palémon , voici des caractères Qui percent à travers le noir feston des lierres; Sans doute que leurs traits à notre œil curieux Diront quel est le corps enfoui dans ces lieux; Voyons, déchiffrons-les : en les lisant peut-être Trouverons-nous un nom que nous pûmes connaître. » Et, de son bâton blanc écartant les rameaux. Le jeune voyageur lut hautement ces mots : « Ici repose Hélène, Les grâces et l'orgueil de ce petit hameau; Près d'Alcime, inhumée en un même tombeau, Elle dort calme et sereine. Trente ans il adora son cœur et sa beauté D'une flamme toujours nouvelle, Et jusqu'au dernier jour de sa vie, enchanté Des regards de la belle, Mortelle il l'honora comme une déité. » « Eh bien , dit Palémon achevant la lecture. Que penses-tu, Lycas, de cette sépulture, Et de ces heureux morts racontant aux passants Que d'un fidèle amour ils s'aimèrent trente ans N'est-ce point, sur mon âme, un démenti superbe Donné par le hasard à ce chanteur imberbe, Qui, l'autre soir, assis aux genoux de Daphné, Disait que pour changer d'amour l'homme était né; Que tout au changement tendait en la nature; Que Cybèle changeait trois fois l'an de parure, Et que l'astre des nuits, dans le ciel voyageant, Sous différents aspects montrait son front d'argent; Qu'ainsi l'homme devait imiter cet exemple Et faire de son cœur un haut et large temple, Où , changeant tour à tour de culte et de beautés, Sa lèvre encenserait mille divinités? » 16. 282 SILVES. Lyeas, les yeux iixés au cippe funéraire, _\e disait mot; pourtant, relevant sa paupière Et laissant de son sein échapper un soupir, Il fit à travers bois ces accents retentir : « Ce que je puis répondre, ami, c'est que j'envie De ces morts inconnus la longue et douce vie, Et que j'aurais voulu qu'en leur bonté les dieux M'eussent brûlé le cœur avec de pareils feux. Dans ce monde d'un jour, où toute chose passe Plus promptement qu'oiseau qui traverse l'espace, Où l'homme des plaisirs atteint vite le bout Et du miel le plus pur a bientôt le dégoût, Tout ce qui dure est beau. L'amour, l'amour profonde Qui résiste trente ans aux épreuves du monde, Aux coups de la fortune, aux outrages des aus} A la destruction des appas séduisants Et tous les ondoîments de l'humain caractère, N'est pas, à mon avis, le fait d'un cœur vulgaire, Mais d'une âme d'élite en laquelle est entré De l'éternel amour un rayon vénéré. Honorons, Palémon, honorons la constance: C'est la vertu des dieux, et celle dont l'absence Se fait le plus sentir chez les pauvres humains. Ainsi donc , à ces morts donnons à pleines mains Des fleurs, bien que les fleurs n'aient que de courtes vies; Elles leur marqueront nos tendres sympathies, Et, répandant sur eux des souffles embaumants, Réjouiront encor leurs doux mânes aimants. » Palémon l'écoutait, et, dans le fond de l'âme Approuvant ce discours plein d'accent et de flamme, il ajoute ces mots : «Oui, je le crois, l'amour, L'amour vrai ne sera jamais l'amour d'un jour. Mais, heureux celui qui dès la fleur de jeu:.' Dirigea noblement les feux de sa tendresse, L'EPITAPHE. -283 Et trouva par le monde un cœur égal au sien Pour ensemble former un éternel lien ! Hélas! c'est une chance, et faveur peu commune, Que de rares mortels en goûtent la fortune Dans les milliers de cœurs que l'on voit ici-bas S'attirer et se prendre au leurre des appas ! » Soudain les deux amis s'inclinent vers la terre Et cherchent quelques fleurs sur la verte lisière Du bois sombre. Bientôt la lavande, le thym, L'iris et le muguet deviennent leur butin. Alors, des purs trésors que le sol abandonne Ils tressent avec art chacun une couronne; Puis aux rameaux courbés d'un blanchâtre bouleau, Qui balance sa tète au-dessus du tombeau, Ils les pendent, et puis, contents de leur hommage, Ils reprennent tous deux leur route sous l'ombrage. Écrit en 1852. Publié en .1855 SAINT GEORGES APRES LA VICTOIRE, AU PEINTRE Z1EGLER. Le combat est fini, la vierge est délivrée, Et le monstre, abattu par la lance acérée, Troué de part en part et noyé dans le sang, Laboure en vain le sol de son ongle impuissant. Pâle encor de la lutte et des bruits de l'écaillé, Avant d'abandonner le lieu de la bataille, Sur l'ennemi vaincu, du haut de son coursier, L'éphèbe au casque d'or jette un regard dernier. Certes le vert dragon était informe, horrible, Des plus vils éléments un mélange terrible; Son souffle empoisonné partout corrompait l'air, Et sa gueule d'acier dévorait toute chair; Et cependant, à voir cette méchante vie Dans les convulsions d'une atroce agonie SAINT GEORGES APRES LA VICTOIRE. 285 Se tordre pour atteindre à l'éternel repos, Un éclair de pitié glisse au cœur du héros. Il voudrait, oublieux du monstre et de ses crimes, Et des maux endurés par ses mille victimes, Que les grands coups de fer qui le mirent à bas D'un seul choc eussent pu lui donner le trépas. Il souffre de sa mort... plus encore, il va même De sa création à sonder le problème, A demander pourquoi tant d'instincts venimeux ; Et, n'en pouvant percer le motif ténébreux, Il s'éloigne pensif, l'œil aux célestes plaines, Et sur son blanc coursier laissant flotter les rênes. Ecrit en 1852. Public en 1857. LE CHENE ET L'INSECTE. Un petit papillon, niché sur le feuillage D'un chêne, l'entendait murmurer ce langage : « Frêle avorton de l'air, qui te poses sur moi, Qu'est auprès de mon corps un être tel que toi? Vois, les mains se tenant, six bûcherons à peine Enserrent de mon fût la rondeur souveraine; Des monts de l'horizon j'égale la hauteur, Et les vents dans mon bois arrêtent leur fureur. — C'est vrai, dit celui-ci, je ne suis qu'un atome, Un petit rien perdu dans le vaste royaume De tes épais rameaux; cependant, tel qu'il est, Mon sort plus que le tien me rend fier et me plaît, Car, enchaîné toujours aux terres paternelles, Tu n'en saurais bouger, tandis que sur quatre ailes Librement je m'élance, et, léger, glorieux, Plus que toi je m'élève et m'approche des cieux. » Forôt de Coiupiègne, 1854. UNE PAGE D'UN VIEUX LIVRE. A EMILE DESCHAMPS. Heureux les amoureux, surtout quand leur amour Des oiseaux du printemps a l'espace et les ailes, Et quand, libre comme eux au terrestre séjour, Il n'y rencontre point de barrières cruelles! Heureux les tendres cœurs dont aucun mur fâcheux N'arrête les soupirs et n'entrave les feux! Hélas! tel n'était point le fortuné partage De l'aimable Clairette et de son cher amant, Ces deux enfants de rois, beaux enfants du même âge, Qui dans un noir donjon expiaient durement Le bonheur d'être jeune et la douceur extrême De s'être dit un jour l'un à l'autre : « Je t'aime! » Se voyant séparés, ils se croyaient perdus, Et le feu de leurs yeux s'éteignait dans les larmes. 288 SILVES. L'une pensait que l'autre en des pays ardus, Lointains, avait suivi de méchants hommes d'armes; L'autre, que son amie au fond de quelque tour Allait se consumant de tristesse et d'amour. Et tous deux déploraient leur pénible existence; Tous deux priaient le ciel de finir leurs tourments, D'abréger par la mort la trop longue distance Que la haine mettait entre leurs cœurs aimants; Car en ce gentil monde à quoi bon est la vie, Si l'amour n'y peut point contenter son envie? Un soir de mai, pourtant, par un hasard du sort, Clairette s'échappa de sa prison obscure, Et, trouvant une brèche au mur du château fort, Entra dans le jardin qui servait de ceinture. Là, voyant un rosier au front large et fleuri , Comme une biche au Dois elle en fit son abri. Le ciel était serein, blanche luisait la lune, Et roses embaumaient les airs silencieux : Clairette au doigt rosé, Clairette en cueillit une, Et dit plaintivement en y fixant les yeux : « Ah! pourquoi donc l'ami que je cherche et je pleure, Comme elle, près de moi n'est-il pas à cette heure? Hélas ! j'aimerais tant lui donner cette fleur! Mais le destin ne veut, il a déjoint nos âmes; Telles que sombres nefs, au souffle du malheur Elles errent ; pourtant, en dépit de ses trames, Je ferai tant, qu'un jour fortune me rendra L'idole de mon cœur, ou douleur me tûra. » Comme la belle ainsi parlait, sa plainte amère Monta jusqu'aux barreaux d'un prisonnier voisin, ONE PAGE D'UN VIEUX LIVRE. 289 Qui, croyant retrouver l'accent d'une voix chère, Bondit à sa fenêtre et s'écria soudain : « Sainte Vierge, rèvé-je! O voix suave et tendre! Clairette, est-ce bien vous, vous que je viens d'entendre? — Oui, doux ami, c'est moi; c'est Claire, vos amours, Reprit-elle, en quittant sa cachette odorante; C'est Claire qui vous cherche et vous aime toujours, Et toujours aimera tant que sera vivante; Par miracle, j'ai pu sortir de la prison Où vos mauvais parents me tenaient sans raison. » Quand Florent reconnut la voix de son amie, Il en fut si joyeux qu'il oublia ses maux ; Il eut l'âme surtout profondément ravie De la savoir au monde et non dessous les eaux, Comme son père, hélas ! par une astuce noire, Avait, depuis un temps, voulu lui faire croire. « 0 Clairette, fit-il, votre lèvre à mon cœur Chante plus doucement que le plus doux ramage; Mais, pauvre oiseau sorti des rets de l'oiseleur, Où pensez-vous trouver abri contre sa rage? Car si mon père apprend que vous venez de fuir, Et s'il peut vous ravoir, il vous fera mourir. — Las ! mieux vaudrait pour moi périr de sa main dure Que de garder la vie en l'état où j'étais, Toujours seule, en des murs froids comme sépulture, Et ne pouvant vous voir ni de loin ni de près. Qu'il vienne donc, ce père, et j'aurai l'heur extrême De mourir écoutant la voix de ce que j'aime! — O Claire, mon amour, pourquoi parler ainsi? Cueillez-moi dans le pré plutôt quelque fleurette, 17 290 SILVES. Ces roses cloni rôdeur pénètre jusqu'ici, Et qui, venant de vous, charmeront ma retraite. Ce sera grand soûlas pour mon cœur empêché D'avoir aux mains l'objet par votre main touché. » Clairette sur-le-champ alla cueillir des roses, Et, l'arbre dépouillé de l'ornement divin, Elle fit à Florent passer les douces choses Par l'étroite fenêtre ouvrant sur le jardin. Et lui, les recevant de sa chère maîtresse, Donnait à chaque fleur un baiser plein d'ivresse. Mais bientôt ce ne fut assez de ce plaisir, Car plus amour obtient et moins amour est sage; 11 voulut donc encore essayer de saisir La blanche main de Claire à travers le grillage, Afin de ressentir, dans un doux pressement, De son cœur éloigné le divin mouvement. Et le voilà plongeant son bras par la fenêtre, Vers Clairette tendant, aussi le sien d'en bas; Mais, quel que fût le nerf que chacun y pût mettre, Leurs doigts, leurs doigts tremblants ne se joignirent pas, Trop haut était le mur, trop épaisses les pierres, Ce qui fit de leurs yeux tomber larmes amères... Pauvres et chers enfants! que de fois en lisant Le récit de vos maux dans la vieille chronique, J'ai reporté mon âme aux heures d'à présent, Et tiré de mon cœur un soupir sympathique Pour ceux qui, tels que vous, au printemps de leurs jours, Sentent l'éloignement désoler leurs amours! Il n'est plus, il est vrai, do murailles hautaines Pour contenir le fini des cœurs récalcitrants, UNE PAGE D'UN VIEUX LIVRE. 291 Plus de donjons armés, de geôles souterraines Et de bourreaux cruels aux ordres des parents ; Le temps a renversé, dans sa course infinie, Tous ces noirs instruments d'ignoble tyrannie. Mais, hélas ! il n'a pas détruit les vils penchants, La vanité du nom, l'orgueil de la fortune, L'avarice au cœur sec, l'envie aux yeux méchants; Que le bonheur d'autrui constamment importune, Et pour les délicats les chaînes de l'honneur, Plus pesantes cent fois qu'un cachot sans lueur. Aussi toujours est-il dans les champs de ce monde Bien des êtres martyrs de dures volontés, Bien des cœurs désunis par la haine profonde, Consumant dans l'exil leurs beaux jours attristés, Et, malgré le ciel pur et la terre splendide, Étouffant dans l'espace et mourant par le vide; Bien des âmes enfin n'aspirant qu'à sortir D'un monde si fatal et si gênant pour elles, Et demandant sans cesse en leur sombre désir Ta bienvenue, ô mort, et le vent de tes ailes, Pour pouvoir à jamais, sous les célestes yeux, Librement se rejoindre aux campagnes des cieux. Pierrefonds, 185-1. Publié en 1857. LA COURSE DU CERF. En chasse ! en chasse ! L'aurore efface L'ombre des bois Sous le feu de ses doigts. En chasse! en chasse! Et que l'on fasse Au son du cor Lever le cerf qui dort. 1) a quitté sa couche de verdure, Et ses grands bois aux feuillages mouvants Il a baissé sur son dos sa ramure, Jeté ses pieds comme une flèche aux vents. En chasse ! en chasse Que le chien tasse Par tous les bois Retentir ses abois. LÀ COURSE DU CERF. 293 En chasse! en chasse! Et dans l'espace Au bruit des cors Suivons le cerf dix-cors. Il court, il court à travers les montagnes, Les bas coteaux, les plaines, les vallons ; Et les grands monts, les coteaux, les campagnes, Tout disparaît sous l'éclair de ses bonds. Tayaut! la chasse Est sur la trace; Les monts, les bois Répètent les abois. Tayaut! la chasse Est sur la trace; Clairs sons du cor, Soutenez notre essor! Mais le jour baisse, et du cerf intrépide Le pied fléchit bien loin des lieux connus ; Ses faons légers, ses bois, son eau limpide, Tout ce qu'il aime, il ne le verra plus. Hourra! la chasse! La bête est lasse ; Les chiens en voix Augmentent leurs abois. Hourra! la ebasse! Allons ! qu'on fasse Mugir plus fort Et la trompe et le cor! Le voilà pris. Ah! la pauvre victime! Devant les chiens et leur assaut vainqueur 291 SILVES. 11 pleure, et l'homme, à ce transport sublime, Sent le plaisir redoubler dans son cœur. Vive la chasse! Cernons la place; Le roi des bois, Le cerf est aux abois. Vive la chasse ! Et que l'on fasse Par chaque cor Sonner le chant de mort. O Créateur! père de la nature, Comme aux saints jours ne verra-t-on jamais Sous les grands arcs de la douce verdure Bêtes et gens vivre et mourir en paix? Gloire à la chasse! Rentrons en masse Boire à nos droits Sur le prince des bois. Et toi, vorace Meute de chasse, Au bruit des cors Va déchirer son corps. Pierre fonds, 1834. LES NUAGES. Le soleil à grands flots épanchait sa lumière Dans l'orbe étincelant de la voûte d'azur, Et, comme aux premiers jours, nulle obscure matière De l'éther ne tachait l'océan calme et pur. De même que l'on voit sur une mer profonde Luire une blanche voile à l'horizon lointain, De môme un blanc flocon dans le bleu qui l'inonde Apparaît balancé par le souffle incertain Du zéphyre... Bientôt au premier point semblables Surgissent d'autres points; puis, d'instants en instants, Mille et mille flocons, en troupes innombrables, Bondissent dans l'azur comme des agneaux blancs. Peu à peu ces fragments grossissent, des montagnes Dressent leurs fronts de neige à la cime des eieux, 296 SILVES. Tandis que, tout au bas, de profondes campagnes Étalent leurs blancheurs autour de beaux lacs bleus. O lacs ! qui ne voudrait sur les brises légères S'en aller parcourir vos tranquilles beautés, Et respirer l'odeur des roses printanières Qui paraissent fleurir sur vos bords enchantés? Peut-être y verrait-on ces formes angéliques A l'aile rouge et verte, au lin éblouissant, Que, si souvent jadis, en ses courses pudiques, L'œil d'Eve rencontrait au paradis naissant! Peut-être entendrait-on les harpes fraternelles D'un chœur de séraphins qui, descendu des deux, Se fait l'écho charmant des lyres immortelles Qui chantent au Seigneur l'hosanna glorieux! On sent que près de vous le calme et l'innocence Habitent, et que là l'unique passion Est le désir du bien et, dans sa pure essence, Du vrai beau l'éternelle et sainte vision... Mais ces grands lacs d'azur et leurs blancs paysages Sont bientôt animés par des reflets plus chauds; Le soleil et les vents, confondant leurs images, Amènent dans les airs des spectacles nouveaux. On dirait tout d'un coup que de ses mains divines Le chantre de Reg^io, l'Homère ferrarais, Pour les enchantements de nouvelles Alcines Vient de remplir le ciel de superbes palais. LES NUAGES. 297 Ce ne sont que remparts de jaspe et de porphyre, Que colonnes d'albâtre aux chapiteaux dorés, Que portiques à jour dont l'aile du zéphyre Caresse en se jouant les frontons colorés : Palais toujours ouverts aux fièvres amoureuses, Asiles des plaisirs où les victorieux, Endormis sur le sein des Armides heureuses, Vont oubliant le monde et leurs faits glorieux. L'œil se perd à compter les nombreuses merveilles Qu'illumine à leurs pieds la lumière du jour, Pelouses de bleu tendre, odorantes corbeilles, Et bosquets de lilas qui frémissent autour. Ah ! bien que vous soyez moins nobles et moins pures Que les premiers tableaux à nos yeux présentés, O belles visions, blondes architectures, Palais, jardins d'amour, restez, longtemps restez! A vos vives splendeurs un esprit de jeunesse S'attache, et, rappelant ses beaux jours révolus, Sous vos riches parvis notre âme avec ivresse Refait des rêves d'or qui ne reviendront plus. Mais le vent de nouveau trouble ces harmonies : Adieu, charmants effets! Comme en un sol tremblant Les chapiteaux rompus, les colonnes ternies, Arbres, jardins, palais, tout tombe et va croulant. A leur place, des monts, des roches entassées Sans ordre, et sur leurs flancs sauvages, entr'ouverts, Des abîmes profonds d'où, par instants lancées, • Partent en ondoyant les flèches des éclairs, 298 SILVES. Les antres de Lemnos qu'un l'eu rougeàtre allume. Entendez-vous le bruit des Cyclopes nerveux? Sous les coups redoublés des marteaux sur l'enclume Se façonne et se tord le tonnerre des dieux. 11 est fait, il est fait l'instrument redoutable, Le faisceau destructeur au multiple aiguillon; Tremblez, pâles mortels! et que tout" cœur coupable De ses actes mauvais demande le pardon! 11 est fait, le voilà qui perce la nuit noire Et met le voile épais des grands cieux en lambeaux Avec un tel fracas, qu'à cejbruit l'on peut croire Que les morts éveillés vontfsortir des tombeaux. Pluiejct vent, flamme et feu, grêle, trombe, tonnerre, Jamais homme ne vit pareil ébranlement; Jamais on n'entendit, dans la céleste sphère, La voix des dieux mugir plus effroyablement. Non, jamais, si ce n'est à l'heure d'épouvante Où sur les hauts sommets du grand Himalaya, Voyant fuir des Dévas la milice vaillante Devant les compagnons du monstrueux Yritra, Indra vint, dieu du jour, et, de son triple foudre Frappant te fier démon et ses hardis guerriers, En fit pleuvoir les corps sur la terrestre poudre, Comme au souffle du vent des feuilles de palmiers; Ou si ce n'est encor dans ce jour de tempête Où le Titan de Corse, acculé dans son fort, Aux vieux dieux de l'Europe osant lui tenir tête Disputait ses destins abandonnés du sort; LES NUAGES. 29â Jour terrible, où le sol comme une mer de llammes Tonnait et flamboyait, et comme lui le ciel Flamboyant et tonnant voyait des milliers d'àmes S'envoler et se perdre en son gouffre éternel; Jour néfaste! et pourtant, si j'en ai bien mémoire, Ce jour-là fut suivi d'un jour moins attristé; Aux vaincus, en mourant, cette tourmente noire Légua quelques rayons de ton ciel, Liberté ! Ob ! puisse-t-il en être ainsi du vaste orage Qui semble replonger l'univers au chaos! Puisse-t-il arriver que bientôt se dégage De l'ombre un signe heureux de calme et de repos! Espérons, le vent tourne : à son souffle, moins sombres, Les flottantes vapeurs éclairassent leurs rangs; Comme glaives de feu qui découpent les ombres, Moins souvent les éclairs agitent leurs tranchants ; Le roulement profond de la voix du tonnerre Devient de plus en plus rare, sourd et lointain; On dirait quelque tigre à la fauve crinière Regagnant son désert, assouvi de butin. Bientôt des coins d'azur s'entr'ouvrent dans l'espace, A travers eux se glisse une blanche clarté ; Ils grandissent, des cieux le voile impur s'efface Et l'œil du jour renaît dans toute sa beauté. Oh ! comme sa splendeur est douce à la nature ! Comme ses purs rayons reverdissent les champs! Comme l'oiseau, longtemps muet sous la verdure, S'égaye et les salue avec ses plus doux chants ! 300 SILVES. Et l'homme, qui se sent raviver la paupière, Bénit d'un cœur plus chaud l'éclat inattendu : O soleil! il chérit plus qu'avant ta lumière, Comme un Lien qu'il retrouve et qu'il croyait perdu. Souvenir de Piorrefonds, 1854. A JEANNE DARC. C'est là que tu tombas, héroïne au cœur bon, Victime du malheur et de la trahison ; C'est là que commença ta cruelle agonie, Qui devait s'achever au feu d'un incendie. Horreur! Depuis ce jour pourtant la France en pleurs A couronné ton nom de sublimes honneurs; Sainte fille, en maints lieux s'élèvent tes statues, Et tes vertus partout, sur les cordes tendues Des lyres, sonnent haut... C'est juste, mérité; C'est le bon mouvement d'une société Réparant de son mieux le forfait exécrable D'un pouvoir étranger. Mais, ô vierge admirable, Pour toi qui tant souffris, ces hommages, hélas! Ne sont que pur néant, car tu ne les sens pas... Heureusement que Dieu dans son giron immense Te garde avec la vie une autre récompense. Ville de Compiègne, 1854. TROIS FAITS DE LA GUERRE DE CRIMEE. I. DULCES MOK1ENS REM INISCITU U ARGOS. Sitôt que le canon eut sonné la bataille Et dans les champs d'Alma fait pleuvoir la mitraille, On vit les régiments d'Ecosse aux noirs plumets Lentement s'avancer au-devant des boulets. Ce n'était ni tambour, ni trompette bruyante, Qui conduisaient leurs pas à la fête sanglante, Mais l'humble cornemuse, amour du montagnard, Exhalant dans Les airs son accent nasillard. Or, tout en avançant, le canon faisait rage, Et ceux que le boulet moissonnait au passage, Malheureux mutilés, pauvres corps en débris, Ils rendaient l'âme encore aux doux chant;) du paj s. TROIS FAITS DE LA GUERRE DE CRIMEE. 303 II l.\ AFFREUX JEU DU SORT. Ils étaient bien sept cents sur la frégate armée. Bons soldats et marins, tous allaient en Crimée Soutenir bravement l'honneur de nos drapeaux; Mais la mort, jalousant leurs destins de héros, Courut au-devant d'eux... Une nuit, la tourmente Les ensevelit tous dans l'abîme des flots, Tous... O terrible jeu du sort avec les mots, La frégate portait le nom de Sémillante! III A PROPOS DE LA MORT DU TZAR NICOLAS. On raconte qu'un jour un homme au cœur pieux, Le long du Tigre errant, fit rencontre en ces lieux D'un crâne plein de vers, et dont la bouche morte, Tout à coup s'entr'ouvrant, lui parla de la sorte : « J'étais jadis un roi magnifique et puissant, Au front de qui brillaient l'or et le diamant. Favorisé du ciel et de mon bon génie, L'Iran je dévorai ; de la Caramanie J'en voulus faire autant, mais le ver du tombeau Soudain me dévora la pulpe du cerveau... 304 SILVES. De ton entendement ouvre bien les oreilles, Et si tes vains désirs couvaient choses pareilles, Le sage avis d'un mort, alors y pénétrant, Rabattrait ton orgueil... Ami, Dieu seul est grand! » 1855. LA TOUR DE S A I N T-M ATHU R I N. AU PERE GREGOIRE SHOUWALOFF. Encore un vieux débris des âges monastiques Dont la splendeur émeut; encor des fûts gothiques Où le souffle des vents nuit et jour vient gémir, Et qui tirent de l'âme un pieux souvenir. Ils vous disent que là, sur ces restes de dalles Épars, et sous l'arceau des voûtes colossales Qu'un art pur et savant éleva jusqu'aux cieux, Vécurent des humains, calmes, silencieux, Qui, regardant plus loin que la terrestre rive Et la vie estimant une onde fugitive, Eurent pour aborder à des destins meilleurs Bien plus de confiance en l'espoir de leurs cœurs Qu'en toutes les raisons des plus puissantes têtes. Là fut un noble port où, lassé des tempêtes Plus d'un pauvre noyé vint essuyer ses jours. Là, réchauffant son âme au feu des saints amours, 306 SILVES. Plus d'un en ressortit plein de nouveaux courages, Pour retenter encor la vie et ses orages. Aujourd'hui c'en est fait du refuge sacré, Le divin oasis est morne et délabré; La mousse et le lierre en couronnent le faîte; Les corbeaux à grand nombre y trouvent leur retraite, Et le temps, chaque joui-, dans son vol incessant, D'un coup d'aile en détache une pierre en passant. Qu'importe! l'ouvrier qui laboure la plaine Entend-il le fracas de sa chute soudaine? Que lui fait le travail de la destruction Sur cette masse où l'art épancha son rayon? Pour lui le vide est là. Tandis que sous la lame De son coutre luisant le sol fume et s'entame, 11 voit le flot de vie entrer au noir sillon Avec l'air, et l'espoir d'une riche moisson Est le rêve charmant que son âme caresse. Quant à ce corps d'église et sa tour en détresse, Ce n'est que le débris d'un ancien monument Bâti pour la démence et le désœuvrement. La vie ! elle n'est plus dans les lieux où l'on prie, Mais où l'homme combat le sol avec furie, Pour en faire couler des torrents de plaisir Sur tous les corps mortels exhalant un soupir. O race de nos jours, à la fiévreuse audace, O rudes conquérants du temps et de l'espace, Couvrez le globe entier de vos routes de fer, Et sous la gueule en feu de vos dragons de mer Maîtrisez les assauts de la vague écumante, Epuisez les venins de la terre fumante Et musclez la foudre à nos regards surpris, C'est votre œuvre, c'est bien!... Mais soyez sans mépris Pour les nobles travaux du pieux moyen âge. De loin il peut sembler perdu dans un nuage Et tout enseveli dans des langes grossiers LA TOUR DE .SAINT-MAT HUR IN. 1507 De misère ignorante et de faits meurtriers; Cependant cette époque en puissance féconde Ne fut pas sans profit pour la grandeur du monde, Car elle fit jaillir de son sein obscurci Ce que nous n'avons pas surpassé jusqu'ici, Ces trois sublimités des eboses idéales : Le livre de Gerson, Dante et les cathédrales. Larcliant, 18ÔG. LES FEUILLES DU TREMBLE. ELEGIE DANS LE GOUT DE SIMONIDE. A AUGUSTE LACAUSSADE. LE PUOMENEUI5. Pauvres feuilles du tremble à l'attache légère, Soit tempête ou zéphyr, le long des blancs rameaux Toujours vous remuez, et jamais le repos Ne succède pour vous à la tourmente arrière ! LES FEULLES. Hélas! l'homme a-t-il eu jamais d'autre destin? Poète, comme nous il s'agite sans lin. Écoute les vieux temps; leur voix charmante ou rude Ne confirme que trop cette similitude. LES FEUILLES DU TREMBLE. 809 Oui, quoique en leur printemps toujours les vains mortels N'aient rêvé que grands buts et plaisirs éternels, Dès que lage, courbant leurs tètes chevelues, Vint recouvrir leurs fronts de la blancheur des nues, A trois pas de la tombe et devant les cyprès, Ils modulèrent tous l'hymne des noirs regrets. Tous ont dit : « Voyageurs aux plaines de la vie, Jamais nous n'avons bien satisfait notre envie, Toujours notre désir, comme un trait mal lancé, Est resté loin du but, ou l'a trop dépassé. Le prix ne valait pas la lutte fatigante, Le rameau triomphal la bataille sanglante. Quelle course à travers les soucis et les peurs, Les nuits blanches, les jours écrasés de labeurs, Les chemins pleins de fange ou les routes obscures, Et les remords, buissons aux cuisantes blessures, Pour atteindre, après tout, un objet aussi vain Que la plume emportée aux ondes du ravin, Et plus vite perdu que la neige fondante Dans une main d'enfant resserrée et brûlante : Amour, gloire, richesse! » Et tous, en leur retour Sur les faits d'ici-bas, se sont dit tour à tour : « Où donc étaient nos yeux en commençant la route ? Comment, les écartant de la céleste voûte, N'apcrcevions-nous pas que c'était aux lieux hauts Que planait le seul bien qui donne le repos, Le calme vrai, celui qui n'est point à surface, Et dont l'âme jamais ne s'indigne et se lasse? » Et tous, en confessant l'auguste vérité, Us regrettaient pourtant leurs jours d'anxiété, Les tribulations de leurs moments d'ivresse, Car ces peines étaient celles de leur jeunesse. Ils regrettaient le temps où, jaloux de renom, Et pour en conquérir par l'art ou l'action, Ils foulaient rudement au vent de calomnie 310 S1LVBS. I h sol tout hérissé des pièges de l'envie; Ils regrettaient le temps où sous vingt cieux divers, Aux soleils des étés, aux glaces des hivers, Ils s'usaient à chercher, de naufrage en naufrage, Sur les flots ondoyants, la fortune volage; Enfin, quoique les feux de l'amoureuse ardeur Eussent tout consumé les fihres de leur cœur, De longs pleurs ils versaient sur cette vaine cendre, Comme avides encor d'aimer et se reprendre Aux rosiers de Cythère, au risque de rougir De leur vieux sang les fleurs qu'ils y pourraient cueillir. O de l'esprit humain terrible inconsistance ! 0 flamme toujours folle et qui toujours balance Sa pointe à tous les vents! Essence qui jamais Ne sait ce qu'elle veut, ni pleinement la paix Ni pleinement la lutte, et qui, bien que lassée Des choses de la terre, en garde la pensée Et va toujours pleurant ses tourments anxieux, Tout en les maudissant et désirant les cieux ! O triste, triste sort d'un rayon de lumière Descendu des hauteurs de la céleste sphère, Et pour le court éclair de trois jours enfoui Dans l'étroite prison qu'on nomme le fini !... Voilà ce qu'avant toi les poussières humaines Qui peuplent le fond noir des cités souterraines Ont dit et soupiré sur cent modes divers, Dans le parler commun, ou la langue des vers; Et voilà ce qu'aussi, recommençant ton rôle, Les races qui viendront te pousser par l'épaule Pour te précipiter aux gouffres de la mort Gomme elles rediront d'un éternel accord. Peut-être on changera quelques notes au thème, Mais le fond attristant sera toujours le môme, Et ce thème plaintif, ces lamentations, LES FEUILLES DU TREMBLE. 311 De générations en générations, Passeront jusqu'au jour où la terrestre masse, Arrivée à son luit, se fondra dans l'espace, Comme la bulle d'eau qu'enlève aux flots mouvants Et disperse dans l'air l'aile folle des vents. LE PROMENEUR. Pauvres feuilles du tremble h l'attache légère, Je le vois trop, hélas! nos destins sont égaux Tournez, agitez-vous... Comme à vous, le repos Ne nous arrivera qu'en jonchant cette terre. Bords de la Seine, à Valvin, 1858. U N QUART D'HEURE DE MISANTHROPIE. 0 biche légère et farouche Qu'à travers la grande forêt Je trouble sur ta verte couche Et fais échapper comme un trait, Fuis, fuis du pas le plus agile Le triste auteur de ton effroi, Et vers un fourré plus tranquille, Moins accessible, élance-toi ! Heureuse bête, la nature T'y donnera, comme en ces lieux, Une facile nourriture, Un charmant abri de verdure Et le calme délicieux. Puis tu retrouveras peut-être Tes faons, quittés pour un instant, Endormis sous l'ombre d'un hêtre. UN QUART D'HEURE DE MISANTHROPIE. 313 Ou broutant L'herbe en l'attendant. Tandis que moi, moi, pauvre hère, §i je retourne sur mes pas, C'est pour rentrer dans le fracas, La noire fange ou la poussière, Et voir, sous un monceau de pierre, Ce qu'aux forêts tu ne vois pas : Des abuseurs de toute chose, Et de la rime et de la prose, Et de la parole et du bras, Des déserteurs de toute cause, Des railleurs de tout beau trépas, Des inventeurs d'horrible glose, Des sots, des fripons et des plats, Et. dans quelque rang qu'on se pose, Le milieu, le haut ou le bas, En haillon noir ou jupe rose, De la haine et des cœurs ingrats. Fontainebleau, 1856. 1S LE DORMOIR DES VACHES Elles se reposaient à l'ombre des grands chênes. Près d'elles arrivés, sur les mousses prochaines Du dormoir, notre pas s'arrêta quelque instant Pour contempler l'effet du troupeau sommeillant. A travers l'épaisseur des verdoyantes cimes Le soleil rayonnait, et ses lueurs sublimes Filtrant, glissant le long des troncs et des rameaux, Parsemaient de points d'or le flanc des animaux ; Puis le vent par bouffée, avec ses fraîches ondes, Nous apportait l'odeur des laitières fécondes. Cent vaches à peu près étaient là,... pour gardien Auprès d'elles n'ayant qu'un seul homme et son chien. L'homme, assis sur un tertre, écorchait une branche; Quant au chien, à ses pieds, contre sa guêtre blanche, Il gisait étendu, toujours l'oreille au guet, LE DORMOIR DES VACHES. 315 Et tonant sur son maître un regard inquiet. Après quelques saluts et quelques mots honnêtes, Nous dîmes au vacher : « Pour mener tant de bêtes, C'est bien peu qu'un seul chien. — C'est vrai, surtout au bois, Fit-il ; mais quand ce chien à lui seul en vaut trois, C'est, pardieu, suffisant. Tenez, le soleil baisse; 11 faut que le troupeau quelque temps encor paisse ; Et s'il vous fait plaisir de le voir s'éveiller, Mon chien vous montrera comme on sait travailler. » Cela dit, il se lève et crie : « Holà, Bonhomme ! Il nous faut déguerpir; c'est ainsi que se nomme Ma bête, et d'un tel nom elle est digne vraiment : Allons, debout! » et puis il pousse un sifflement. Bonhomme comme un trait part et court à l'ombrage, Où les vaches dormant confondaient leur pelage. Quelque temps s'écoula sans que le moindre bruit, Le moindre mouvement se fit au vert réduit. Mais bientôt commença le branle des clochettes, Puis l'on vit remuer le flanc rouge des bêtes, Puis, un par un, dans l'air montèrent leurs grands dos; Enfin, toutes debout, l'animal en trois sauts Reparut et revint, la gueule haletante, Demander à son maître une œillade contente. Or, comme il s'avançait, la jeune et blonde enfant Qui marchait avec nous, d'un cœur compatissant, Prit un morceau de pain au fond de sa corbeille Et le lui présenta, tout heureuse et vermeille. L'animal s'élança pour le saisir. — Soudain Le vacher siffle encore. — A l'ordre souverain, Notre bon serviteur n'hésite pas, il lâche L'objet appétissant et revole à sa tâche. En voyant ce rapide et noble mouvement, Nous sentîmes au cœur un pur ravissement, Comme celui qui prend toute âme sympathique A l'aspect imprévu d'un beau fait héroïque. 316 SILVES. Le terme, dira-t-on, est un peu fort; pourtant En sa soumission ce chien nous parut grand : Car, depuis le matin, peut-être, sans pâture, Il mettait le devoir avant la nourriture. Fontainebleau, 180(3. Publié en 18Ô7. CYNTHIA. O lune, il fut un temps où tes blanches clartés A mon cœur n'inspiraient que rêves enchantés, Que pensers de bonheur, colorés par l'ivresse Des sens tumultueux d'une vive jeunesse. Alors je ne voyais en ta sainte lueur Qu'un flambeau de l'amour, céleste conducteur Du pas aventureux des amitiés furtives Sous l'ombre des grands bois et près des eaux plaintives; Alors, le chœur charmant des pales amoureux, Comme fantômes doux, renaissait à tes feux, Roméo, Juliette, Héloïse et toi-même, Je te voyais, déesse, en proie au mal suprême, Noyer du haut du ciel d'un mystique rayon Le visage endormi du bel Endymion. Aujourd'hui, Cynthia, tes flammes angéliques Me sont douces encor, mais plus mélancoliques. L'aspect tranquille et pur de tes molles clartés 18. 318 SILVES. N'éveille plus eu moi d'ardentes voluptés. Je n'ai plus le désir d'aller sous les feuillées, De la vapeur des soirs encor toutes mouillées, Attendre, palpitant, le passage incertain D'une robe de gaze et d'un pied de satin. Las! je sens que mon cœur sur les terrestres plages Comme ton disque au ciel a vu trop de nuages L'assombrir, et qu'il fut en ses rayonnements, Ainsi que toi, sujet à trop de changements. Puis, lorsque, ramenant sur le sol ma paupière, Je vois les blancs rayons de ta douce lumière Traverser le front noir des bosquets d'alentour, Sur mon être je fais un pénible retour Et pense tristement, en mon âme inquiète, A toutes les blancheurs qui sillonnent ma tête. Fontainebleau, 18Ô7. UNE FUITE D'OISEAUX EN AUTOMNE. Que le sort des oiseaux est doux ! Le printemps a pour eux mille grâces charmantes, Des prés verts et des fleurs où leurs troupes aimantes Se donnent de gais rendez-vous. L'été, quand le brûlant soleil De nos champs altérés fait comme une fournaise, Sous l'ombrage des bois ils chantent à leur aise, Ou bien dorment d'un frais sommeil. L'automne pour leurs appétits Mûrit dans les vergers la poire succulente, Ou gonfle l'or sucré de la grappe brillante Sur les ormeaux appesantis. 320 S IL V ES. Puis, quand le redoutable hiver, Nous arrivant du Nord sur l'aile des tempêtes, Des grands arbres touffus découronne les faîtes, Blanchit les prés et glace l'air, Eux, nous laissant aux mauvais temps Et fuyant sans regret les rives paternelles, Enfants gâtés des cieux, sur des plages nouvelles Ils vont retrouver le printemps. Oiseaux, que votre sort est doux! Nature en vous créant fut une bonne mère, Si bonne que souvent l'homme, roi de la terre, Voudrait bien être l'un de vous; Oui, bien souvent, chers voyageurs, Quand il sent des soucis les morsures cruelles, Il donnerait soudain, pour le bout de vos ailes, Ses richesses et ses honneurs; Le poëte surtout, ce corps Sans cesse frémissant et tourmenté par l'âme, Le poëte souvent épuisé par la flamme De ses mélodieux accords. O sol des lauriers gracieux, Vallons toujours en fleurs de l'antique Sicile, Terre qui tiens encor sur ta fumante argile La trace vivante des dieux, Fille des mers, où la chaleur Et le ciel, toujours pur, toujours plein de lumières, Dissipent, en baignant les humaines paupières, Les maux du corps et ceux du cœur; UNE FUITE D'OISEAUX EN AUTOMNE. 321 Pays au\ éternels attraits, Que ne puis-je vers toi voler d'une aile agile, Et là vivre et mourir, comme un cygne tranquille, En chantant sous de verts bosquets! Fontainebleau, 1857. LE BAISER DU HÉROS. C'était au quatrième, en un petit logis Des plus nus, et caché dans un coin de Paris, Que le chef glorieux de l'antique Venise, Manin, le bon Manin, prêtait son entremise A qui voulait bien faire aux Piémontais le don D'une pièce d'argent pour avoir du canon. Il avait recueilli mon offrande secrète, Et, me remerciant d'une parole honnête, Me priait de tracer en un livret mon nom. Il le lit, et soudain : « Êtes-vous le poëtu? » Et sur cette réponse : « Oui, monsieur, je le suis, » D'un élan généreux il m'accoste et m'embrasse... Quel honneur! bien des jours se sont passés depuis; La mort même, au héros faisant cruelle chasse, L'a pris tout palpitant de rêves d'avenir. Il n'est plus, mais toujours est vivante sa trace; Le monde du ses faits garde un grand souvenir, Et son baiser longtemps me brûlera la face. 1857. A L A MÉMOIRE DU GÉNÉRAL GAVAIGNAC. Toi, qu'avaient respecté les foudres du canon Et qu'un vent froid d'automne a couché sur la terre, Toi, notre honneur... je veux avec un vers austère Tresser une couronne à ton glorieux nom. Je ne chanterai pas ta vaillance certaine, Sur le sol africain ton héroïque ardeur; Tu fis là ce que fait tout jeune capitaine Qui naît dans notre France et porte haut le cœur. Ce que je chanterai, c'est ta vertu civique, Ton esprit ferme et droit, ta mâle probité, Et ton sincère amour de cette république Qui ne fleurit qu'avec l'ordre et la dignité. A l'œuvre je t'ai vu quand la guerre civile Grondait, et qu'un ramas de féroces brouillons Attisait la révolte et jetait ses brandons A tous les coins fiévreux de notre grande ville, 32 i SI L V ES. Tu ne pactisas point avec les mains de sang, Tu frappas, quatre jours, l'hydre aux tètes sans nombre, Et point ne profitas de ta victoire sombre Pour garder du pouvoir le signe éblouissant. Au contraire, quand vint l'heure grave où la France T'enleva les honneurs du haut commandement, Tu les quittas sans fiel et rentras en silence Au foyer des aïeux vivre modestement. Jïcl acte, un des plus beaux que présente le monde, Car de tout temps, partout, c'est une rareté De voir l'homme du glaive aimer d'amour profonde Et couvrir de respect la sainte liberté. O guerrier, va là-haut t'unir aux grandes Times Que sur terre on nomma Desaix, Hoche, Marceau! Elles t'accueilleront dans leur noble troupeau, Comme une âme pareille et pleine de leurs flammes. Novt'inMv 185™. PAYSAGES. A M. EMILE COTTENET. d'après landseer. On est au bord des flots, au printemps... Calme et pur, Le soleil renaissant s'élève dans l'azur; La mer est comme lui : sur les vagues tranquilles, A l'horizon lointain, cent navires agiles Cinglent, la voile au vent, et dans différents ports Vont contre d'autres biens échanger leurs trésors. Maints pêcheurs font sécher leurs filets sur la plage, Ou réparent les nefs, victimes de l'orage. Au haut de la falaise, étendus sur le dos, Des bergers nonchalants paissent de blancs troupeaux. A côté d'un affût brisé, de jeunes filles Composent en chantant des bouquets de jonquilles, Et la brebis, sans peur de leur chant printanier, Broute l'herbe qui croît au fond d'un vieux mortier. 3 26 S IL Y ES. i) a pues c \ [. \m E. Voici le roi des pics, le superbe Mont-Blanc, Qui livre au voile épais du soir son large flanc. Tandis qu'autour de lui ses filles, les montagnes, Avec leurs bois touffus et leurs vertes campagnes Se revêtent de noir, lui, sur son front vermeil, Conserve dans la nuit les roses du soleil. C'est charmant, mais je dis : Est plus charmante encore L'enfant qu'un mot. d'amour intimide et colore, Et qui, les yeux baissés et les deux seins émus, Rougit longtemps après qu'elle ne l'entend plus. » atp.es tp. oyo\. Buisson malencontreux qui resserres la route, Quelle main planta là tes épines? Sans doute Le riche possesseur de quelque vert jardin, Jaloux de le garder de tout mufle qui broute, Quand le bétail s'en va paître le ciiamp voisin. Les grands bœufs au cuir dur auprès de toi sans peine Cheminent, car tes dards s'émoussent sur leurs dos, Mais les blanches brebis, mais les tendres agneaux, Ne te longent jamais sans te laisser leur laine, Et souvent leur sang pur empourpre tes rameaux... O vie, ô grand chemin qui mène à l'autre monde, Que de halliers pareils sur tes bords verdoyants! Qu'il nous faut côtoyer de buissons outrageants Avant d'être à la fin de ta ligne profonde! Hélas! bêlas! quand tous nous serons parvenus A notre dernier pas, du blond rabbin Jé->us PAYSAGES. 821 Verrons-nous s'accomplir la promesse féconde? Et ceux qui dans la route auront souffert le plus, Les débiles de corps et les douces natures, Trouveront-ils du baume à toutes leurs blessures? Il faut le croire, ou bien tenir pour insensé Le sublime discours que le Juste a laissé Au peuple des souffrants. . Mais non, le saint cantique Qui s'éleva jadis de sa lèvre angélique, Et des rocs de Judée alla frapper les deux, N'était pas un amas de mots barmonieux Qui, sous l'éclat trompeur de fausses paraboles, Ne cachait que du vent et de vaines paroles. Bienheureux, bienheureux ceux qui versent des pleurs; Ils seront consolés de leurs grandes douleurs! Bienheureux, bienheureux Va f famé de justice: Il aura le paîment de son dur sacrifice! Non, ces mots furent pris à l'instinct immortel Du cœur plaintif de l'homme, et ce cri, comme tel, A de la vérité la ferme certitude. En effet, qui pourrait dans un. monde si rude, Et n'ayant pas prié qu'on l'y jetât, subir Innocemment la faim, l'injure et l'esclavage, Sans trouver autre part et sous autre visage Un dédommagement à ses cris de martyr? L'homme sensible et bon ne ferait point souffrir Le moindre vermisseau courant sur la verdure, Et quand son pied l'étreint par un hasard fatal, 11 en pleure et s'efforce à réparer le mal ; Et l'homme, ce fétu, dans le fond de son cœur Enfermerait un plan de justice meilleur Que celui qui rayonne en l'âme de son maître? Oh! non, cela n'est pas, cela ne saurait, être; Pas plus que n'est la livre inférieure au sou, Et que la moindre part ne surpasse le tout. 328 SILVES. Ainsi, pauvres agneaux qui cheminez sur terre, Injustement chargés des plus horribles maux, Tendres êtres privés de force nécessaire Pour renverser l'obstacle, alléger vos fardeaux, Suivez, faibles marcheurs, vos sentiers de misère, Portez patiemment les coups de vos bourreaux, Vous toucherez le but, car, riant ou sévère, A son terme tout sort finit par aboutir. Alors, du noir néant Celui qui fit sortir Vos troupeaux malheureux, le grand Pasteur des mondes, Vous voyant à ses pieds augustes revenir, L'œil en pleurs, tout saignants, pleins de fanges immondes, Ne pourra s'empêcher sur vous de s'attendrir. Alors, alors, du haut de sa gloire divine, Il baissera les bras et, contre sa poitrine Pressant avec douceur vos corps endoloris, Il lavera le sang, il ôtera l'épine, Pour vous remettre après, l'âme en joie et guéris, Dj,ns des routes menant à plus fraîches pâtures, Et n'ayant plus jamais des ronces pour bordures. 1857. UN MOT DE SAINTE MADELEINE DE PAZZI. Quand la sainte, parfois errant dans un jardin, Y voyait des rosiers resplendir le carmin, L'àme ravie et l'œil à la voûte profonde, Elle disait : « Mon Dieu, puissant auteur du monde, Qu'envers ta créature est grande ta bonté ! Car tu pensais, du fond de ton éternité, A réjouir mes yeux de ces charmantes choses, Et, par amour pour moi, tu concevais les roses. » Plessis-Piquet, 1857. UNE PENSÉE D'OSSIAN. Le sourire de la tristesse Est doux comme l'ondée aux beaux jours du printemps, Quand des chênes son flux pénètre la rudesse Et fait sortir les bourgeons éclatants. Il annonce que la pauvre âme Qui tremblait, toute sombre, à l'air froid du malheur, S'épanouit, respire et repiend de la flamme Au souffle chaud d'un avenir meilleur; Que l'œil abaissé par l'orage, Et sur lequel pesait un brouillard éternel, Se relève et découvre à travers son nuage Un peu de bleu dans la voûte du ciel. O feu divin de. l'espérance, Qui peut être insensible à ton rayonnement? Et comme, en te voyant ranimer la souffrance, Heureux l'on est de son redressement! UNE PENSEE D'OS SI AN. 331 Que ceux qui commencent la vie, Et savent encor peu des choses d'ici-bas, En traversent les champs, l'âme toute ravie, L'œil en gaité, la voix pleine d'éclats! Belle est vraiment l'insouciance De tous les jeunes cœurs n'aspirant qu'au plaisir Et dans leurs bonds légers croyant à la constance Du feu follet que poursuit leur désir. Je l'aime, mais je lui préfère, Sous un saule couché, le front pâle et rêveur, Qui, connaissant le prix d'une haleine prospère, Savoure en paix un éclair de bonheur; Une Daura plaintive et blanche Qui, revoyant l'époux qu'elle croyait perdu, Muette, au bord des flots, languissamment se penche Au bras aimé du héros attendu; Ou bien quelque pauvre orpheline Sur qui tombe un regard noble et consolateur, Et qui solde la main prévenant sa ruine Avec l'or pur d'un regard enchanteur. Le sourire de la tristesse Est doux comme l'ondée aux beaux jours du printemps, Doux comme le zéphyr sur le flot qui s'abaisse, L'azur céleste après les noirs autans. Publié en 1857. A VINGT ANS DE DISTANCE. C'était un jour d'hiver, bien froid, niais sans nuage. Un hasard m'avait fait traverser le village Tranquille où mon aïeul maternel abrita Longtemps les jours heureux que le ciel lui compta. Tout naturellement je recherchai la vue Du logis dans lequel sa vieillesse chenue S'était épanouie, et dans lequel aussi Mon petit corps d'enfant, léger et sans souci, Aux soleils des étés, à leur effervescence, Librement et gaîment avait pris sa croissance. En le trouvant debout avec ses quatre tours, Sa grand'porte, ses toits pointus, comme toujours, Son aspact aussitôt en mon âme fit naître Désir d'y pénétrer... mais, inconnu du maître, N'osant me présenter, je résignai mon cœur A cheminer autour des murs, lent et rêveur. A la fin, vers un coin donnant sur la campagne, Trouvant quelques moellons, je les mis eu montagne, A VINGT ANS DE DISTANCE. 833 Et, m 'élançant dessus d'un pied leste et certain, Je tâchai de plonger mes yeux dans le jardin. Grâce aux coups de l'hiver dont le souffle sauvage Avait débarrassé les fûts de leur feuillage, Je pus reconquérir tous ses détails charmants. Singulier jeu du sort! quoique depuis vingt ans Ce terrain fût sorti des mains de la famille, Il n'avait point perdu sa parure gentille; Le plan n'en était pas altéré grandement, Et mon œil s'y pouvait reconnaître aisément. Voilà bien la maison avec ses huit croisées, Et son pré vert devant, où, gourmandes rusées, Maintes chèvres broutaient; voilà le potager Où nous-mêmes trouvions tant de fruits à manger; Plus loin le labyrinthe avec son belvédère, Puis le grand entonnoir appelé la carrière, Puis l'allée aux tilleuls où l'on se balançait, Et, tout au bout, la grange où l'on se culbutait, Se roulait, se battait sur le foin du grand-père; Et chaque bon coup d'œil lancé de ma paupière, Comme fantômes doux, faisait naître et surgir De vingt endroits connus plus d'un cher souvenir; Et tous ces souvenirs d'une voix fraîche et tendre M'appelaient, me disaient : « AUons, il faut te rendre Où volent tes désirs; viens avec nous, descends, Pour refouler encor le sol des jeunes ans; Viens embrasser le tronc des tilleuls et des hêtres Que planta, qu'émonda la main de tes ancêtres. » Mais le mur était là, sévère défenseur De la propriété; le franchir, en voleur C'était se transformer, pour tel se faire prendre. Le cruel! l'inhumain! il me fit trop comprendre Que la terre qu'on vend, et qui n'est plus à vous, Retient longtemps encor quelque chose de nous. Je sentis pleinement les douleurs de l'exil, 19. 334 S1LVES. Je vis que, bien qu'on puisse aspirer l'air subtil Des deux en tout pays, il n'est bonne existence Qu'aux lieux seuls où l'on aime et l'on a pris naissance. A regret je dus donc renoncer au plaisir De revoir un instant et de reparcourir Le sol où se joua mon enfance première, Et je redescendis de mon haut tas de pierre Moins vite assurément que je n'étais monté, Songeur et quelque peu mécontent, attristé. Pourtant, en traversant de nouveau le village, Au riant souvenir des beaux temps du jeune âge Un penser succéda, plus sévère et pieux, Celui de rendre hommage au lit où mes aïeux Reposent pour toujours... Je fus au cimetière, Et là, dans un recoin de l'enclos funéraire, Je saluai longtemps, de regards attendris, La tombe du grand-père et de son digne fils, Vieillards au cœur solide et de droiture antique, Serviteurs valeureux de notre république, Dont le nom, au milieu des cercueils villageois, Exhalait le parfum des vertus d'autrefois. G près Paris, 1858. CHANT FUNEBRE. La mort, ô Poésie! effeui'le ta couronne : A coups sûrs, redoublés, elle frappe et moissonne Tes enfants les plus vrais et les plus gracieux : Hier c'était Musset, aujourd'hui c'est Brizeux! L'un et l'autre enchantaient et récréaient mon âme; Par leur charmant esprit ou par leur tendre flamme, L'un et l'autre exerçaient sur moi l'attrait vainqueur, Mais le dernier surtout, car il avait mon cœur. O Muse! bras sur bras et presque du même âge, En nos jours de printemps nous fîmes le voyage Do ton divin pays, et, pèlerins de l'art, Sur toutes ses beautés courut notre regard. Mais bientôt, me laissant au noir fracas des villes, Il reprit le sentier de ses landes tranquilles, 336 SILVES. Et trente ans, hôte aimé des bois, des flots, des monts, Il chanta fièrement ses frères les Bretons. Hélas ! bien qu'il eût fait sa part de la nature, Et du ciel aspiré l'haleine la plus pure, Le chemin à ses pieds ne fut pas toujours doux, Et sous les verts gazons fit sentir des cailloux. L'inquiétude ombra souvent son existence, Ses travaux n'eurent pas toute leur récompense; Et lorsqu'un jour il vit rayonner quelque espoir, Au ténébreux empire alors il fallut choir, Et si terriblement, de façon si soudaine, Qu'il ne put même avoir, aux derniers jours de peine, Les soins consolateurs et les embrassements D'une mère éplorée et de frères aimants. Laissons, laissons du sort s'accomplir le mystère, Trop souvent dur aux bons! — Pour moi, qui de la terre Croyais certainement m'en aller le premier, Je dis, plein d'amertume, au démon meurtrier : n O mort! en ravissant cette âme généreuse, Tu viens de faire une œuvre horrible, désastreuse, Car ton bras infernal d'un seul coup a ravi A la France un poëte, à mon cœur un ami! Et les fils du Parnasse ayant sa haute veine Ne se rencontrent pas au monde par centaine, lit dans l'ombre où je suis de mes jours déclinants, On ne retrouve pas des amis de trente ans. » Mai 1858. LE TEMPS DES CERISES. 11 me souvient que mon père, Chaque fois l'an, A la Saint-Jean, M'emmenait avec mon frère Promener aux prés Saint-Gervais, Et, chemin faisant, j'entendais Sa voix fredonner, légère, Ce gai refrain de vieux couplets Dont l'avait bercé sa mère : Tant que cerise mûrira, Le doux rossignol chantera, Et jeunesse rira. Là, sans crainte de la dure, Au vaste pied D'un beau noyer, 338 SILVES. On siégeait sur la verdure; Puis des cerises l'on mangeait. Et, tout en goûtant, l'on voyait Se dérouler sous l'ombrage Le joyeux et frais chapelet Des enfants du voisinage. Tant que cerise mûrira, Le doux rossignol chantera, Et jeunesse rira. 0 plaisir de mon enfance, La volupté De chaque été Me rend votre souvenance, Et je revois nos verts gazons. Les arbres flottants sur nos fronts, Et nos cerises rougettes S'en allant aux folles chansons Des oiseaux et des fillettes. Tant que cerise mûrira, Le doux rossignol chantera, Et jeunesse rira. Mais qu'est devenu mon frère, Ce bel enfant, Si bien vivant? Qu'est devenu mon bon père, Et même le feuillage frais Des jolis prés de Saint-Gervais? Tout a disparu de terre; Et, seul, je reste désormais A chanter comme grand'mèrc : LE TEMPS DES CERISES. 330 Tant que cerise mûrira, Le doux rossignol chantera, Et jeunesse rira. 1858. CRI DE GUERRE. Peuple de France, en guerre! en guerre! Enfants des champs, enfants de la cité, Levons-nous tous ! aux armes ! notre mère A dans les cieux agité sa bannière ! En guerre pour la liberté ! Ah! cette fois, c'est la dernière; C'est le dernier des grands combats! Encor quelques jours de misère, De lutte et de foudre en éclats; Et puis dans une paix profonde Pour toujours les peuples du monde Reposeront leurs membres las. Loin de nous de prendre l'épée Pour outrager les nations, CRI DE GUERRE. 341 Peser sur leur terre usurpée Et souffleter leurs vieux blasons Nous voulons, guerriers magnanimes, Délivrer de nobles victimes De l'échafaud et des prisons. Oui, nous nous armons pour défaire L'œuvre inique des anciens rois, Pour relever de la poussière Le front d'un grand peuple aux abois, Et, sans intérêt, sans colère, L'aider à ressaisir sur terre Son rang véritable et ses droits. Italie, ô sœur malheureuse, Ton cri n'est pas en vain jeté La France n'est point oublieuse De sa nourrice de beauté : Pour tous les trésors de science Que tu versas sur notre enfance, Nous te rendrons la liberté. Peuple de France, en guerre! en guerre! Enfants des champs, enfants de la cité, Levons-nous tous ! aux armes ! notre mère A dans les deux agité sa bannière ! En guerre pour la liberté ! Publié en mai 1859. A AUGUSTE DOZON. Merci de votre don, ami. Quoique fragile, Petite et d'un humble élément, Votre coupe aux flancs noirs, votre coupe d'argile Me plaît infiniment. Elle fut, dites-vous, au cœur même d'Athènes, Trouvée au fond d'un vieux tombeau, Athènes, la cité des choses souveraines, De l'esprit et du beau. Je le crois en voyant sa forme délicate, Les marques de sa vétusté, Et je la prise ainsi plus qu'un vase d'agate Et d'or pur incrusté. Chaque fois que mes yeux se poseront sur elle, Mon âme heureuse y puisera A AUGUSTE DOZON. 343 Les parfums d'amitié que votre cœur fidèle Pour le mien exhala. Puis, les beaux souvenirs de la sublime terre Avec laquelle on la pétrit, Renaissant tout à coup, de leur vive lumière Frapperont mon esprit ; Et, pour me maintenir dans les hauteurs sereines Du grand art et. de l'acte bon, Je penserai près d'elle aux meilleurs fils d'Athènes, Sophocle et Phocion. 1859. PAR MONTS ET PAR VAUX. I. l)NE D E E S S K Au milieu du chemin courant à travers l'herbe, Sous ses longs voiles blancs jeune fille superbe, ■Elle était là debout, à côté de ses bœufs; Sa main gauche posait sur leurs fronts vigoureux, Tandis que de la droite elle tenait, altière, Son aiguillon, planté comme un sceptre sur terre, Et telle l'on eût dit la sublime Cérès D'un regard maternel embrassant les guérets... D'habitude, c'est l'homme au rude et dur visage Qui porte l'aiguillon et mène l'attelage; Mais, cette fois, la femme, une fleur de vingt ans, Jouait son rôle, et l'âine et l'œil étaient contents PAR MONTS ET PAR VAUX. 345 De voir la beauté douce, humaine et virginale, Guider les mouvements de la force brutale. II. LES DEUX VICTIMES. Sur une croix de lave au grain dur et noirâtre, Pour les dévotions du bon peuple idolâtre Des monts, on a sculpté d'une assez fine main Du plus grand des Hébreux le torse surhumain. Les deux bras étendus, sous le mal qui le brise Sa tête est inclinée : il meurt, il agonise. Mais il n'est pas tout seul en son affreux tourment; Derrière, à sa hauteur, sur l'horrible instrument De mort, on a dressé l'image de Marie, Qui, les deux yeux au ciel, se lamente et supplie... Or comme, émerveillé de ce penser nouveau Dans l'art, j'en témoignais ma surprise tout haut, Un vieillard, qui venait d'achever sa prière, A mes côtés, se lève et dit : « Marie en croix Vous paraît, cher monsieur, chose assez singulière, Et pourtant, quand Jésus fut cloué sur le bois, On dut crucifier du même coup sa mère. » Auvergne, 1859. LES SANCTUAIRES. Is holiness in every shade. Femcia Hemans. Esprit, âme et soutien de l'immense nature, Esprit qui remplis tout, la profondeur obscure Des entrailles du globe, et les mers et les cieux, Pour tes adorateurs tu rends saints tous les lieux Et tous les points du temps! Le calme des collines Exprime le respect de tes grandeurs divines; Les sources, les ruisseaux avec leurs mi lit; bruits Murmurent ta louange, et jusqu'en ses réduits Les plus noirs, la forêt, agitant son feuillage, De toi parle sans cesse. Au fond de tout ombrage La sainteté réside : aussi, le cœur pensif, A cet auguste don justement attentif, LES SANCTUAIRES 347 Aime-t-il et tient-il en grande révérence Ces Êtres purs, vôtus de grâce et d'innocence, Qui, loin de tout fracas terrestre, nuit et our, N'élèvent vers le ciel que des soupirs d'amour... Fontainebleau. 1 P.r»9. UN PASSAGE D'ABEILLES. A SAINT-RENE TAILLANDIER. Tandis que, fatigué d'une route poudreuse, Je goûte le repos sous de frais rameaux verts, Abeilles en essaim, troupe mélodieuse, Vont traversant les airs. Quelque temps le doux bruit que font leurs vives ailes Enchante mon oreille, et quelque temps aussi Je vois leurs corps légers briller comme étincelles Sur le fond obscurci. Où vont-elles s'abattre?... En tous lieux où fleurettes Exhalent leur parfum, étalent leur émail, Car, depuis que L'aurore a blanchi leurs retraites, Elles sont au travail. UN PASSAGE D'ABEILLES. 349 O mouches! votre corps est petit à l'extrême, Mais votre esprit est grand, et vous tenez du ciel Des ailes, bouche d'or, et la faveur suprême De changer tout en miel. Vous possédez le son, la couleur et le baume, Et vous n'abusez pas de ces dons précieux; Aussi tout ce qui sort de votre doux ro3raume Est-il délicieux. C'est là votre secret, délicates abeilles, Mais il n'est pas le seul de votre ardent labeur : Vous connaissez encore où sont les fleurs vermeilles A la plus fine odeur. Croissent-elles aux bois plutôt qu'au sein des plaines, Ou sur les fiers sommets qu'enveloppe l'azur, Et qui, plus rapprochés des clartés souveraines, Boivent un air plus pur? Dites, car je voudrais, en suivant votre trace, Cueillir sur les hauts monts ou sous les bois penchants Ce qui peut infuser le plus d'âme et de grâce Aux poétiques chants. Peut-être alors pourrais-je, artiste moins débile, Laisser quelques douceurs dignes des fleurs d'Hybla, Même un peu de ce miel qu'aux bords latins Virgile Savamment distilla; Peut-être... Mais pourquoi caresser l'espérance D'égaler dans mes soins votre travail doré? Abeilles, je n'ai pas votre sainte innocence, Votre esprit mesuré. '20 350 SILVES. Abeilles, j'aurais beau, parmi les fleurs de l'âme, Choisir celles qui font les bouquets les plus doux, Et pénétrer mes vers de la céleste flamme Qui resplendit en vous; De vos concerts mes chants n'auront jamais les charmes; Leur miel ne vaudra pas votre miel pur et clair, Nos temps sont trop troublés, nos cœurs trop pleins de larmes, Pour qu'il n'ait rien d'amer. Fianchart. — Fontainebleau, 18Ô9. OBERMANN. « Je vais au bois avant que le soleil éclaire, « J'y vois dans un beau ciel s'élever sa lumière, « Je foule l'herbe humide, et le bruit de mes pies « Des mousses fait bondir quelques daims effrayés. « Alors, sous les bouleaux à la fine verdure, « En ce moment divin pour toute créature, « Un sentiment secret de possible bonheur « Me remue avec force et m'agite le cœur. « Je monte, je descends, je marche tel qu'un homme « Qui veut jouir... Soudain, j'ignore vraiment comme « 11 se fait qu'il m'échappe un soupir douloureux : « J'ai de l'humeur, et puis tout un jour malheureux. » Tel est, noble Obermann, le récit d'une course Que tu fis un matin aux lieux où l'humble source 152 S1LVES. Du mont Chauvct gémit... Or, près d'elle, écoutant Murmurer sur mon front le feuillage flottant, A part moi, je songeais à cette promenade, Et cherchais la raison d'une fin si maussade, Et de l'étrange humeur qui, sans motif réel, T'avait tout obscurci, la verdure et le ciel. Mélancolique ami du riant Épicure, Peu d'humains mieux que toi sentirent la nature. Tu compris ses aspects sublimes ou touchants, La splendeur des soleils dans leurs rouges couchants, La rose effusion des clartés matinales, La muette blancheur des neiges virginales. Et, sur les verts sommets éloignés des vivants, L'éloquence des pins agités par les vents ; Tout ce qui chante, ondoie, étincelle, s'enflamme, De ses effets divins émerveilla ton âme; Et, cédant au pouvoir de tant de purs attraits, Afin de mieux jouir de leur spectacle frais, Fort souvent, dégoûté des peuplades humaines, Pour les bois et les monts tu désertas les plaines. Et cependant, malgré l'enivrante douceur Que la grande Sirène épanchait en ton cœur, Une amère tristesse empoisonnait ta vie Et rendait tes destins bien peu dignes d'envie. Qu'avais-tu donc, rêveur? quel démon altérait Partout le flot de miel que la nature offrait A tes lèvres?... Hélas! sous la grâce visible Des formes tu sentais, indomptable et terrible, Une force toujours prête à l'anéantir. Puis tu reconnaissais, à travers ton plaisir, Que tu n'étais qu'une ombre, un lambeau de nuage Que le moindre zéphyr allait dans son passage Halayer et dissoudre, et qu'autour de ton front, Devant toi, sous tes pieds, le lac au flot profond, OBERMANN. 353 Le ciel au vaste azur, la nuit aux feux sans nombre. Et les bois verdoyants, pleins de lumière et d'ombre, Enfin tout ce qui brille en ce monde de beau N "était que l'ornement d'un éternel tombeau. Alors te survenaient de longues défaillances, Des découragements et des désespérances; Alors tu te disais tristement : « A quoi bon, Dans un ordre pareil, se mettre à l'action? A quoi bon épeler le mot fameux de Gloire Devant l'Éternité, gouffre de toute histoire? A quoi bon animer, même du feu d'amour, De fragiles humains qui ne vivront qu'un jour? » L'infini, l'infini, par sa masse de choses, Ses compositions et ses métamorphoses, Écrasait ton esprit, et tu ne pouvais pas Concevoir, en foulant la terre sous tes pas, Que l'appréciateur des charmes de Cybèle N'eût pas une existence aussi durable qu'elle, Et, toujours entraîné vers l'horizon sans fin, Tu voulais l'embrasser... avec des bras de nain. Obermann, Obermann, ta course dans la vie Était celle d'un cœur ardent, mais qui dévie; Le sentier que prenaient tes désirs était faux. Comme cette beauté, l'amoureuse d'Éros, Que d'antiques esprits peignirent malheureuse D'avoir voulu, superbe et par trop curieuse, Lever imprudemment le voile de l'Amour, De même, audacieux pèlerin, à ton tour Tu plongeas le regard au fond de tes délices, Et tu ne rapportas, comme elle, que supplices De ta vue inquiète. — O penseur plein d'émoi ! Il te fallait jouir sans chercher le pourquoi, Aimer, toujours aimer... Amour t'eût fait comprendre Mieux que raison le point que tu voulais entendre, 20. 3r>4 S I L Y E S. Car, quel que soit l'esprit et sa vive lueur, Le sens de l'infini n'existe bien qu'au cœur. Ah î tu la reconnus, cette vérité sainte, Le jour où tes deux pieds marquèrent leur empreinte Dans la vieille Helvétie, aux neiges du Sanez. Sous l'ombre des hauts pics, de glace couronnés, Solitaire marcheur, tu rencontras un homme Que la fatigue avait saisi d'un mauvais somme, Et qui, par le grand froid déjà tout engourdi, Allait aux noirs vautours livrer son corps roidi. Soudain ton cœur s'émut en face de cet être, Et tu ne voulus point du sentier disparaître Sans ravir au trépas ce frère défaillant. De la main et du cri vite le réveillant, Tu le remis sur pied, tu lui rendis courage, Et, pour mieux regagner les toits de son village, Tu prêtas à ses reins le secours de ton bras. Or, comme vous marchiez, au-devant de vos pas Voilà qu'il accourut des enfants, une femme, Qui, les yeux inquiets et la terreur dans l'âme, Frappant l'écho plaintif d'un cri désespéré, Depuis longtemps cherchaient le pauvre homme égaré. En vous voyant, surtout toi, soutien de leur père, Ils comprirent bientôt que ton bras tutélaire En était le sauveur, et tous ces gémissants Inondèrent tes mains de pleurs reconnaissants. Quel moment ! tu l'as dit : d'une beauté divine Jl t'éclaira les cieux. Le sang dans ta poitrine Courut plus chaudement, et ton souffle, plus pur, IMus rapide et plus plein, s'élança vers l'azur. Nul souci ne pesait sur ta face ravie ; Comme l'acier dans l'onde, il semblait que ta vie Fût toute retrempée et bonne à l'action ; Le monde n'était plus une œuvre sans raison; OBERMANN. 355 Ame et corps, ta nature avait sou équilibre; Tu te sentais plus fort, tu te sentais plus libre, Tu fus heureux enfin tout le reste du jour; Tu venais, comme Dieu, de vivre dans l'amour. Fontainebleau, 1859. RENAISSANCE. A TE RE NZ 10 MAMIAN1. J'avais vu l'Italie humble , décolorée Et presque défaillante aux bras des oppresseurs ; Et pourtant la beauté de ses traits enclfanteurs, Si tristes qu'ils étaient, m'avaient l'àme enivrée. Aujourd'hui, revenu sur sa terre sacrée, Je la revois debout, le front paré de fleurs, Belle comme un printemps qui succède aux rigueurs D'un hiver malheureux... C'est qu'elle est délivrée! Gloire à ceux dont l'épée a vaincu le pervers Qui depuis trop longtemps la tenait dans les fers Et menaçait de mort sa grandeur asservie ! RENAISSANCE. 357 Gloire à ceux qui, du cri précédant les héros, Mamiani, comme vous, apôtre sans repos, Préparèrent de loin son retour à la vie ! Florence, avril 1860. ILLUSION. Où va ce beau trois-mâts qui fuit à l'horizon, Toutes ailes dehors ainsi que l'alcyon? Sur une mer d'azur, sous un ciel sans nuage, Doucement, librement et gaîmeut il voyage... Il apparaît ainsi, du mont où je le vois; Mais qui sait si là-bas où s'enfonce son bois Il est aussi paisible? A ce point de l'espace, La haute et grande mer_de ses vagues l'embrasse , Et lui fait ressentir, dans ses plis et replis, Le tangage écœurant et l'atroce roulis. Puis, sur son pont tremblant peut-être bien qu'il porte Des êtres accablés de soins de toute sorte, D'avides cœurs, rongés par les soucis du gain, Et de pauvres vaincus du travail et sans pain, Tous malheureux mortels, qui vont changer de terre Sans changer de tourments et changer de misère... ILLUSION. 359 N'importe, beau vaisseau, chance heureuse et bon vent! Que Dieu te mène droit sur le flot décevant, Et que nulle tempête aux rages souveraines N'ajoute ses horreurs aux angoisses humaines! Notre-Dame de la Garde à Marseille, 1S60 LA FILLE DU SOLDÂT. LE VOYAGEUR. Ami, connaissez-vous cette charmante enfant Au teint pâle, et qui vient, prompte comme le vent, De passer devant nous? LE CAMPAGNARD. Sûrement, c'est Rosane. LE VOYAGEUR. Plus d'une fleur de pourpre et d'azur se pavane Dans le joli panier qu'elle tient à la main ; Abeille matineuse, elle a fait son butin. LE CAMPAGNARD. Oui, dans nos blés elle a recueilli la parure Qui doit ceindre son front et rougir sa ceinture, LA FILLE DU SOLDAT. :î61 LorsquVn brillant costume et chantante, demain, La jeunesse du bourg, comme un joyeux essaim De linottes, viendra la chercher pour la fête, Et lui dire : « Rosane, à danser es-tu prête? » LE VOYAGEUR. Et sans doute qu'avec la troupe aux doux concerts Elle ira, sous l'abri flottant de vos pins verts, Allègrement guider la vive farandole, Comme un cœur jeune épris de la note qui vole, Exempt de tout nuage, et qui n'a, jusqu'ici, Pas encor rencontré l'épine du souci. LE CAMPAGNARD. Heur et femmes, hélas! ne vont toujours ensemble; Quand la bouche sourit, fort souvent le cœur tremble. Pauvre âme! elle est bien jeune, et déjà le destin A traversé son cœur des flèches du chagrin; Elle aime, mais son but est à trop de distance; Kl le aime sans espoir, et pourtant elle danse... LE VOYAGEUR. Se peut-il? LE CAMPAGNARD. Oui, Piosane est en proie au tourment; Mais sa fière pensée a vu distinctement Que gémir change peu les angoisses humaines, Et que laisser percer le secret de nos peines, C'est au monde donner le plaisir infernal De s'amuser des pleurs que nous tire le mal. Puis elle ne vit point toute seule sur terre; D'un père maladif, vieux troupier solitaire, Elle soutient les pas, elle anime les jours, 21 362 SILVBS. Et, ae voulant point pendre encor plus noir le c D'un hiver douloureux et que chaque heure avance, Elle masque pour lui sa mortelle souffrance. Aussi, dans l'humble case où sa voix retentit, Bonheur semble régner, rien ne chôme et pâtit Du terrible chagrin qui sourdement la mine; Et souvent le marmot, qui lui fait douce mine En passant, reçoit d'elle un sourire touchant, Ou le refrain joyeux de quelque ;iimable chant. LE VOYAGEUR. Peut-être que le temps, ce guérisseur suprême, Sur le mal obstiné qu'avec un soin extrême Elle cache, épandra son baume bienfaiteur. I.E CAMPAGNARD. J'en ai grand espoir, mais peut-être que, vainqueur Et des pavots du temps et de l'effort austère, Le mal tant comprimé l'enlèvera de terre. Alors, quelque matin, morte on la trouvera, Sans que personne, hélas! sache pourquoi s'en va Cette belle jeunesse en promesses féconde, Hors l'Être pour qui rien n'est caché dans le monde Et l'humide promeneur qui, par hasard, un jour, Au murmure d'un nom devina son amour. LE VOYAGEUR. O courageuse enfant! ô Aère Spartiate! Je comprends de ton front la pâleur délicate : Continue à souffrir, meurs même, s'il le faut, Ta muette torture aura son prix plus haut! Provence, 1860. LE VŒU DE L'INDIENNE. A la voir, au milieu du vallon solitaire, Droite comme un pilier, les deux pieds nus à terre, Immobile, on eût dit un cyprès que le vent A ce^sé d'agiter de son souffle émouvant. Les oiseaux familiers descendent de la nue Se percher doucement sur son épaule nue, Ou cherchent à ses pieds, à travers le gazon, Des graines de millet ou quelque moucheron. « Pauvres petits, dit-elle en sentant sa peau fine Par leur plume touchée, à la forêt voisine Pietournez; laissez-moi, je ne puis rien pour vous, Yama, dieu des morts, menace mon époux. » Et les oiseaux s'en vont. Avec eux la lumière Fuit aussi. Sourya plonge aux flots la crinière De ses rouges coursiers, et l'ombre tristement Envahit par degrés l'azur du firmament. Alors, tandis qu'au ciel, enveloppé de voiles, Les feux étincelants des lointaines étoiles Commencent à percer, dans le calme parfait .Ml RïLVES. Des cboses, elle entend frissonner la foret. Ce sont les animaux qui brisent les feuillages Eu désertant le creux de leurs réduits sauvages, Et soudain les chacals, les tigres, les lions, Emplissent le grand bois de hurlements profonds. « O voyageurs de nuit ! ô fauves redoutables ! Leur dit-elle, hurlez; vos cris épouvantables Ne rompront pas le vœu tenté pour mon époux; Yama, dieu des morts, me fait plus peur que vous. » Et droite, sans bouger, les deux pieds joints sur terre, Elle passe la nuit en fervente prière. Bientôt l'aurore au ciel montre son front doré, Puis du grand Sourya reluit le char sacré, Et tout un long jour voit la tendre créature Garder la même place et la même posture... A la fin, le corps las de ce non-mouvement, Et les traits tout, pâlis du manque d'aliment, L'Indienne sentait ses genoux fuir sous elle. Cependant à son vœu voulant rester fidèle, Elle luttait toujours, — quand soudain son mari Apparaît et s'approche : « O douce Savitri! De retour sous mon toit, je ne vous ai point vue, Mais j'ai su qu'en ces lieux vous vous étiez rendue Pour accomplir un vœu... Je ne saurais troubler Le pénible devoir auquel se laisse aller Votre cœur ; mais quelle ombre a passé sur votre âme, Et pour qui vous faut-il tant prier, chère femme? » Elle, heureuse d'entendre et de revoir vivant Le roi de ses beaux jours, celui qu'elle aime tant, Heureuse de toucher aussi le but suprême, Car le brillant soleil mourait à l'instant même Pour la seconde fois,... aux liras de son époux Tombe sans connaissance en murmurant : « Pour vous! » [mité du sanscrit, 1861 ORPHÉE. Par un chemin obscur le chantre de la Thrace, Silencieusement, hors des enfers guidait Eurydice, écoutant d'une oreille sagace Les mouvements légers du pied qui le suivait. Arrivé sur un point où le jour éclairait D'un rayon frais et gai le ténébreux espace, Un désir fou le prend, et, du terrible arrêt Oublieux, il veut voir sa jeune épouse en face. Il se tourne, et soudain le Tartare en fureur Contraint l'âme au retour : un long cri de douleur Elle exhale en fuyant vers les demeures sombres. A grands pas il la suit aux rives de la mort. Il y touche; mais, las! déjà sur l'autre bord, Ombre, elle était mêlée avec les autres ombres. Imité de l'italien, 1861. GOENIS. Dcins les bois ténébreux de l'infernal empire, Cœnis traîne à pas lents le poids de ses douleurs; Elle passe, revient, et jamais un sourire De son front abattu n'anime les pâleurs. Vivante, elle eut l'amour du roi des eaux marines; Puis, traîne, elle obtint de son divin amant La faveur d'échanger ses grâces féminines Contre un sexe moins doux et plus fort au tourment. Jeune homme elle devint ; cependant son cœur tondre N'en fut pas plus heureux. 11 battit de nouveau Pour une belle enfant qui ne put pas l'entendre, Adorant elle-même un autre jouvenceau. Cœnis, au désespoir, abhorra la lumière Et résolut de fuir dans la un i i du trépas. \IS. 36' La mort vint, et ce fut sous sa forme première Que Cœnis descendit aux lieux sombres et bas. Là, le cœur abreuvé d'amertume profonde, Elle erre isolément et. ne fait que gémir, Maudissant le destin qui ne la mit au monde Que pour toujours aimer et toujours en souffrir. Elle évite toute ombre, et, lorsqu'on la contemple, Son regard semble dire aux gens du noir séjour : Laissez en paix Cœnis, le plus complet exemple Des effroyables jeux du tout-puissant Amour. Inspiré de Virgile. LA VACHE DE LUCRECE. Souvent, frappé du fer auprès des saints autels, Parmi les flots d'encens qu'on offre aux immortels, Un jeune taureau tombe, et l'on voit sa poitrine Répandre son sang chaud en onde purpurine. Sa mère, qui déjà ne l'est plus, tristement Parcourt les verts sentiers des grands bois, imprimant Sur la terre des pas pressés que rien n'arrête. Elle sonde tout lieu de sa vue inquiète, Cherchant si quelque part ne se retrouverait L'enfant qu'elle a perdu; puis l'ombreuse forêt S'emplit des longs accents de sa voix lamentable ; Puis, lasse de mugir, elle rentre à Pétable, Et là reste immobile, au sol le pied rivé, Tout entière au regret de son cher enlevé. Ni tendres saules verts, ni plantes rajeunies Par les pleurs du matin dans les grasses prairies, ÎNi fleuves aux grands bords teints de vives couleurs, Ae peuvent la charmer et chasser ses douleurs. LA VACHE DE LUCRECE. 369 Vainement devant elle, en de fraîches pâtures, D'autres jeunes taureaux aux folâtres allures Bondissent; leur aspect ne distrait point ses yeux, Nul ne donne le change à son cœur soucieux ; Car aucun d'eux n'est, là, celui qu'en sa tendresse Elle connaît si hien et va cherchant sans cesse. Traduit du latin, 1862. 21. RUMEURS DES BOIS. A LAURENT-P1CHAT. Au fond de la forêt, couché depuis une heure, Je trouve si charmant son calme harmonieux , Que du moindre habitant de la verte demeure, D'un frôle coudrier je suis presque envieux. A travers les rameaux qui pleuvent sur ma tète, Les nuages, poussés doucement par les vents, Comme des vaisseaux d'or sur une mer de Crète , Balancent dans l'azur leurs escadrons mouvants. De temps en temps, du fond d'une épaisse ramée S'échappe un cri léger auquel, dans le lointain, Répond un autre cri, comme la voix aimée D'une mère tardive à l'appel enfantin. Puis les deux faibles voix, qui de loin se répondent, S'approchont, et bientôt, plus rapides qu'un trait, RU M EU RS DES BOIS. a7.1 Devant mes yeux charmés quatre ailes se confondent, Et s'engouffrent gaîment dans l'ombre d'un bosquet. Puis un rais de soleil, qui court de branche en branche. Descend le long des fûts jusqu'aux brins d'herbe verts, Et, là, baigne de flamme et de lumière blanche L'humble et douce fourmi qui chemine à. travers. La paix est dans le ciel et la terre est en joie, Tout fleurit, tout embaume et s'enlace à loisir, Et, dans ce plein de vie où nature se noie, Mes sens voudraient sans fin prolonger leur plaisir. Cependant de l'éther les ondes chaleureuses M'apportent tout à coup un bruit de cors lointains; Bientôt aux roulements des trompes valeureuses Se mêlent des abois terribles de mâtins. J'entends aussi des cris de chasseurs en haleine , A leur tâche féroce excitant les limiers, Et, comme par-dessus le sol creux d'une plaine, Le sourd piétinement d'un troupeau de coursiers. Et ce bruit , que le vent roule de roche en roche , S'évanouit, renaît, meurt et renaît encor. Puis , dans ses mouvements , soudain il se rapproche , Et semble jusqu'à moi diriger son essor- Est-ce une illusion qui me charme l'oreille, Vd jeu léger du vent dans la feuille arrêté, Un mirage trompeur de l'âme qui sommeille, Ou le produit vivant d'une réalité? Une chasse en ces lieux ! Mais" la forêt profonde Laisse vaguer en paix ses biches et ses daims ; 3T2 S1LVES. Loin d'elle en ce moment les puissants de ce monde Après d'autres plaisirs égarent leurs destins. Qui peut donc à cette heure, ô masse de verdure, De tes sombres réduits réveiller les échos? Qui peut jeter le meurtre et son affreux murmure Dans ton noble silence et dans ton saint repos? Un jour le Béarnais, perdu dans ces parages, Par un bruit tout pareil fut surpris comme nous ; Un jour, il vit, dit-on, sortir des noirs feuillages Un homme qui cria : « Mortel, amendez- vous ! >» Puis tout s'évanouit, et la rumeur et l'homme. Quant au dernier, jamais on ne sut sa valeur; Mais le peuple en garda souvenir, et le nomme Encore de nos jours du nom de Grand Veneur. Et par les bois, les monts, les rocs, les fondrières, Nuit et jour, il poursuit son bruit et son chemin; Le bûcheron, le soir, errant dans les bruyères, Se hâte en l'entendant, et porte au front sa main... Ah! qu'il soit pour le peuple un giboyeur terrible, Ce fantôme de l'air parcourant le hallier, J'en sais un plus réel, quoique autant invisible, Et dont le champ de course est l'univers entier; Celui-là, c'est la Mort! Ses dogues en furie, C'est le travail constant des venins corrupteurs, Et l'animal traqué, les formes de la vie Se dissolvant avec de plaintives douleurs. Oui , partout où le pied de ce grand chasseur passe , Le mouvement fait place à l'absolu repos ; RUMEURS DES BOIS. 3*3 Partout la fleur languit, partout la branche casse, Le moineau tombe et l'homme est couché sur le dos. Et personne ne peut s'enorgueillir au monde D'avoir mis en défaut ses pas et son regard. Un jour ou l'autre, il faut qu'il nous trouve en sa ronde, Un jour ou l'autre, il faut qu'il nous lance son dard. Il est venu sur vous , ô maîtres de la terre , O rois , qui faisiez tant de poussière en ces lieux , Ne laissant reposer au fond de sa tanière Pas plus le cerf craintif que l'homme ambitieux ! Il est venu sur vous, ô charmantes princesses, Douces biches des bois cherchant le trait d'amour, Belles , qui tant aimiez promener vos tendresses Sous les dômes feuillus où s'éteint l'œil du jour! Il est venu sur vous, artistes de génie, Dont les doigts ruisselants de tons brûlants et frais Versèrent à longs flots la lumière et la vie Sur les murs enchantés de tant de beaux palais ! Ni le rang élevé , ni l'âge , ni les charmes , Ni l'éclat du talent, ni les grâces du cœur, Rien n'a pu l'adoucir et détourner ses armes , Et tous avez roulé sous son bras destructeur. Et moi, qui , le cœur plein de votre souvenance, Gémis en rappelant vos destins, comme vous N'aurai-je pas mon tour de malheureuse chance, Et du noir poursuivant la rencontre et les coups Oui , je le sentirai traverser ma poitrine De son dard, et muet, dans la poudre noyé 374 SILVES. Je chargerai le sol du poids de ma ruine, Comme ce roc moussu que je foule du pic. Peut-être est-il bien près de découvrir ma trace , Le terrible veneur; peut-être que ce train Qui résonne dans l'air est le bruit de ma chasse , Le sombre hallali de mon pâle destin ! O Mort, j'ai, quant à moi, peu souci de ta flèche; Car, ayant commencé, je sais qu'il faut finir; Je sais , tout fort qu'il est , que le chêne se sèche , Qu'il tombe et va, poussière, à la poudre s'unir. Mais je te crains, ô Mort! pour les êtres que j'aime, Pour ceux dont le bonheur est la cause du mien, Et qui, faibles marcheurs, dans la tourmente extrême De ce monde, ont besoin de mon bras pour soutien. Je te redoute , ô Mort , pour un reste de rêve Qui flotte tout confus au fond de mon cerveau , Et qui demande encor du temps et de la sève, Pour éclore et donner les nobles fleurs du beau... Bêlas! bonheur des miens, rêves de poésie, Buts tranquilles et purs de mon humble désir, Vous êtes, comme tout ce qui vient de la vie, Choses sans consistance et faites pour nous fuir! Partez, envolez-vous et roulez à l'abîme, O beaux nuages d'or! votre sort est d'aller Où vous emporte Dieu dans son vouloir sublime ; Le mien est de vous perdre et de m'en désoler... Mais les étranges" bruits" qui perçaient le feuillage, Et me mettaient le cœur en un pénible émoi, RUMEURS DES BOIS. Dispersent dans les airs leur ténébreux mirage, Et sur l'aile oYs vents se perdent loin de moi. .le ne Les ''iitends plus... Les fantômes de l'àme Avec eux sont partis. A mon œil attristé La nature reprend son coloris de flamme, Le bois son calme pur et le ciel sa beauté. Pénétrantes fraîcheurs des humides verdures, Exhalaisons du sol, baume divin des fleurs, Scintillements de l'air, ondoîments des ramures, Murmures incessants des insectes rôdeurs , Effluves de la terre en son effervescence , Redoublez de parfums, de lumière et d'éclats, Étourdissez mon cœur du feu de chaque essence, Et versez-lui l'oubli des ombres du trépas! Fontainebleau, juillet 1862. LE VIEUX CHENE. A VICTOR DE LAPRADE. Ancêtre de la forêt , Nestor du sombre feuillage , Dont le flanc demi-fendu par le tonnerre et par l'âge Laisse à travers lui passer les vents et les traits du jour, O vieux chêne, de ton fût que de fois j'ai fait le tour! Que de fois, te mesurant, j'ai dit : « Que sont nos années A côté du vaste amas de tes puissantes journées? Que sont les centans de l'homme auprès des centaines d'ans De tes rameaux encor droits, vigoureux et verdoyants? Ah! si tu pouvais parler comme les fils de Dodoin;, Si, comme le vieux Memnon qui dans les sables résonne, De ton feuillage flottant et du creux noir de ton bois Il se pouvait échapper une harmonieuse voix, De combien d'actes fameux au berceau de notre histoire Cette voix pourrait encore enrichir notre mémoire ! Peut-être nous dirais-tu que, tout jeunes, tes rameaux Ont frémi d'aise en voyant devant les peuples nouveaux, LE VIEUX CHÊNE. 377 Qui sans cesse débordaient sur la Gaule aux vertes plaines, Dans leur vol épouvanté s'enfuir les aigles romaines; Peut-être que le roi franc dont tu portes le vieux nom Est venu se reposer sur la couche de gazon Qui couvre ton large pied, et là, tandis que la chasse Emportait ses compagnons à travers l'ombreuse masse, Peut-être a-t-il entrevu l'éclat des jours triomphants Par le grand Dieu de Clotilde annoncés à ses enfants ! Noble chêne, ta vieillesse est si profonde, et ton âge Si difficile à savoir, que l'on peut sans vain langage Te donner comme un témoin de ces faits pleins de beauté. Mais surtout ce qui pour moi te revêt de sainteté , C'est que le sol d'où tu sors , toujours ombragé de chêne, A certainement ouï le son des harpes de frêne, Lorsque les druides blancs, d'un pas grave et mesuré, En troupe venaient au bois recueillir le gui sacré. Or, parmi les plus beaux chants que la doctrine celtique Inspirait aux lèvres d'or de la milice bardique, Il en est un dont les vers m'ont su toujours raffermir, Tant ils contiennent en eux d'espérance en l'avenir; Ce sont les vers consolants qui disent que dans le monde, Malgré les retards pervers et plus d'une chute immonde, Trois choses croissent- et vont fleurissant de jour en jour: Science, justice, amour. » Fontainebleau, 1862. EN LISANT DES VERS DE JOHN BARBER PU ETE ECOSSAIS. O vieux rimeur que la Calédonie Ouït jadis chanter la liberté, Toi qui soutins que sans elle la vie Manque d'honneur, d'aisance et de gaîté, Toi qui la crus des choses la meilleure , Le doux espoir de l'opprimé qui pleure, Le vrai trésor de celui qui n'a rien Et la beauté mâle des gens de bien; Je suis heureux de voir, rimeur sublime, Qu'après un laps de plus de six cents ans, Sur d'autres bords et par de sombres temps, Comme toi barde et plus ton homonyme, Au grand Paris, nia natale cité, J'aie entonné l'hymne de liberté. Étrange chose! en nous mettant au monde Et nous parant, ions deux d'un même nom, Dieu immis emplil l'âme d'amour profonde EN LISANT DES VERS DE JOHN BARBER. 379 Pour un sol libre et les jeux d'Apollon. Qu'il ait l'encens de ma reconnaissance, Car nul trésor ne vaut la faculté De bien aimer ce qu'humaine existence A de plus doux, muses et liberté. Tant d'autres, las ! au terrestre rivage, Passent leurs jours si misérablement, Que je suis fier de mon lot; seulement Mon cœur désire un dernier avantage. Oui, je voudrais qu'au bout de mon voyage, Frappé de mort et sous le monument, Dieu m'octroyât, vieux rimeur, ta fortune, Et que, pour moi prodigue de ses biens, Il fit encor, par grâce non commune, Aux nobles cœurs de mes concitoyens, Vivre mes vers aussi vieux que les tiens. 1862. LA CHARGE DE WENGROW. Deux cents jeunes gens, presque tous de la classe noble, dans l'af- faire de Wengrow , s'offrirent de couvrir la retraite des insurgés en se jetant sur les canons russes. Toute cette jeunesse héro'ique resta sur le carreau, mais elle sauva le gros du corps insurrectionnel. Presse du 13 janvier 1863. O sublime Pologne! ô tombeau plein de vie! Comme un marbre sanglant en vain la tyrannie Pèse sur toi, ton corps est toujours agité , Et tes tressaillements au monde font connaître Que jamais de sa face on ne fait disparaître Un peuple ami du ciel et de la liberté... Elle s'était levée, et, sur la sombre arène, Elle avait reparu, non l'œil rouge de haine Et le poignet armé d'un fusil , d'une faux , Mais douce, sans défense et, dans un saint délire, Avec des chants pieux essayant le martyre, Pour toucher de pitié le cœur de ses bourreaux. LA CHARGE DE WENGROW. 381 Le cœur de ses bourreaux ! il fut plus insensible Que le rocher muet sur sa base impassible, Plus froid que le glaçon et plus dur que l'acier. Et quand vers lui monta sa clameur lamentable, 11 n'y fut répondu que par l'acte effroyable Du knout injurieux et du plomb meurtrier. Puis vint le recruteur, pourvoyeur homicide Des légions du tzar , et dont la main livide S'abattit nuitamment sur la fleur du pays. On voulait dépouiller le sol de sa parure, Et, des bourgeons faisant pleuvoir la neige pure , Aux arbres pour longtemps ôter l'espoir des fruits. Alors il fallut bien faire parler la poudre, Remanier le glaive et rebraver la foudre, Et, mourir pour mourir, mieux encore valait En Pologne tomber libre et fier sous les balles Que de finir ses jours loin des terres natales, Aux rangs de l'étranger comme un soldat valet. Alors tout homme ayant le feu de la jeunesse Dans les veines quitta ses proches en détresse, Et jaloux d'accomplir le grand, le saint devoir, Le bâton à la main ou la faux sur l'épaule , Se jeta dans les bois pour y jouer le rôle De sanglant partisan au corps du désespoir. Alors les plus beaux faits que l'histoire enregistre Reparurent soudain sur ce terrain sinistre, Et l'on vit, comme aux jours du vieux Léonidas, Deux cents nobles enfants au salut d'une armée Se dévouer, et tous de la gueule enflammée Des canons dévorants recevoir le trépas. 382 SILVES. Gloire, gloire à ces' morts ! — Mais quelle barbarie ! Ah! comme je voudrais que ma chère patrie Arrêtât pour toujours ce duel assassin, Et, couvrant la victime avec sa forte égide, Au nom du bien public et de sa loi rigide, Contraignît le voleur à rendre son larcin ! Oh ! comme je voudrais que la fière Angleterre A la France s'unît par un accord sincère, Et que la libre voix de son haut parlement Dît au tzar: « C'est assez d'oppressives alarmes, Un prince de nos jours ne peut vivre de larmes, Et de sang se gorger impitoyablement! » Oh ! comme je voudrais que la grande Allemagne, Touchée, émue enfin des cris de sa compagne, Ne fût plus à sa vie un obstacle fatal ! L'Allemagne , bon Dieu ! complice du partage, Que je la voudrais voir rougir du brigandage, Se laver du forfait et réparer le mal ! Vains souhaits, dira-t-on, vains rêves de poëte Qui désire ardemment que cesse la tempête Et que l'azur du ciel resplendisse à son tour. Vains rêves!... lit pourtant après un long orage, D'épouvantables nuits, des siècles d'esclavage, L'Italie aux abois n'eut-elle pas son jour? Espérons donc au sien que la Pologne incline, Kspérons, car l'espoir est de vertu divine, Et croire à la justice, à son prochain appui, C'est penser que le mal n'est, point maître du monde, Et que, si long, si dm- que soit son règne Immonde, Enfant de Dieu, le bien est plus puissant (pie lui. 28 février 1868. EN SUIVANT UN CONVOI. Cruel et doux printemps qui fais tout refleurir, Mais tant mourir aussi, je ne te vois venir Qu'avec crainte, car Dieu sait combien d'âmes chères M'ont prises les retours de tes fraîches lumières! Aujourd'hui môme encore il faut suivre en pleurant A son dernier refuge un compagnon charmant, Un indulgent témoin des actes de ma vie, Léon , mon cher Léon. O poignante ironie Quand, front bas, le pied lent, portant habit de deuil, Au jardin de la mort avec son noir cercueil Nous entrons tristement, le ciel sur notre tête Rayonnant de soleil met la nature en fête, La terre nous enivre avec ses floraisons, Et les oiseaux joyeux nous jettent leurs chansons. Alors pensant au mort qui va dans cet asile , Sous un marbre pesant, muet, froid, immobile, Dormir d'un long sommeil, somme heureux cependant 384 SILVES. Pour qui d'âme et de corps ici-bas souffrit tant, Je déplore du sort cette dernière injure, Et je dis: « Pauvre cœur sensible à la nature, Au doux chant des oiseaux tu demeureras sourd, Tes yeux ne verront plus la lumière du jour! » 3D avril 1S63. LE MONT SAINT-MICHEL. A MADAME MARIE HONS-OLI VI ER. Fier rocher, tu n'as point la pompe des grands bois Sur ton sommet chenu faisant flotter leur ombre, Ni prés verts à tes pieds, couverts de fleurs sans nombre, Où de gais ruisselets jasent à demi-voix. Mais tu peux te vanter de beautés plus sublimes D'un cap illuminé qui monte dans les cieux, De navires en course et de flots radieux Ou tourmentés des vents sur les vastes abîmes. Puis, quand l'hiver brumeux attaque tes remparts, Les flagellant d'écume, et de pluie et de neige, L'imagination te voit, ferme en ton siège, Braver avec dédain les vents et les brouillards, 22 386 SILVES. Plus beau, dans ces moments d'assaut et de tempête , Que lorsqu'aux soirs d'été, par un air sans émoi, ■ Le monarque du jour s'incline devant toi Et d'un reflet pourpré te couronne la tête. Tmité de l'anglais, 1863. LA FOURMI ET L'OISEAU. Les sages Indiens racontent dans leurs fables Qu'un être fort petit, mais des moins méprisables, Une fourmi, cherchait un jour à démolir Un amas de terreau, tâche rude à remplir Pour elle , et que , malgré sa force musculaire , Même sans se lasser un homme n'eût pu faire. Elle allait et venait, et du plein et du bord, Extrayait çà et là quelques brins , et l'effort , Bien qu'il fût peu de chose et de faible nature, Diminuait le tas en certaine mesure. Un oiseau qui passait dans l'air en ce moment Vit la petite bête à l'œuvre , et vainement S'efforçant d'amoindrir cette masse rebelle Des millions de fois plus haute et grosse qu'elle; Il eut compassion... « Hélas! pauvre animal, Lui cria-t-il, pourquoi te donner tant de mal? Quelle œuvre tentes-tu , si petite et peu forte? » A ces mots, celle-ci répondit de la sorte : 388 SILVES. « J'ai vu plusieurs fourmis vers ce tas se porter, Et, voyant leur travail, j'ai voulu l'imiter : C'est la condition que j'impose à ma vie. Si de servir ma race il vous prend quelque envie, Unissez-vous à moi pour démolir ce tas, Et d'un élan commun nous le mettrons à bas. J'exerce en ce moment les forces de mon être, Et comme un brave cœur à tous je fais connaître Que j'ai ferme désir d'accomplir mon devoir. — Fort bien , mais votre but passe votre pouvoir , Reprit soudain l'oiseau, qui se croyait plus sage; Pour tendre l'arc duquel vous voulez faire usage , 11 faut, ma chère amie, avoir plus de vigueur. — C'est possible, ajouta l'insecte avec douceur, Mais, ayant commencé ce travail, quoique immense, J'emploie à l'achever ce que j'ai de puissance; Si j'y parviens, mes vœux seront comblés, sinon Nul méchant ne pourra blâmer mon action. » Pour certaine action chaque homme naît au monde , Mais il s'en faut qu'au but où son espoir se fonde Il parvienne toujours. S'il y touche, son cœur Est exempt de soucis ; mais voit-il son labeur Trompé, du moins il a montré son caractère, Ce qu'il vaut , et cela devra le satisfaire. Imité du persan, 1863. HVMNE A VIRGILE. Aimons les chants de ceux qui dans le cœur humain Cultivent l'espérance , Et montrent l'avenir sous un aspect serein A la pâle souffrance. Aimons les chants de ceux dont l'œil doux et puissant Ne cherche en la nature Que de beaux lieux couverts de gazon verdissant, Baignés de clarté pure. A quoi bon entonner l'hymne du désespoir Comme un mauvais génie, Désenchanter de tout et ne peindre qu'en noir Le tableau de la vie? Souvent c'est arrêter les pas du voyageur Au début de sa route , En le décourageant et lui mettant au cœur La tristesse et le doute. 22. 390 S1LVES. Ah ! nous ne sommes pas des gens si vigoureux Que les noires tempêtes Puissent verser sur nous leurs bruits tumultueux Sans ébranler nos têtes. Au contraire, il nous faut toujours du réconfort, Et toujours, faibles âmes, Que du sein de la mer on nous montre le port Pour bien tenir les rames... Oh! sois loué, Virgile, entre tous les chanteurs, Car tes divines pages Ne roulent au flot pur de leurs vers séducteurs Que de saines images! La nature avec toi sous les ombrages frais De parfums nous enivre; Elle donne au travail d'ineffables attraits Et nous engage à vivre. Avec toi l'on apprend à chérir son pays D'une façon sublime, Lit, du fait des héros avidement épris, Aux grands buts l'on s'anime. Puis, quand l'âme fléchit sous les coups du destin, De pleurs tout arrosée, Tu lui fais entrevoir au bout de sou chemin Les champs de l'Elysée. LA BRANCHE MORTE. A M. A. M US TON. Le ciel était voilé de longs nuages gris, Un vent froid coupait l'air, et des prés défleuris Les étés avaient fui vers un plus doux rivage; C'était l'automne, non l'automne au front paré Des verdures du pampre et du raisin doré, Mais l'automne pâlie au terme du voyage. Une teinte rougeâtre enveloppait les bois, L'herbe des sentiers verts était sombre, et la voix Des oiseaux se taisait aux cimes des feuillées; Nul bruit dans la forêt , excepté le bruit sourd Des vents, qui des grands fûts berçant le dôme lourd, Faisaient voler dans l'air mille feuilles rouillées. Assis au pied d'un hêtre et seul, au sifflement De l'air froid je prêtais l'oreille et tristement Contemplais le déclin des choses de nature, 392 S IL V ES. Lorsqu'un craquement sec dans l'arbre épais et haut Iletentit, et je vis à mes pieds aussitôt Tomber en tournoyant un débris de rainure. Ce fragment, détaché du faîte gémissant, Avait fini de vivre, et, flétri, jaunissant, Allait se perdre au sein d'une aride poussière; Et pourtant, au milieu de ses sœurs, couleur d'or, Une feuille encor verte et toute fraîche encor Brillait comme aux beaux jours de la fleur avrilière. Son apparition splendide m attendrit, Et soudain m'arriva la pens'ée à l'esprit Que dans sa survivance au reste du feuillage Cette fraîcheur était comme un rêve d'été, Un heureux souvenir épanchant sa gaîté A travers les brouillards et les glaces de l'âge. Alors moi-même, alors je revis mes vingt ans Avec tous leurs plaisirs, leurs espoirs éclatants, Leurs secrètes amours, leurs amitiés sans voiles, Et de ces souvenirs qui ravivaient mon cœur Quelques-uns surpassaient les autres en douceur , Comme la blanche lune efface les étoiles. Sur ceux-là bien longtemps s'attacha le regard De mon âme; longtemps, les contemplant à part Comme un bouquet de fleurs aux grappes embaumantes Des touffes de lilas qu'un pauvre voyageur Trouverait au désert, longtemps avec bonheur J'en savourai la grâce et les odeurs charmantes... O divine Mnémé, de l'âme auguste enfant, Les Grecs eurent pour toi, dans leur âge brillant, Une adoration profondément pieuse; L .V B R A N C H E M. ( ) R T E . 393 Leur pensée honorait sous ton aimable nom La mère des neufs sœurs compagnes d'Apollon, Et du grand Jupiter l'éternelle amoureuse. Et moi, comme eux je t'aime et t'honore comme eux, Car, seule, de ce monde obscur, tumultueux, Inconstant, fugitif, tu retiens quelque chose. Tu sèmes de plaisirs notre course ici -bas , Et de nouveaux bonheurs par delà le trépas Tu dois fleurir encor notre métamorphose. Oui, quand la Parque sombre avec son fer divin Do notre vie aura tranché le fil de lin , Et dans les airs laissé partir l'âme légère, Si comme une fumée aux champs de l'infini Notre esprit ne s'est pas soudain évanoui, Ce que je ne puis croire et nullement n'espère, En lui le souvenir renaîtra plus fervent , Plus profond qu'il n'était , lorsque le corps vivant Le tenait à l'étroit dans sa prison massive ; Son regard aura plus de portée et d'ampleur , Et jusqu'aux moindres faits cachés au fond du cœur, Tout réapparaîtra d'une façon plus vive. Alors, si par l'effet d'instincts supérieurs Nulle infâme action , nuls pensers corrupteurs Ps'ont terni son essence en traversant la terre, Ou si des actes vils les fantômes ombreux, Se fondant au brasier des remords douloureux, Ont laissé revenir sa pureté première, Alors il reverra, dans leurs rayonnements Et leurs suavités , les rapides moments Où l'union des cœurs doubla son existence; 394 SILVES. Il reverra les traits, les formes de tous ceux Que sur terre il aima d'un amour sérieux , Car l'amour vainc la mort et la passe en puissance. 0 bonheur ineffable, ô nobles cœurs éteints, Vous, vers qui des aimants subtils et clandestins Nous avaient entraînés dans le torrent de l'être, Vous n'avez pas touché vainement à nos jours, Et tenu place en nous pour, loin de nous toujours, Au gouffre du néant plonger et disparaître! Qu'importe, doux amis, même après le trépas, Que votre esprit semblable au nôtre ne soit pas , Qu'il monte plus léger ou demeure en arrière? Qu'importe que moins purs, ou que plus avancés, Ainsi que ramiers blancs l'un à l'autre enlacés, Nous ne puissions voler ensemble à la lumière? Vous n'e.i vivrez pas moins en nous profondément, Et pas moins n'en serez, sans perte d'un moment, Les tendres compagnons de nos pèlerinages : Nous vous invoquerons et vous nous répondrez , Comme au temps du sommeil, en des rêves dorés, Le faisaient si souvent vos vivantes images. En vain le vif éclat des célestes beautés, L'épanouissement des saintes vérités, Nous jetteront l'esprit en extases sublimes : Ce vaste enivrement ne saurait amoindrir Et ruiner en nous le puissant souvenir Des ivresses du cœur aux régions infimes. L'esprit ne doit-il pas toujours de plus en plus S'épurer? comme lui les souvenirs accrus Le feront, et, laissant sur notre humble planète LA BRANCHE MORTE. 395 La plus grossière part des doux accouplements , Ils ne retraceront en nos entendements Que les plus purs instants de l'union parfaite. De là, chers adorés, d'indestructibles nœuds Augmentant , redoublant leurs serrements joyeux A tout avènement d'existences nouvelles; Car, une fois entrés au cœur, les amours vrais N'en doivent plus sortir, ni s'éteindre jamais, Étant du grand amour les divines parcelles. O maître de Florence, ô sublime voyant Dans les choses du ciel, ô Dante, maintenant Je comprends mieux les faits de ton allégorie ; Pourquoi tu mis aux champs de l'expiation La fontaine Eunoè , cette onde ayant le don De ne vous rappeler que le bien de la vie; Pourquoi, dès que ton âme eut purgé ses erreurs Et d'un éther plus haut aspiré les fraîcheurs, Tu retrouvas soudain ta chère Béatrice ; Et pourquoi la beauté de l'être ravissant, Ainsi que ton amour, allait toujours croissant, Plus vous montiez tous deux vers l'Ame créatrice!... Fontainebleau, novembre 1863. EPILOGUE. Il arrive un moment où pâlit la verdure, Où l'artiste lui-même a le doigt affaibli, Puis, il ne peut plus rien ravir à la nature; Son livre est rempli. En vain, devant ses yeux, phénomènes de grâce, A la lèvre de pourpre, au regard amolli, Plus d'un groupe charmant encor passe et repasse, Le livre est rempli. Quand livre et cœur sont pleins, le grand souci du vivre N'est plus que de se voir sans tache enseveli Et que Dieu comme l'art dise en fermant le livre : Il fut bien rempli. RIMES DE VOYAGE 1864 Parcours les pays ; le plaisir de la vie est dans le mouve- ment. L'eau qui dort se corrompt, tandis que l'eau qui coule en liberté devient pure et lim- pide. Poésie arabe. 23 AVANT-PROPOS. ... C'est au retour d'un voyage en Italie, dont ces notes poétiques racontent les impressions, que l'auteur acheva d'écrire // Pianlo. Bien des inspi- rations qui n'avaient pu trouver place dans le cadre de son poëme méritaient cependant d'être recueillies; elles en expliquent parfois les pages et y ajoutent quelques accents intimes et familiers. (Extrait de la Revue des Deux Mondes, I86/1.) 1831 ET 1832. LA VEILLE DU LE PAT. T. Que l'heure des adieux est une triste chose! Nous étions tous pensifs... L'enfant , prenant la rose Qui reposait vermeille à côté de son cœur, En rêvant inclina ses lèvres sur la fleur. Et la rose, cédant à cette haleine pure, Lentement dépouilla sa divine parure , Et chaque feuille d'or, résistant faiblement, Une à une tomba du calice embaumant. L'une ici , l'autre là , toutes à la volée Prirent à travers l'air une route isolée , Et, jetant leurs parfums comme un dernier soupir, À nos pieds inquiets toutes vinrent mourir. 402 RIMES DE VOYAGE. Pauvres feuilles! Et nous, une fortune amère Allait nous disperser comme elles sur la terre ; Chacun de nous peut-être, en se quittant ce soir, Devait-il s'éloigner pour ne plus se revoir. UNE STATUE DE PUC ET. ■ Les bourreaux ont lancé leurs flèches empennées, Et le soldat du Christ aux brillantes années, Sébastien, par les trous qu'elles font en sa chair, Sent avec tout son sang l'âme se détacher. Déjà son cœur remue à peine en sa poitrine, Sur son corps affaissé sa pâle tête incline, 11 tombe, et, s'il n'était par des liens tenu, 11 joncherait le sol... Mais une femme a vu Le supplice de loin , et cette aimante femme, Jalouse dans son vol d'arrêter la belle âme , Avec le saint troupeau de ses pieuses sœurs, Va la venir tirer des mortelles langueurs... 0 Pugct, que de cœurs sensibles par le monde Sont, comme ton martyr, à la haine profonde En butte et transpercés dos flèches du méchant, Faisant à larges flots couler leur noble sang ! Mais , bêlas ! tous n'ont pas comme lui dans la peine La délicate main de quelque douce Irène Pour ranimer leur cœur, et sur la plaie en feu Poser secrètement le dictame de Dieu. Gênes, Sainte- Marin de Carignan RIMES Dli VOYAGE. 403 \)E G K\ ES \ \A \ 0 ( R \ E. Ce n'est pas sans plaisir qu'à l'abri d'un manteau Et le corps étendu sur le pont d'un vaisseau , Par une belle nuit de lueurs constellée, Je me sens emporter sur la plaine salée. Mêlée aux sons aigus du cri des matelots, Autour de moi mugit la grande voix des flots ; Le bois de la poulie au faîte des cordages Gémit comme l'oiseau précurseur des orages; La vapeur avec bruit s'épanche en jets fumeux; Mais au-dessus de moi le calme est dans les deux, Et je vois à la voûte infinie et sans voiles Silencieusement resplendir les étoiles. EN DEBARQUAS T. Ton poëte terrible, ô ebarmante Toscane , Fit mal de clore à S'ipt les cercles infernaux ; Pour enriebir l'abîme et compléter ses maux, Il devait ajouter les lignes de douane. sua PISE. Que de tranquillité dans cette antique ville! Ses quais, ses monuments, tout est paisible et beau; Mais il vous semble aussi que son Campo-Santo L'a prise entièrement, tant elle est immobile! 404 RIMES DE VOYAGE. O noble Child-Harold , inquiet voyageur! Après tant d'amertume et d'orageuse ardeur, Tu fis bien e:i ces lieux de cbercber un asile : Leur calme convenait au trouble de ton cœur. LE l'A LAIS L \\1 liliDlCCI. Sur ta face de marbre, ù vieux palais de Pise, Tu portes une chaîne , et dessous pour devise Apparaissent aux yeux ces mots que l'on sculpta En traits nets et profonds : Alla giornata. On peut chercher ; pour moi , l'énigme est devinée. Cette chaîne et ces mots, c'est enseigne donnée Que tout ce qui se meut et respire ici-bas Est forçat à la chaîne, et que le dur trépas, Ou ce soir , ou demain , chacun à tour de rôle , Nous fera déguerpir de la terrestre geôle. A l'LOllENC E. Il faut d'un caillou blanc noter tous ses bonheurs. Avec le bon Robert, peintre des moissonneurs, J'ai fait une course aux Cassines. Ternes étaient les cieux et sombres les collines; Les arbres jaunissants semblaient mourir de froid; On sentait que l'hiver nous tenait sous sa loi; Les choses cependant nie parurent divines. RIMES DE VOYAG L'.. 405 A PROl'OS DE LA MADONE DU SAC. J'aime fort ta légende, ô vieil André Sarto! Elle dit qu'un jour, las de ne pouvoir atteindre A l'idéal des traits que tu désirais peindre, La Vierge et son doux bambino , Tu t'endormis auprès de ton œuvre incomplète ; Mais la mère du Christ, témoin de tant d'ardeur, Quitta soudain les cieux pour prendre ta palette, Et durant ton sommeil acheva ton labeur... Bien des gens souriront à cette étrange histoire , Mais qu'ils voient comme moi ton travail enchanteur! Il est si pur, si plein de grâce et de fraîcheur, Qu'ils seront comme moi , ma foi , bien près d'y croire. HOME. La Judée eut Jésus, la Grèce Phidias; Mais Rome fit le grand mélange : C'est là que Raphaël unit entre ses bras Les fronts sacrés de la muse et de l'ange. AU VATICAN. La Création de l'homme, par Michel- Ange. L'homme, statue inerte et de fange grossière, Languissait incomplet sur le sein de la terre; 23. 40a RIMES DE VOYAGE. Soudain l'air nuageux devint éblouissant. Un tourbillon d'esprits portant le Tout-Puissant Passe, et Dieu, touchant l'homme avec son doigt de flamme, Donne à ce bloc d'argile une part de son âme. LA TRANSFIGURATION D E J E S U S I> \ R li V P II \ i: L. Entre terres et cieux le Christ est suspendu, Il a les bras levés et le regard perdu Dans le rayonnement des splendeurs de son Père; Ses longs habits flottants sont tout blancs de lumière , Et son visage, empreint d'une étrange beauté, De plus en plus prend l'air de la Divinité. VI SITE V M. DE 1. \ M EN NUS. Salut, frère gaulois, dans la ville éternelle Venu pour te soumettre à son vieux souverain! Puisses-tu repartir avec le cœur serein , Apôtre libéra] malgré Rome et pour elle ! subi w;o. De grands nuages noirs, le flanc chargé d'orages, Sur la cime des monts roulaient silencieux. L'air était étouffant, et sous les verts ombrages, Les oiseaux suspendaient leurs chants mélodieux. # RIMES DE VOYAGE. 407 On n'entendait au creux de la gorge profonde Que le frémissement du lac aux froides eaux Et les cris de Néron perçant la voûte ronde De sa blanche villa penchée au bord des flots. L'empereur! Il est ivre, il pince de la lyre, 11 chante, puis, levant sa coupe d'or en l'air, Il provoque le ciel en son ardent délire, Et dit : « Le dieu Néron boit au dieu Jupiter ! » Soudain le ciel répond par un coup de tonnerre; La foudre éclate, tombe, et son carreau vengeur Frappe la coupe d'or, et la fond comme verre Dans les tremblantes mains de l'insolent buveur. LA GIÎOTTE DE SAINT BENOIT. Le Mtint est seul au fond de sa grotte sauvage , Adorant les splendeurs de la triple Raison. Tout à coup une voix au grave et doux langage Suspend avec ces mots sa méditation : « Benoît! prier est bien, mais agir est plus- sage. Ce qui manque à mes fils , c'est la soumission , C'est le travail. — Prends donc la règle et l'aiguillon , Et chasse la paresse et le libertinage. » Le jeune homme obéit. 11 quitte les hauts monts, Et, ralliant à lui quelques saints compagnons, 11 leur met dans le cœur la parole de flamme, 403 Kl M ES DE VOYAGE. Et dès ce jour le Christ voit ses enfants pieux , Sous le joug du travail courbés comme des bœufs, Cultiver sans relâche et la terre et leur âme. ADIEUX A HOME. Adieu, vaste tombeau de la grandeur romaiue , Terre des souvenirs, de beautés encor pleine, Mais où l'on voudrait voir moins de clochers chrétiens Et plus de citoyens ! LES M\IÏA1S PO NX IN S. Tout le long de la voie antique où nous roulons, Ce ne sont que prés verts, marécages féconds, Où maint chêne puissant croît à sa fantaisie; Une Hollande avec un ciel d'Asie! C'est superbe; mais, las! les pauvres habitants De ces beaux lieux sont tous des spectres grelottants Que la fièvre dévore et consume avant l'âge; Aussi, contemplateurs tristes d'un paysage Frais, charmant, mais peuplé de souffles assassins, Nous disons en fuyant sa mortelle verdure : Pourquoi ce désaccord, et pourquoi la nature Si tendre aux végétaux et si dure aux humains? K1MES DE VOYAGE. 409 A G A ETE. La mer a beau laver d'un flot pur, caressant, Les contours embaumés de cette belle plage; Elle ne lavera jamais le noble sang Qu'un sicaire d'Antoine, affamé de carnage, Y fit, ô Cicéron, ruisseler de ton flanc. AL TOMBEAU DE VIRGILE. Saint Paul, dit-on, un jour vint à ton mausolée, Virgile, et sur ta cendre en l'urne recelée, Laissa couler des pleurs pieux, et, soupirant, Fit entendre ces mots : « Toi que j'aime et j'honore, Des poètes le plus sensible et le plus grand, Hélas! combien pour toi j'aurais fait plus encore Si mon cœur en ces lieux t'eût rencontré vivant ! » PROMENADE A l'OMPEI. Quand nous mîmes le pied dans la cité des morts, Seul, debout sur un tertre au-dessus de la ville, Un jeune vigneron, de sa flûte docile, Laissait tomber sur nous de suaves accords; Ce n'étaient qu'airs d'amour et folle tarentelle, Airs faits pour ranimer et renflammer les corps, Symboles ravissants d'une vie éternelle ! 430 RIMES DE VOYAGE. AU BORD DU LAC A VERNE. Le rapt de Proscrpine. Elle jette un grand cri, laisse tomber ses fleurs, Et, toute renversée au bras qui l'emprisonne, La vierge cependant s'y rattache et cramponne Par crainte du galop des chevaux ravisseurs. Le sombre dieu, penché sur les froides pâleurs De sa gorge d'ivoire, avidement leur donne Des baisers chaleureux, et sa barbe sillonne Le beau sein de l'enfant de fumeuses noirceur:.. Elle fait résistance à l'invincible chaîne, D'une main repoussant le dur menton d'ébène, De l'autre à l'œil de feu cachant ses yeux divins. Mais le char roule et fuit avec la nymphe blonde, Et les cieux sont frappés d'une rumeur profonde Par le fouet, par la roue et les cris féminins. Imité de Cassiairi. EN MER. Souvenir d'affreux temps, ô triste, triste histoire! Un batelier me montre en me menant sur l'eau L'endroit où par amour Nelson tachant sa gloire Fit pendre Caraciolo. RIMES DE VOYAGE. 411 FCF. IT SUR UN v u; t M. Laissez-moi, laissez-moi vous prendre comme un rêve, Comme un de ces parfums que le zéphyr enlève Aux lilas fleurissants dans les ombres du soir; Laissez-moi ne tenir, n'emporter de vos charmes Que ce vague idéal qui soulève les larmes Et qui vous fait longtemps soupirer sans savoir. Plus d'un ami m'assure, ô jeune Ausonienne, Que l'antique beauté de sa grâce sereine A pris soin de vêtir vos traits harmonieux , Que votre taille est svelte et souple comme un saule, Et que sur vos yeux bleus et votre blanche épaule Tombent abondamment des flots de blonds cheveux. On dit que votre esprit, abeille prompte et fine, Sur votre lèvre en fleur que la nacre illumine Aux douceurs de la langue ajoute encor son miel, Et que secrètement souvent votre belle âme Laisse échapper des chants d'une sublime flamme, Qui ravissent les cœurs et les portent au ciel. Hélas ! on en dit trop pour mon indifférence, Trop pour ne pas vouloir revenir à la France Et rester à jamais loin de vos yeux caché ; Car, si je contemplais votre douce figure A ses enchantements, aimable créature, Je craindrais de ne plus pouvoir être arraché. Laissez-moi, laissez-moi vous prendre comme un rêve, Comme un de ces parfums que le zéphyr enlève 412 RIMES DE VOYAGE. Aux lilas fleurissants dans les ombres du soir; Laissez-moi n'emporter de vos traits, de vos charmes, Que ce vague idéal qui soulève les larmes Et qui vous fait longtemps soupirer sans savoir. l'embarqle m e n t. Le signal est donné : le vaisseau nous entraîne, La ville disparaît dans un brouillard doré, Le soleil s'éteignant rougit la vague pleine ; Adieu, Naples! Qui sait quand je te reverrai! RETOUR A FLORENCE. Au printemps, Boboli le long de ses allées Epanche les odeurs de mille giroflées. Nulle part cette fleur au baume doux et tin Ne s'épanouit mieux que dans le vert jardin; Si bien que l'étranger, sous les ombres fleuries, Errant et parfumé jusqu'en ses rêveries, Dit en se souvenant des richesses de l'art Que renferme Florence en son docte rempart : Oui, cette ville est bien une fille d'Athènes, Comme sa mère elle a deux grâces souveraines, La fleur qui porte aux sens un plaisir enchanteur Et celle qui ravit l'intellect et le cœur. RIMES DE VU Y AGE. 413 DEVANT LA PRISON DU TASSE, A F ERRA RE. Quoi ! c'est là qu'un poëte a gémi des années, Dans ce cachot humide où l'on ne voyait rien! On le dit : ô malheur, ô haines obstinées! Tasse, l'honneur du temps, fut traité comme un chien. AL BOKD DE LA BRENTA. Le long de la Brenta je vois passer en fête, Bras dessus, bras dessous, plus d'un beau couple aimant; Tous portent un bouquet, mais bien différemment : Les femmes l'ont au cœur, les hommes à la tète. M JE S T R E. Le grand Gœthe disait à l'aspect des gondoles : Oh i les jolis cercueils, et comme il est charmant D'être bercé par eux au gré des ondes folles Et d'y goûter le somme en pensant au néant! VENISE. D'abord rien que la mer et sa ligne profonde Puis, petit à petit, le profil long et fin Des clochers, puis les toits rouges, Venise enfin, Gomme un beau lotus rose épanoui sur l'onde. 41» RIMES DE VOYAGÉ. WALTER SCOTT AU PALAIS DUCAL. L'Arioste du Nord était là, dans la salle Des doges, regardant comme nous leurs portraits, Mais les cheveux blanchis, les traits pâles, défaits, Et le corps tout frappé d'une roïdeur fatale. 11 se fit indiquer par son fils le tableau Où manque le portrait dn traître Faliero, Il le vit et ce fut assez; sur sa poitrine Sa tête retomba; puis son fauteuil roulant, Il disparut bientôt à notre œil larmoyant : Hélas ! c'était aussi le génie en ruine. i: \ r. h \ en \ at i) u li do. D'où viennent ces clameurs, ces sauvages transports? — Seigneur, de cet îlot où la démence habite, C'est l'hôpital des fous. — Gondolier, passe vite Et fuyons au plus tôt de ces funestes bords... Pauvres gens! et pourtant tout, autour de leurs corps, Est calme : la mer dort à leurs pieds, sur leurs têtes Le ciel luit; seuls en eux ils portent les tempêtes, Tempêtes suis relâche et qui ne cesseront Que le jour où la mort aura glacé leur front. RIMES DE VOYAGIi 415 AUX PIGEONS DU DOME. Oiseaux du grand saint Marc, hôtes de son église, Beaux pigeons azurés qui dans l'azur des deux Montez en nuages joyeux, Ne désertez jamais les clochers de Venise; Volez toujours autour de ses toits glorieux, Afin qu'au doux aspect de vos aimables jeux, Le cœur de ses enfants se ranime et se dise : Courage! tout n'est pas esclave dans ces lieux. EN TRAVERSANT LE SI M PL ON. O voyageur, vois-tu ces monts audacieux? C'est le champ de bataille où les fils de la terre Firent au roi des dieux une si forte guerre, Qu'il faillit perdre ensemble et la foudre et les cieux. Mais ils furent vaincus, et les pleurs de leurs yeux Formèrent ces torrents bruyants comme un tonnerre, Et l'écume vomie en leur sombre colère Couvre encor de blancheurs ces sommets orgueilleux ; Puis ce profond ravin où serpente la route Est un des grands sillons que leurs chars en déroute Creusèrent sous le pied des chevaux haletants; Et ces bois de sapins aux cimes toutes sèches, Ces sapins par milliers plantés comme des flèches, Ce sont les derniers traits du carquois des Titans. 416 RIMES DE VOYAGE. lt E 1 O L R . Italie, ô splendeur! dans le sombre Paris Rentrer après avoir foulé ta blonde terre, Hélas! c'est retrouver l'ombre après la lumière, L'inquiétude après l'existence légère; Mais c'est aussi revoir sa mère et ses amis. Écrit en 183 L et 1832. FIN. NOTES. RIMES LEGERES. Le ohazkl est une sorte de petit poëme élégiaque très- usité chez les Arabes et les Persans. Il est généralement composé de quatorze vers de mesure pareille , quelque- fois plus. Il commence par deux rimes semblables, puis vient un troisième vers qui ne rime ni avec ceux qui le précèdent, ni avec celui qui le suit. Le quatrième vers rime de nouveau avec les deux premiers et ainsi de suite jusqu'à la fin. Le dernier vers doit toujours rimer avec le premier; souvent c'est le même mot qui rime d'un bout à l'autre. J'ai donné trois exemples de ghazel; ils suf- fisent, je l'espère, à faire comprendre cette forme de poésie qui n'est pas sans grâce et sans charmes. Le comte Guy et Belle Isabeau, sont deux pièces de vers tirées du Romancero français de M. Paulin Paris. La dernière est une imitation très-lointaine de l'original. 418 NOTES. Plusieurs compositeurs distingués ayant bien voulu s'occuper de mes chansons et de mes odelettes, c'est un devoir et un plaisir pour moi de les signaler à l'attention du public. Madame Mélanie Dentu a honoré de ses fines et ravis- santes mélodies l'Amour des chansons, la Violette, la Chat vigne, les Bluets, Fleur de bruyère, Slzette, le Comte Guy, la Dame verte, la Fille du mendiant, le Rêve de la skr\ vnte, le délaissé, la chanson des bois. L'Hirondelle a inspiré quelques jolies notes à ma- dame Pauline du Chambge. M. Albert de Wailly a aussi composé deux mélodies charmantes sur i.v Vigne et l'Ormeau et les Bords de la mer. Puis est venu M. J.-B. Laurens de Montpellier, qui a enrichi une grande partie de mon recueil des accents de sa gracieuse et savante musique. Les éditeurs des airs composés sur mes paroles sont MM. Léon Escudier, L. Rk'hault, Catelin et Pâté. SILVES. Quoique l'exécution des quatre parties du peut poëme des ÉLÉMENTS ait eu lieu à diverses époques, l'idée en a été conçue (lès la composition d ' la première pièce, en dati . NOTES. 419 Madame Pauline du Chambge a trouvé sur ma Com- plainte normande des accents plaintifs d'un grand charme. A l'époque de la guerre d'Italie, mon Cri de guerre a été mis en musique avec beaucoup de succès sous ce titre : la Piémontaise, par madame Mélanie Dentu. TABLE. AVERTISSEMENT. RIMES LEGERES. Avant -propos 5 Prologue 7 L'Amour des chansons 9 Les Attraits. . . . • 11 L'Enfant dangereux 12 La Violette 14 Toast au printemps lfi Contemplation 17 Le Petit Dormeur i 18 La Fuite intéressée 20 Promenade nocturne 21 L'Oréade 22 La Chèvre indocile 24 Chanson de Moschus 26 L'Abeille 27 L'Ile déserte '29 21 422 TABLE. Les Bords de la mer 31 L'Extase 33 L'Heureuse Fin 85 L'Enfer 3G L'Hirondelle 38 Le Vrai Trésor 40 Les Plaintes de Suzette 42 Le Cœur faible 44 Dépit d'amour 45 Voix du sort 47 Le Délaissé 49 Les Pleurs de Roland 51 Clytie 53 Le Désespéré 55 Lamento 57 Énigmes 58 Le Repos 60 La Vigne et l'Ormeau 61 Fleur de bruyère 03 La Course du berger 65 Les Apparences (57 Les Clefs d'or (38 Belle Isabeau. . .' 70 Le comte Guy 72 Le Roi d'Aragon 74 Le Vœu du trouvère 76 La Fille du mendiant 78 La Dame verte 80 Le Réveil du chasseur 82 Le Laboureur 84 Le Vieux Pauvre 85 Les Bluots 87 La Châtaigne 89 Le Joueu de vielle 91 Le Rêve de la servante '.t.'! Les deux Ivresses 95 Les Ailes , <)0 Libertas 98 TABLE, 4stô L'Étoile. . . 100 Lux 102 Chanson de Bettine 103 Le Tombeau 105 La Tourterelle 107 Causerie 108 Si l'on a du cœur 110 A la violette encore 112 Doctrina 113 Folle Jeunesse 1 1 •"' Éloge d'Hafiz 117 Rêvons toujours 110 L'Éternel Indépendant 120 Épilogue 1-1 S1LVES. Introduction 125 Le Saule pleureur 127 La Pêche manquée 130 Les Éléments 144 La Tentation 157 Les quatre Heures de la terre 166 Les Restes du tombeau de Laure. 170 A une petite fleur 171 Remerciement 1~3 Pour une jeune cousine 175 La Chute d'eau 17*7 L'Aigle mort 180 Un Réveil d'enfant 182 L'Air inachevé 184 Les Hauteurs de la Solle 186 Sur une peinture du Primatice 187 Le Hêtre 189 Chanson des bois ■ 191 12-1 TABLE. Le Moucheron 193 Prière 195 Une Course en Hollande 197 MiketteetMina 198 La Statue d'Érasme 200 La Leçon d'anatomie , 201 Une Vue d'Amsterdam 202 Près de Harlem 203 Tobie oculiste 205 Retour 207 Au Benvenuto Cellini de Berlioz 208 Après la mort 210 A ma mère 212 La Fuite des ans 215 Epître fraternelle 217 Les Roses rouges 220 Au sommet du Honeck 222 Au bord des flots 223 L'Image du chevalier 225 La Visite providentielle 227 A une dame portant le nom de Mélaiùe 229 En passant dans un pré 230 Le Joueur d'épinette 232 Un Espoir 234 A une petite fille 236 Un Triste Aspect 238 Dilectac Thetidi alcyones 239 Un Vilain Jeu 240 Deux minutes de rêve 243 Une Voix du Pûlet 245 Temps d'orage 247 A propos de certains doctrinaires de 93 248 Pendant les Journées de Juin 249 Contre les démagogues 251 Le Point de vue 858 La Puissance du chant 258 Un Rayon de soleil 260 Une Forêt en décembre 262 TABLE. 425 Les Bulles de savon 264 A la tranquillité 268 Réminiscence 270 L'Enfant vainqueur 271 L'Histoire de Stratonice 273 Un Tableau de Kaiel Dujardin 278 L'Épitaphe 280 Saint Georges après la victoire 284 Le Chêne et l'Insecte 286 Une Page d'un vieux livre 287 La Course du cerf . . . , 292 Les Nuages 295 A Jeanne d'Arc 301 Trois Faits de la guerre de Crimée 302 La Tour de Saint-MathuriD 305 Les Feuilles du tremble 308 Un quart d'heure de misanthropie 312 Le Dormoir des vaches 314 Cynthia 317 Une Fuite d'oiseaux en automne 319 Le Baiser du héros 322 A la mémoire du général Cavaignac 323 Paysages 327 Un Mot de sainte Madeleine de Pazzi 329 Une Pensée d'Ossian 330 A vingt ans de distance 332 Chant funèbre 335 Le Temps des cerises. . 337 Cri de guerre 340 A Auguste Dozon 342 Par monts et par vaux 344 Les Sanctuaires 346 Un Passage d'abeilles 348 Obermann 351 Renaissance 356 Illusion 358 La Fille du soldat 360 Le Vœu de l'Indienne 363 24. 136 ÎABLR Orphée 365 Cœnis 366 La Vache de Lucrèce 36S Humeurs des bois 370 Le Vieux Chêne 376 Les Vers de John Barber 378 La Charge de "Wengrow 380 En suivant un convoi . , . . . 383 Le Mont Saint-Michel 385 La Fourmi et l'Oiseau 387 Hymne à Virgile 389 La Branche morte 391 Épilogue 396 RIMES DE VOYAGE. Avant - PRoros 399 La Veille du départ 401 Une Statue de Puget 402 De Gènes à Livourne 403 En débarquant 403 Sur Pise 403 Le Palais Lanfreducci. 104 A Florence 104 A propos delà Madone du sac 105 Rome 105 Au Vatican 40Ô La Transfiguration de Jésus par Raphaël 406 Visite à M. de Lamennais 106 Subiaco 406 La Grotte de saint Benoît k)7 Adieux à Rome 108 Les Marais Pontins 108 AGaëte 109 Au tombeau de Virgile i"'.1 T A B L B. 427 Promenade à Pompéi 409 Au bord du lac Avertie 410 En nier 410 Écrit sur un album 411 L'Embarquement 412 Retour à Florence 412 La prison du Tasse, à Ferrare 413 Au bord de la Brenta. 413 Ifestre 413 Venise 413 Walter Scott au Palais ducal 414 En revenant du Lido 414 Aux pigeons du dôme 415 En traversant le Simplon 415 Retour 416 Notes • ... 417 PAKIS — IMPRIMERIE DE J. CLAYE, 7, RUE SA.NT-BKN01T. — [ 957 J 283 3141 4 La Bibliothèque Université df Ottawa Echéance Library University of Ot Date due jfR22'S2 **( te APR22'8'/ 139003 00 31» 8 1 3 " ™ CE PC 218Ç •B3-3S5 1872